Miklos
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27 février 2005

Un moment d’éternité

Classé dans : Musique — Miklos @ 11:17

La musique est éternelle, et certaines œuvres le sont plus que d’autres : pas plus tard que ce matin, Radio Classique donnait la Fantaisie pour clavier BWV 906 de Jean-Sébastien Bach, qui a traversé (et traversera, on l’espère) les temps sans prendre une ride, splendide, émouvante, lancinante — de ces œuvres dont on ne finit jamais de faire entièrement le tour et vers lesquels on revient régulièrement.

Mais il y en a qui le sont à d’autres égards. Ainsi, Organ2/ASLSP (« Organ squared/As slow as possible » — Orgue au carré/Le plus lentement possible) de John Cage, dont l’exécution a commencé le 5 septembre 2001 sur l’orgue de la ville de Halberstadt, et s’achèvera 639 ans plus tard. à l’origine composée pour le piano puis transposée à l’orgue, cette pièce était jouée en une vingtaine de minutes. à l’issue d’un débat sur le sens précis de l’injonction « le plus lentement possible », un groupe de musicologues et de facteurs d’orgues allemands a décidé de faire durer le concert 639 ans, à l’égal du laps de temps écoulé depuis l’inauguration de l’orgue Blockwerck en 1361. Le début de ce concert littéralement historique a consisté en un silence d’un an et demi, pendant lequel on a pu tout de même entendre le souffle de l’orgue. Les premières notes ont résonné en 2003.

Il y a mieux : cette pièce destinée (si le destin le permet, s’entend) à durer 1000 ans, et basée sur des sons de chants et de gongs tibétains. Elle diffère toutefois de la précédente, puisqu’elle est exécutée algo­rith­mi­quement par un ordinateur, tandis que l’œuvre de Cage a été composée et est jouée réellement sur un orgue, à l’aide d’un dispositif destiné à assurer son immuabilité. On n’a pas encore trouvé de pendant pour assurer celle du public.

Dans la catégorie des compositions que l’on peut sans doute écouter sans se décomposer, il y a la Symphonie n° 1 « Gothique » du compositeur britannique William Havergal Brian (1876-1972), qui a non seulement la particularité de nécessiter des effectifs record (plus de 1000 musiciens) mais celle d’être la plus longue : son exécution en 1980 sous la baguette de Schmidt a duré plus deux heures (dépassant même la Turangalîla-Symphonie de notre Messiaen national). Cette œuvre comprend deux parties gigantesques. La première, pour orchestre seul, pourrait en elle-même constituer une symphonie. La seconde la dépasse de loin en ampleur, comprenant un Te Deum pour chœur immense, solistes et orchestre, en une écriture vocale de style médiéval alternant avec des explosions orchestrales, et utilisant parfois des techniques de masses sonores qui prédatent celles de Ligeti (dont j’ai parlé hier) de quelque 50 ans. Le paysage qu’elle offre à l’auditeur est effectivement celui qui attend le visiteur d’une cathédrale gothique : le sublime, le grotesque, voire le terrifiant.

Pour les amateurs de musique de chambre, le Quatuor pour cordes n° 2 du compositeur américain Morton Feldman se distingue par sa durée de six heures et par le fait que les violons ne lèvent jamais l’archet des cordes, ce qui en rend la performance particulièrement difficile (le quatuor Kronos avait refusé de le jouer pour cette raison) autant que l’enregistrement. Il vient pourtant de sortir récemment sur CD et DVD.

Dans le genre musique soliste, le britannique (encore un) Kaikhosru Shapurji Sorabji a composé en 1930 son Opus Clavicembalisticum d’une durée de 4½ heures, et qui comprends 12 mouvements évoluant autour d’un thème et 44 variations, ainsi qu’une passacaille et 81 variations. Plus long encore, Le Piano bien tempéré du père de la musique minimaliste LaMonte Young qui nécessite 5 heures, 1 minute et 49 secondes pour être joué. Plus abordable est la Passacaille sur DSCH de Ronald Stevenson, qui ne dure que 80 minutes.

Enfin, les amateurs inconditionnels d’opéra seront comblés par Le Pavillon aux pivoines, opéra-théâtre chinois composé au xvie siècle par Tang Xianzu et représenté, en 18 heures réparties sur trois jours, à la Grande Halle de la Villette, il y a quelques années — c’était tout simplement splendide. Cette épopée raconte trois années de la vie de Du Liniang, jeune fille égarée dans un empire Ming qui annonce déjà sa déliquescence. Elle meurt d’amour et, devenue pur esprit, erre sur la terre à la recherche de l’amour qui la ramènera à la vie. Un texte très intéressant a été publié à cette occasion par le Festival d’Automne à Paris et Musica Falsa, et est disponible en ligne.

Dans d’autres genres (théâtre), on trouve aussi des œuvres remarquables, autant par leur qualité que leur durée (tel le « Mahabarata »). Tempus fugit… mais pas pour tout.

Pas de commentaire »

  1. Bon alors aujourd’hui c’était Saturne qui présidait à ton blog! J’ai vu une partie du pavillon aux pivoines retransmis à la télé, j’ai adoré. J’y retrouve une poésie que j’avais expérimenté dans le martyre de Saint Sébastien de Debussy/ Bob Wilson, allusive et naïve,profonde, laissant beaucoup de place à l’imagination du spectateur, tout en fournissant un support visuel très raffiné, peauffiné.

    Commentaire par hugoindigo — 27 février 2005 @ 13:32

  2. Saturne? Pourquoi Saturne, quelle mélancolie y trouves-tu? J’avais parlé de Saturne ailleurs dans ce journal, à propos.

    J’avais vu le Saint Sébastien de Bob Wilson avec Sylvie G. et Patrice D. (j’ai retrouvé il y a deux jours le programme, d’ailleurs): je pense que cela signalait le déclin de Wilson – passé depuis à une production bien plus populiste et commerciale. J’avais été emballé par son Alceste et bien évidemment par Einstein on the Beach, mais Orlando ou ses mises en scène plus récentes m’ont laissé froid, à tel point que j’ai cessé de courir ses spectacles.

    Commentaire par Miklos — 27 février 2005 @ 13:41

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