« Elle (la sagesse) sait mêler les jeux et les ris avec les occupations graves et sérieuses. »—Fénelon, Télémaque, livre VIII.
Gratification
«Il y a des seigneurs et des magistrats à qui vous ne pouvez parler sans avoir essuyé les caprices du portier, d’un premier laquais qui est à l’entrée de l’appartement, et d’un valet-de-chambre qui est de garde à la porte du cabinet. Tous ces petits messieurs vous repoussent avec une fierté insolente ; sourds à vos compliments, ils ne prêtent l’oreille qu’au son des espèces.
Le comédie Mézetin, voulant présenter un ouvrage de sa composition au duc de ***, fut d’abord rebuté par le portier. « Monsieur, lui dit-il fort honnêtement, je dois être récompensé d’un ouvrage que je dédie à monsieur votre maître : laissez-moi entrer ; je vous promets, foi d’homme d’honneur, le tiers de ce qu’il me donnera. » Le portier, humanisé, lui dit : « Passez, monsieur : je vous crois homme de parole. » À l’entrée de l’appartement, il eut un nouvel assaut avec le laquais ; mais il le gagna par la même voie, en lui promettant un autre tiers de la récompense. Parvenu à la porte du cabinet, il est aux prises avec le valet-de-chambre, et ce n’est que par la promesse du dernier tiers qu’il parvient à l’attendrir.
Le voilà enfin dans ce cabinet si difficile à atteindre ; il fait son compliment et son présent au duc, qui lui dit : « Mézetin, je ressens vivement l’hommage que vous me faites : j’estime infiniment l’ouvrage et l’auteur. Je veux que vous me demandiez vous-même la récompense que vous souhaitez : je vous déclare que je ne la limite point.—Hé bien, monseigneur, répondit l’auteur, je vous demande cent cinquante coups de bâton.—Quel est donc le but de cette plaisanterie ? » reprit le duc. Mézetin lui raconta à quel prix il avait attendri son portier, son laquais, son valet-de-chambre. « Vous voyez bien, poursuivit-il, monseigneur, que, n’ayant aucune part à la récompense, je n’aurai que le plaisir de voir châtier ceux qui m’ont contraint de me relâcher de ma prétention. » Le duc, ayant ri de tout son cœur, fit la mercuriale à ses gens,» et donna un présent à la femme de ce comédien, afin qu’il en pût profiter sans violer sa parole.
A. Roy, Le Narrateur français ; or, a selection of anecdotes, repartees, & characters, in the French tongue, printed with two new orthoepic signs, in order to facilitate the attainment of a correct and elegant pronunciation ; To which are annexed, Premiminary Grammar Principles, an Interpretative Index, and a Free Translation of the first Anecdotes,—by which means, the Text can be critically understood without any other assistance: The whole being executed on an Original Plan, and adapted to the use of Adults. London, 1827.