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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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25 février 2019

Solario : La Crucifixion. 1503 (Musée du Louvre)

Classé dans : Arts et beaux-arts, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 12:34

Andrea di Bartolo, dit SOLARIO (v. 1465-1524) : La Crucifixion (cartel). 1503. Musée du Louvre. Cliquer pour agrandir.

Andrea di Bartolo, dit SOLARIO (v. 1465-1524) : La Crucifixion. 1503. Musée du Louvre. Cliquer pour agrandir.

Andrea di Bartolo, dit SOLARIO (v. 1465-1524) : La Crucifixion (détail). 1503. Musée du Louvre. Cliquer pour agrandir.

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Andrea di Bartolo, dit SOLARIO (v. 1465-1524) : La Crucifixion (détail). 1503. Musée du Louvre. Cliquer pour agrandir.

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Andrea di Bartolo, dit SOLARIO (v. 1465-1524) : La Crucifixion (détail). 1503. Musée du Louvre. Cliquer pour agrandir.

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Andrea di Bartolo, dit SOLARIO (v. 1465-1524) : La Crucifixion (détail). 1503. Musée du Louvre. Cliquer pour agrandir.

22 février 2019

La Dame seule

Classé dans : Littérature — Miklos @ 20:16

Ill. du récit par Fernand Besnier (18..-1927).
Cliquer pour agrandir.L

LA DAME SEULE

Grande, pâle, maigre, toujours plus amaigrie, et si belle avec vos profonds yeux d’or brun, cerclés d’un sombre azur, fixes, presque effrayants, pareils à des yeux de ressuscitée, vous avez traversé, seule, les luxes et les joies de la vie parisienne; la longueur glaciale de votre robe noire était une traînée de deuil dans les fêtes. Point de mari, aucun amant, pas même une câline amie dont la tendresse charme le cœur sans l’apaiser, comme un fruit trompe la soif.

Cependant une vie intense incessamment vous dévorait, visible dans vos yeux caves, où deux braises fauves ne cessaient pas de luire, se ravivant à se consumer. Égale aux Cléopâtres et aux Faustines, luxu­rieuses dominatrices des hommes et des femmes, vous considériez dans le tournoiement des valses les habits noirs et les épaules nues avec une volonté qui s’acharne comme une prise ardente de possession. Mais pas un geste qui permet d’approcher, pas une parole qui autorise une parole tendre ; et, soudain dédaigneuse, un pli d’ironie aux lèvres, fermant à demi vos yeux comme s’ils avaient fait dans la réalité une suffisante provision de rêves, vous regardiez seulement, sous le voile des cils, la bague que vous portiez par un caprice peut-être symbolique au médius de votre main droite, longue, émaciée et pâle. C’était un simple anneau de mariage, d’or lisse, où s’allumait un seul rubis. À quel époux étiez-vous donc liée ? De quel nuptial désir étiez-vous la chaste proie ? Nul ne l’a su, si ce n’est moi, et nul ne l’apprendra désormais ; ceux qui vous ont mis au cercueil ont enseveli avec vous votre exécrable et doux secret.

I

Quelquefois elle allait — car elle allait partout ! — dans l’un de ces concerts-spectacles où des filles aux cheveux vermeils rôdent éternellement, comme en un cercle d’enfer, dans des promenoirs rouge-sang. Seule, très voilée, le buste droit, la tête haute, elle se tenait dans une avant-scène du rez-de-chaussée.

Immobile, elle regardait la scène. Là, parmi la buée rouge ou bleue des lumières électriques et les cuivres tumultueux de l’orchestre, le ballet secouait le coton flasque des maillots qui font des plis et les haillons de chair des poitrines haletantes ; des jambes éperdues dans le tourbillon des pirouettes, des gros bras qui s’arrondissent et d’où la poudre de riz coule en sueur, des bouches trop rouges qui s’ouvrent en un sourire bête, des corsages qui bâillent dans l’inclinaison du salut final, de toutes ces femmes enfin, lourdes et surchauffées, émanait une senteur de fard grossier et de peau, qui, se dilatant au feu de la rampe, emplissait la salle et grisait toute la foule d’une mauvaise soûlerie, comme un vin frelaté. Mais là aussi des athlètes, superbes de virilité bestiale, s’enlaçaient, s’étreignaient, la chair sonnante sous des flaquées de mains robustes ; des hercules, gonflant leur poitrine et faisant saillir les muscles de leur cou qui se congestionne, soulevaient des poids énormes ou jonglaient avec des boulets de canon; et des gymnastes pareils à de jeunes dieux qui auraient des têtes de garçons bouchers, accrochés aux barres fixes ou suspendus aux incertains trapèzes, développaient harmonieusement, dans des courbes envolées, leurs membres fins et forts. C’étaient alors, par la salle, des applaudissements furieux. Mais elle, dans l’avant-scène solitaire, elle demeurait impassible, hautaine. Pas même un tressaillement dans sa main gauche appliquée au rebord de la loge.

Seuls ses yeux vivaient, plus caves, ouvrant dans le voile comme deux trous d’or en fusion ! Un impertinent qui se serait penché pour regarder à l’intérieur de l’avant-scène aurait vu dans la pénombre, comme une perle de sang qui flambe et qui bouge, l’unique rubis de l’anneau parmi la soie de la robe obscure et des froissements de dentelle pâle.

II

L’été, elle vivait seule, — seule, comme toujours, — dans le château qu’elle avait fait bâtir sur la côte normande. Les matins, quand le soleil est doux, elle venait s’étendre, grande et si maigre dans son costume de bain, sur le sable fluide où la mer qui monte la couvrait par instants d’une caresse d’eau glauque et de glissantes algues. Non loin d’elle, devant la rangée grise des cabines, les baigneuses que Grévin déshabille allaient, venaient avec des rires, mouillaient dans l’écume des vagues le marbre frais de leurs jambes nues ; moins hardies, d’autres jeunes femmes franchissaient vite la bande de sable, ne quittaient le peignoir de peluche que pour se vêtir d’eau ; mais, sous le flot traversé de lumière, la flanelle de la blouse montante et du long pantalon, souvent transparente et s’appliquant bien aux rondeurs pleines du corps, en modelaient tout l’exquis contour malgré la pudeur des deux mains croisées sur la poitrine ; et quand elles sortaient de la mer sous le ruissellement de leurs cheveux défaits, elles étaient, selon la couleur des costumes, des statues de marbre rose, ou d’onyx noir, ou d’albâtre neigeux.

Pensive, la solitaire ne se mêlait pas à la joie des baigneuses ravies dans la fête du jour et de l’onde ensoleillée. Une fièvre plus intense dévorait ses yeux toujours plus profonds, cerclés d’un azur toujours plus sombre! Le rubis de la bague, qui bouge un peu, s’allumait doucement au soleil à travers la caresse de l’eau glauque et des algues qui glissent.

III

Puis, on ne la vit plus. Souffrait-elle, cruellement déjà, de la langueur qui devait faire d’elle une morte ? La réalité des choses et des êtres ne lui paraissait-elle plus digne de fournir des objets à ses songes ? Elle se réfugia éperdument dans les belles chimères des peintures, des musiques, des vers. Sous les platanes du parc, parmi les chaleurs du midi ou les tiédeurs du soir, elle marchait lentement, lasse, affaiblie, se traînant, s’appuyant aux arbres, mais extasiée de se réciter à elle seule, pendant l’amour des oiseaux dans les branches et des insectes dans les herbes, au milieu de toute la divine nature éprise, les oarystisIdylle, entretien tendre. (Trésor de la langue française) passionnées où les jeunes filles résistent mal, et les poèmes pleins de nymphes demi-nues qu’emportent brusquement des satyres. D’autres fois, elle demandait à la musique, qui sait tout et ne dit rien, éternelle réticence de l’âme et des sens, les délices perverses de la joie inachevée. Mais surtout elle passait ses heures dans une grande salle où des tableaux sans cadre étaient accrochés, — car l’or des cadres éblouit et détourne la rêverie de l’œil. Les Vénus du Titien, aux bruns cheveux fauves comme un soleil qu’on verrait la nuit, offraient leur nudité chaude ; au bord d’une source, Narcisse, pâle, adorait son image ; Ganymède accueillait dans ses bras bleus de lune la déesse des nuits d’amour. À côté des augustes chefs- d’œuvre, badinait le joli libertinage des tableautins. Des couchers de mariées montraient des courtines de dentelle, frémissantes déjà des caresses prochaines ; des marquises souriaient dans le miroir au petit abbé qui s’extasie, pendant qu’une soubrette leur nouait la jarretière au-dessus du genou ; puis, parmi ces mignardes débauches, des audaces de peintres modernes couchaient des filles sur des sophas de cabinets particuliers, le corset noir jeté parmi les serviettes entre une bouteille renversée et un chapeau à haute forme ; et quelques eaux-fortes de Rops allumaient dans les coins leur rut diabolique. Elle, cependant, étendue sur une longue chaise parmi ces songes dessinés ou peints, blême, affreusement blême, et si maigre qu’elle ressemblait au cadavre d’une femme morte de famine, elle se mourait dans d’ineffables tortures ; et, ses yeux même s’éteignant, — ses yeux si larges qu’ils semblaient être tout son visage, comme s’ils en eussent dévoré la chair, – elle n’avait plus rien de vivant, plus rien, que la goutte sanglante de l’anneau.

Et maintenant, ô pauvre femme ! vous dormez au cercueil après les affres sans égales d’une abominable agonie. De ce qui était votre charme, de ce qui aurait pu être l’orgueilleuse joie d’un époux, ô cruelle immaculée ! de tout ce qui fut vous, il ne reste que l’un de ces débris sinistres que rencontre un jour et que brise la pioche d’un fossoyeur. Mais, dans l’ombre du sépulcre, luit encore, et toujours luira à votre doigt de squelette, — comme l’éternelle survivance d’un insatiable désir, — le rubis nuptial.

Catule Mendès, Monstres parisiens. Deuxième série. 1885.

Si vous dînez dans un bouillon, regardez donc autour de vous…

Classé dans : Littérature, Peinture, dessin — Miklos @ 18:53

Variation sur L’Absinthe d’Edgar Degas.
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PETITE « CULOTTE » DE DAME

Le mois dernier, un soir que je commettais l’imprudence de dîner dans un de ces déplorables éta­blis­sements de bouillon qui ont donné à la majorité des Parisiens l’habitude de manger, sans nappe, des plats qui sont tous accommodés à la même sauce fade, je me trouvai avoir pour vis-à-vis, à la table très-étroite devant laquelle j’étais mélan­co­li­quement assis, une dame encore jeune, qui portait une fort belle bague en diamants au maigre annulaire de sa main droite.

Ce fut même l’éclat de cette bague qui fixa soudain mon regard irrésolu. De la bague, mon regard passa aux doigts ; puis, entreprenant une ascension distraite, il monta des doigts au poignet, du poignet au coude, du coude à l’épaule ; et là, s’arrêtant comme un touriste essoufflé, il examina le paysage. à la ronde : je veux dire par là que je contemplai le visage de la dame encore jeune, avec un certain intérêt.

Ma mémoire prit même des notes. Ce sont ces impressions de voyage que vous lisez.

La dame encore jeune avait aux oreilles des boutons de diamants d’une aussi belle eau que les diamants de la bague.

L’oreille n’avait rien de particulièrement désagréable à examiner. Elle ne ressemblait pas trop aux oreilles de la plupart des femmes de nos jours, qui se plaisent à les déformer en y suspendant des trains de chemin de fer en or ou des obélisques en corail. Non, non, l’oreille de cette dame encore jeune ne rappelait pas trop, par la forme et la couleur, les huîtres marinées anglaises.

Cette oreille était petite, bien faite et rougissante.

Elle rougissait, et je vais vous dire pourquoi maintenant.

Devant la dame encore jeune que je lorgnais poliment, du coin de l’œil, entre deux bouchées des exécrables mets que j’avais demandés à une bonne au teint pâle et maladif ; devant ma voisine, dis-je, se dressaient, accusatrices, trois demi-bouteilles qui avaient contenu du vin blanc.

Vous me direz : « Mais, Monsieur, les demi-bouteilles des établissements de bouillon sont d’une taille qui rappelle les mesures du royaume de Lilliput ! »

Et moi, je vous répondrai : – « Oui, Monsieur ! Mais enfin, Monsieur, pour une dame seule, et encore jeune, trois demi-bouteilles de vin blanc, c’est déjà bien joli ! »

Et puis, si vous saviez, et vous allez le savoir, le très-peu de nourriture que ces trois demi-bouteilles arrosaient, vous conviendriez avec votre humble serviteur que réellement trois demi-bouteilles de vin, et de vin blanc surtout, c’est un fort rafraîchissement pour une dame qui est encore jeune, et dîne seule, bien que son maigre annulaire soit cerclé d’une bague en diamants.

— Par Hercule ! m’écriai-je avec le rire amer d’un individu du sexe masculin surprenant en faute un individu de l’autre sexe, par Hercule ! est-ce que je me trouve en face d’une dame en train de se donner une petite culotteCulotte (se donner une). – Faire excès de boire ou de manger. (Lorédan Larchey, Dictionnaire de l’argot parisien. 1872., révérence parler ?

Et, dois-je l’avouer ? cette idée, encore qu’elle fût des plus insultantes pour ma voisine, fit un chemin rapide dans mon esprit égaré. — Les oreilles rougissantes, l’éclat humide de l’œil, la couleur vive des pommettes, les petits sourires sans motifs au coin des lèvres, tout enfin, à partir de ce moment, me parut, sur le visage de mon vis-à-vis, être les signes précurseurs d’une petite culotte de dame.

Cette dame, pensais-je, a trouvé moyen de se rajeunir tout en s’amusant. Une demi-bouteille de plus et elle aura. sa jeune fille !

Nous autres gens graves, nous disons : avoir son jeune homme.

Donc ma voisine de temps à autre souriait, comme si elle se racontait intérieurement quelque histoire impayable, et ses prunelles se noyaient de plus en plus dans une buée attendrie. Les petites oreilles se carminaient aussi de plus en plus.

Enfin, tout témoignait dans cette dame encore jeune d’un état de bien-être stomacal fort satisfaisant. Pourtant la chère dame n’avait pas dîné (boisson à part) d’une façon bien sérieuse. Elle avait mangé un potage, un hareng à la moutarde et un morceau de fromage de Camembert. Repas léger s’il en fut !

Mais, comme dirait ce misérable Rabelais, du fromage et un hareng à la moutarde, ce sont esperons pour la soif. Cela lui donne de l’acuité, de l’insatiabilité. Aussi il avait fallu l’assouvir, cette soif si bien éperonnée : indèDe là. (lat.) les trois demi-bouteilles de vin blanc !

De là encore, forcément, les signes précurseurs d’un bien-être stomacal apparus sur le visage ; de là, enfin, la petite culotte.

Le rire amer que j’avais fait entendre en constatant que ma voisine, sans s’en douter peut-être, se préparait une (mille pardons !), une cuite pour sa soirée, se transforma peu à peu en un sourire bienveillant, fraternel même.

Eh ! mon Dieu ! que celui qui est sans avoir débouché nous jette le premier bouchon !

Oui, cette petite culotte de dame me donna à réfléchir. Je me demandai ce que pouvait bien être, socialement, ma voisine, et par suite de quelle aventure elle se trouvait dans un déplorable établissement de bouillon, seule, en compagnie de trois demi-bouteilles de vin blanc.

Était-ce une actrice de petit théâtre se donnant du brio pour la représentation ? Était-ce une cocotte remontant ses nerfs afin d’affronter la cruelle bise du boulevard, sans cesser de sourire un seul instant ? — Je me dis encore : Cette dame est peut-être une bourgeoise des environs de Paris, venue dans la grand’ville pour un achat, visites aux magasins, rendez-vous chez un ami ou chez une amie, etc., et dînant, en garçon, au restaurant.

Avais-je devant les yeux une institutrice ou une maîtresse de piano, oubliant les criailleries des élèves et les grincements des pianos, en sablant un vin blanc malsain et trompeur ?

Mais les bagues et les boutons d’oreilles ne sont guère en la possession des maîtresses de piano ou des maîtresses de français !

Cette dernière supposition dut donc être écartée.

Quant à la dame de province venue à Paris pour acheter un objet de toilette ou pour retrouver un jeune homme inconnu, cette supposition devait être également écartée. Une dame de province, avec des diamants aux oreilles, ne mange pas sans nappe. Elle aurait au moins étalé la moitié de sa serviette sur le marbre glacé de la table. Enfin, une dame de province, venue pour affaires d’amour, ne dînerait probablement pas seule.

Restait donc la cabotine ou la cocotte.

Mais l’heure d’un dîner d’actrice en représentation était passée depuis longtemps.

J’avais donc devant les yeux, sauf erreur grave, une cocotte déjà sur le retour, sachant combien la vie est amère, et se disant, comme Noé : « Avant nous, le Déluge; mais après, vive la Vigne ! »

Bref, comme le patriarche en question, mon vis-à-vis oubliait ce monde pervers et les buveurs d’eau, qui sont tous méchants, en humant, à petits coups, la liqueur jaunâtre que renfermait la dernière des trois demi-bouteilles.

Avais-je le droit de la blâmer ? pouvais-je lui reprocher ses trois demi-bouteilles ? Il n’y avait là rien de prémédité. Si j’avais vu sur la table, devant la dame aux oreilles très-roses, une bouteille et une demi-bouteille, j’aurais pu croire à un dessein préconçu ; mais trois demi-bouteilles indiquaient que, après la première, on avait eu soif, et soif après la seconde : voilà tout. Ce n’était pas de la débauche ; c’était le besoin naturel d’un gosier un peu excité.

Aussi, est-ce avec le cœur plein d’une tendre commisération que je continuai, tout en mangeant d’abominables choses, accommodées à la même sauce fade, de regarder la dame aux sourires sans motifs, qui se donnait silencieusement une — petite culotte.

Ernest d’Hervilly, Mesdames les parisiennes. Paris, 1875.

14 février 2019

Pilules de l’amour ou pilules de la mort ?

Classé dans : Actualité, Langue, Médias — Miklos @ 11:44


Pilules pour la potence.

Un multiple (quatre exemplaires) spam reçu ce jour s’intitule : « Votre choix naturel. Les meilleures pilules pour la potence! ». D’évidence, il ne peut que s’agir d’un calmant avant une exécution capitale, comme on peut le voir ci-dessus.

Par pure curiosité, on en a tout de même vérifié le contenu (des courriels, voyons !, pas des pilules). Il s’avère alors que ces pilules sont plutôt destinées En contrant l’impotence, d’où cette amusante confusion. En français, « potence » n’est pas l’antonyme d’« impotence »…à faciliter la petite mort (non, il ne s’agit pas ici de la Web-série éponyme).

On se dit que l’auteur de ce spam (en provenance de Russie) aurait sans doute préféré qu’on remplaçat la potence dans l’illustration par… heu… non, arrêtons là, Facebook censurerait le résultat, même s’il n’est que purement médical.

11 février 2019

Monsieur Sfar, il n’est pas nécessaire de porter un gilet jaune pour faire preuve d’antisémitisme

Classé dans : Actualité, Politique, Société, antisémitisme, racisme — Miklos @ 14:49

Les tombes profanées du cimetière juif de Cronenbourg, près de Strasbourg,
le 27 janvier 2010. (Source)

On ne peut manquer de remarquer la croissante radicalisation du « mouvement » (pour autant qu’on puisse le qualifier ainsi) des gilets jaunes avec son essoufflement : nationalisme, putschisme, racisme et antisémitisme, complotisme… Avec l’éloignement graduel des modérés, ce sont les extrêmes qui perdurent, voire se renforcent, tendance trop souvent accompagnés du silence des autres.

Ainsi, Le Monde titrait le 24 décembre : Les dérapages antisémites et violents de certains « gilets jaunes » jettent le trouble, puis le 19 janvier : Les « gilets jaunes », nouveau terrain d’influence de la nébuleuse complotiste et antisémite. De son côté, dans un article publié aujourd’hui, France TV Info fait part d’une étude réalisée par l’Ifop pour la fondation Jean-Jaurès et l’observatoire Conspiracy Watch selon laquelle le complotisme y est bien plus élevé que chez la moyenne des Français.

Mais de là faut-il attribuer tout acte extrême à ces gilets jaunes, comme Joann Sfar l’a fait trop rapidement – c’est-à-dire avant qu’il n’y ait aucune preuve – à la suite du taggage de la vitrine d’un Bagelstein parisien du mot « Juden » ? Libération a rapidement indiqué que « rien ne permet pour l’heure, donc, d’attribuer ce tag antisémite à un ou plusieurs gilets jaunes ».

Mais Sfar revient à la charge dans sa page Facebook, en affirmant dans une longue diatribe (assez décousue) : « Je ne crois pas qu’un tel tag aurait été possible en France avant le mois de Novembre ».

C’est vraiment le comble ! Est-il croyable qu’une personne de son éducation ignore à tel point non seulement la longue présence de relents antisémites (en l’occurrence) en France, mais en particulier de récents événements qui ont fait la Une des médias sérieux (et qui sans doute ne l’ont pas ému à ce point), à l’instar de la profanation de tombes au cimetière juif de Cronenbourg, près de Strasbourg, le 27 janvier 2010, avec – entre autres – l’inscription JUDEN RAUS, ce tag que Sfar pensait impossible avant novembre ? On trouvera dans L’Express du 16 février 2015 une bien triste liste de profanations de cimetières juifs remontant à 1988. Enfin, comme l’indiquait Sud Ouest récemment, « Entre janvier et septembre, les actes antisémites ont augmenté de 69 %», donc avant le début du mouvement des gilets jaunes.

Ce n’est pas parce qu’il y a des manifestations du genre quenelle et salut nazi chez certains gilets jaunes que toutes ces manifestations, actuelles et passées, sont de leur fait. Les en accuser ainsi avant qu’il y en ait une preuve, c’est ignorer les bas-fonds constants de notre société – depuis l’étoile jaune que ma mère a dû porter et le « Sale juif » que je me suis récolté enfant à l’école communale dans un beau quartier de Paris –, et s’apparente aussi à une sorte de complotisme… Attendons sans hystérie l’identification du, ou des, auteurs de ce sale coup.

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