Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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24 mai 2010

Paris du futur

Classé dans : Actualité, Environnement, Nature, Photographie, Récits — Miklos @ 22:50

Parions : la dernière crise n’en sera plus une, elle s’installera pour de bon et prendra un caractère endémique. Malgré les efforts des gouvernements nationaux, continentaux et mondial, l’inflation devenue incontrôlable atteindra de tels sommets que l’abandon de l’usage de la monnaie sera inéluctable avant même d’être décrété. Le troc s’y substituera là où le pillage ne régnera pas encore.

Parions : l’essence se raréfiera puis disparaîtra totalement des pompes. Les voitures rouilleront dans les garages et le long des trottoirs. L’électricité fera alors défaut, aucun moyen de transport public, de surface ou souterrain, ne sera plus en état de circuler, à l’exception des cyclotaxis et des bateaux-bus à rameurs.

Paris deviendra une immense ville piétonne. Les seuls véhicules encore autorisés à traverser la ville seront les chars à bœufs des halles, le nombre et la fréquence soigneusement limités pour éviter que les rues ne se transforment en fosses à purin. La plus belle avenue du monde (selon les agences de tourisme), la perle de la ville (d’après les guides), le casse-tête de la police municipale, les Champs-Élysées, se videront des embouteillages qui les caractérisaient.

Parions : la chaussée, négligée, se fissurera. Dans les interstices, les herbes folles commenceront à apparaître, et une végétation, d’abord rare puis plus dense, s’y développera. Au printemps, des pâquerettes, des lavandes et une multitude d’autres fleurs éclabousseront de leurs chatoyantes couleurs et parfumeront à l’ivresse l’avenue débarrassée des fumées noires et nauséabondes des tuyaux d’échappement d’antan. Les abeilles s’y multiplieront et produiront une variété de miel de Paris fort prisée à l’étranger.

Des jeunes pousses deviendront des arbres vigoureux : chênes, marronniers ou érables, platanes, bouleaux et cyprès, puis des espèces moins familières, leurs graines parvenues avec les vents et dans les fientes d’oiseaux de provinces de plus en plus lointaines : mûriers, figuiers ou oliviers, palmiers, épicéas, sapins et genévriers. Ensuite ce seront des espèces exotiques, pour certaines en provenance de serres de richissimes propriétaires de l’avenue, pour d’autres on ne sait trop comment : avocatiers, cocotiers et tamariniers, acajous et palissandres, baobabs et séquoias. On y verra pousser à profusion café, tabac, ananas et mangues, et on y cueillera, à la saison, mangoustans et lychees.

La forêt s’épaissira. Les seules lumières artificielles qu’on y apercevra seront les quelques feux rouges qui continueront à clignoter imperturbablement malgré la disparition des véhicules, du fait de leur alimentation par panneaux solaires, le son des klaxons remplacé par le pépiement des moineaux, le hurlement des singes, le hennissement des zèbres. Ici et là, un koala somnolera sur une branche d’eucalyptus. Les parisiens s’y aventureront avec plaisir, ce sera avant l’arrivée des loups attirés par les moutons et des ours alléchés par le miel. Il n’y aura encore aucun danger : les Indiens qui s’y réfugieront après la déforestation finale de l’Amazonie seront végétariens.

Dans les clairières tapissées de verdure fraîche, vaches et moutons paîtront placidement. Des chèvres s’attaqueront méthodiquement aux feuilles et aux branches des jeunes arbres, empêchant ainsi leur prolifération anarchique et une truie allaitera ses petits, béatement affalée à l’ombre d’un palmier. Au loin, on pourra encore apercevoir un temps le sommet de l’arc de triomphe de l’Étoile entre les cimes des arbres qui le dépasseront rapidement en hauteur.

Paris tenus ? Paris gagné ?

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20 décembre 2009

Réchauffement (régional) à Copenhague

Classé dans : Actualité, Environnement, Politique — Miklos @ 13:49

On n’a pas encore pris la mesure des conséquences à court et long terme des résultats des débats qui se sont tenus à Copenhague, dans un contexte très contrasté d’attente de prises de décision universelles destinées à influencer radicalement notre mode de vie d’une part, et de contestation du bien-fondé des prémices même de la démarche, l’influence de l’activité humaine sur l’évolution du climat d’autre part.

La presse internationale n’a donc pas encore remarqué un réchauffement qui s’est tenu dans les coulisses de Copenhague, lieux discrets où les grands de ce monde peuvent se retrouver hors de l’œil inquisiteur de leurs collègues, des caméras et du public, et donc de la nécessité de prises de position officielles et autres effets de manche.

Il n’y donc que la presse israélienne (et un hebdomadaire franco-turc, Zaman France) qui rapporte la rencontre entre les présidents turc et israélien, Abdullah Gül et Shimon Peres. Les deux chefs d’État ont annoncé leur intention de renormaliser les relations entre les deux pays. Gül a affirmé vouloir aider à faire progresser le processus de paix dans la région, et a répondu favorablement à l’invitation de Peres de visiter Israël. Encore faut-il que les premiers ministres de ces deux pays, Recep Tayyip Erdogan, très critique à l’égard d’Israël, et Benjamin Netanyahu, dont on connaît les opinions nationales, voire nationalistes, prennent acte de ces déclarations, afin qu’elles ne restent pas lettre morte.

25 août 2009

Une source miraculeuse à l’Espace Vit’Halles

Classé dans : Actualité, Environnement, Nature — Miklos @ 8:24

La salle de sport vient de rouvrir l’un de ses vestiaires, rutilant après sa rénovation : le nouveau carrelage étincelle et le métal poli des douches qui remplacent l’ancien système brille sous les feux. Dès la mise en service de l’espace, l’une d’elles s’est mis à exhiber un caractère particulier : le bouton une fois appuyé, l’eau ne s’arrête de couler, pendant de très longues minutes, 10, 15…

Ce phénomène est signalé au personnel depuis le premier jour, il y a de cela plusieurs semaines, mais il ne se passe rien. Cette eau ne guérit sans doute pas la surdité. On invoquera peut-être les difficultés à trouver un plombier le mois d’août ? Il aurait suffi de mettre un panneau interdisant de s’en servir – il y en bien d’autres qui fonctionnent encore normalement – jusqu’à sa réparation éventuelle. Ou la rénovation suivante.

Ou alors, il s’agit vraiment d’un miracle, et c’est enfin la solution trouvée à la disparition annoncée de l’eau sur Terre et un moyen d’éviter le rationnement inévitable de cette ressource… vitale, si l’on peut dire sans mauvais jeu de mots. Mais on n’y croit pas vraiment. Alors, épelez avec nous : P r i è r e   d e   n e   p a s u t i l i s e r   c e t t e   d o u c h e.   M e r c i.

Merci.

12 avril 2009

De nature, d’art et de pollution

Classé dans : Architecture, Arts et beaux-arts, Environnement, Lieux, Nature, Photographie — Miklos @ 20:10


Vœu pieux. Port Jérôme, face à Quillebeuf-sur-Seine

Le parc naturel régional des boucles de la Seine normande, né en 1974 sous un nom plus court de Parc naturel régional de Brotonne, suit les méandres de la Seine en Haute-Normandie. Les amateurs de nature se promèneront dans le Marais Vernier, bien protégé et accessible (mais un peu trop urbanisé) par la pittoresque route des chaumières, ou dans ses quelques réserves naturelles. Les amateurs d’histoire suivront, sur l’autre rive de la Seine, la route des abbayes : Saint-Martin-de-Boscherville, Jumièges, Saint-Wandrille (que les philatélistes connaissent de longue date, Jumièges à 12f et Saint-Wandrille à 25f), passant devant de beaux châteaux qu’on aurait aimé aussi pouvoir visiter.

Mais attention, ceux qui auront emprunté cette route feront bien de franchir le pont de Brotonne au lieu de poursuivre leur chemin, faute de tomber sur une vision dantesque, celle de Port Jérôme, même si elle rappellera, cette fois aux cinéphiles, certaines vues du Désert rouge d’Antonioni. Quant aux amateurs d’art, ils ne s’étonneront pas, se souvenant qu’en 1832 William Turner avait peint le tableau suivant au même endroit :


William Turner: Between Quillebeuf and Villequier, ca. 1832. Tate.

15 avril 2008

Ellul, Anders, Illich – inconnus au bataillon ?

Classé dans : Environnement, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 2:10

« Dans l’immensité de cette forge monstre, c’était un mouvement incessant, des cascades de courroies sans fin, des coups sourds sur la basse d’un ronflement continu, des feux d’artifice de paillettes rouges, des éblouissements de fours chauffés à blanc. Au milieu de ces grondements et de ces rages de la matière asservie, l’homme semblait presque un enfant. » — Jules Verne, Les Cinq cents millions de la Bégum, 1879.

« Mais il faut en tout cas retenir le fait essentiel que c’est toujours, dans toutes les branches, la technologie la plus moderne, la plus avancée qui détermine la tendance. Ici encore nous retrouvons l’automatisme du choix qui se fait imman­quablement. » — Jacques Ellul, Le Système technicien, 1977 (réed. 2004).

Si certains grands singes semblent savoir utiliser des objets en tant qu’outils – voire en fabriquer –, « la technique est une compétence fondamentale de l’homme »1 depuis la nuit des temps. Elle occupe dans sa vie une place croissante, notamment depuis la révolution industrielle, et inéluctable depuis l’entrée dans l’ère numérique.

Le constat de la sujétion de l’homme à la machine n’est pas récent : il suffit de relire la description de la Cité de l’Acier dans Les Cinq cents millions de la Bégum de Jules Verne ou de revoir Les Temps modernes de Charlie Chaplin. Mais c’est après la Seconde guerre mondiale, avec le développement de l’informatique puis de la cybernétique2 vers 1948 qu’une approche théorique permet d’analyser la technique en tant que système3 et de penser son autonomie et son asservissement de l’homme.

C’est ce que fera Jacques Ellul dès 1954 avec La Technique ou l’enjeu du siècle (traduit en anglais dix ans plus tard grâce à sa découverte par Aldous Huxley, et récemment republié en français), puis dans nombre d’autres ouvrages parmi lesquels on citera son maître-livre4 Le Système technicien.

En 1956 – deux ans après la sortie de l’ouvrage fondateur de Jacques Ellul –, Günther Anders (qui ne semble pas avoir eu connaissance de l’œuvre d’Ellul) publie L’Obsolescence de l’homme, qui n’aura été traduit en français que près de 50 ans plus tard. L’un comme l’autre – sous une approche différente, Ellul plus sociologique et Anders plus philosophique – s’inscrivent contre l’utopie technicienne, dans laquelle ils perçoivent la perte de la liberté de l’homme pour l’un, de son humanité pour l’autre. Dix ans plus tard, Ivan Illich5 (ami de Jacques Ellul) développera une approche pédagogique à sa critique de la technique et du capitalisme.

En cette époque de prise de conscience croissante de la finitude des ressources et de la gabegie croissante induite par leur surconsommation, suscitée par une course en avant nécessaire à la survie des entreprises engagées dans la bataille de plus en plus féroce d’une « destruction créatrice » accélérée (phénomène identifié par l’économiste Joseph Schumpeter dans les années 1940), l’œuvre de ces trois penseurs est plus que jamais d’actualité.


1 François Jourde.
2 À laquelle la WP attribue, fort curieusement, la genèse de l’électronique et de l’informatique, bien que celles-ci l’aient précédée : « Sous l’impulsion de Norbert Wiener, la cybernétique fut créée en tant que “théorie de la communication” dans les années 1940 et donna naissance à l’électronique, l’informatique (…) » (article « Systémique »), tout en écrivant que l’électronique est apparue en 1904 dans l’article qu’elle lui consacre ; quant au premier ordinateur, il date de 1941, la cybernétique ayant été fondée en 1948…
3 Dont l’âme serait l’information… ?
4 Selon Jean-Luc Porquet.
5 À propos duquel la WP française écrit confusément : « Il devient ensuite, entre 1956 et 1960, vice-recteur de l’Université catholique de Porto Rico, où il met sur pied un centre de formation destiné à former les prêtres à la culture latino-américaine. En 1956, il est nommé vice recteur de l’université catholique de Porto Rico. » Quant à Günther Anders, elle ignore totalement son œuvre pour ne parler brièvement que d’un aspect méthodologique secondaire, qu’elle agrémente d’une bibliographie. Elle est mieux fournie, toutefois, que celle en anglais, qui ne lui consacre qu’une ligne (plus facile à trouver que l’article français, du fait de l’établissement d’une page de désambiguation). Il faut se rabattre sur la version allemande pour y trouver des informations utiles sur la richesse de son œuvre et son influence (notamment sur la pensée de Jean-Paul Sartre). Étonnant pour cet élève de Husserl, mari de Hannah Arendt, cousin de Walter Benjamin et l’un des tous premiers critiques de Heidegger (Sur la pseudo-concrétude de Heidegger), et dont l’analyse de la modernité aborde Auschwitz et Hiroshima, la technique déshumanisante comme finalité en soi et la faculté prométhéenne et autonome des machines (voire des systèmes) créées par l’homme.

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