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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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15 mai 2005

Un voyage dans l’essentiel

Classé dans : Architecture, Lieux, Littérature, Musique — Miklos @ 11:10


L’Occident est irrémédiablement engrécé : mythes originels, mu­si­que, poé­sie, thé­âtre, scul­pture, archi­tec­ture, mathé­ma­tiques, phy­sique et astro­nomie, philo­sophie et poli­tique, il doit une grande partie de sa pensée, de ses sciences et de ses arts (et donc de l’éthi­que, du sa­voir et de l’esthé­tique) à la Grèce antique, qui est aussi à la source de nombre de mots quotidiens ou savants qui nous aident à percevoir et à structurer le monde dans lequel nous vivons ; même le christianisme est le fruit de la trans­formation opérée sur la tradition juive par le monde hellène.

Et aujourd’hui ? L’influence de la Grèce contemporaine est moins universelle qu’alors (du moins en ce qui concerne l’Occident se voyant comme l’univers), mais l’on ne peut ignorer, pour ne parler que des arts, les contributions de grands créateurs tels que celles de Constantin Cavafy ou Georges Seferis à la poésie, de Cornelius Castoriadis à la philosophie, de Theodoros Angelopoulos ou de Costa-Gavras au cinéma, celles des compositeurs Iannis Xenakis, Georges Aperghis et Mikis Theodorakis à la musique, de Georges Moustaki à la chanson, et de Manos Hadjidakis ou de Vangelis au pop. Quant à ses interprètes, qui ne connaît la cantatrice Maria Callas, l’actrice Irène Papas, le pianiste Dimitri Vassilakis ou les chanteuses Melina Mercouri et Nana Mouskouri ?

Dans le domaine du chant on a malheureusement relégué trop rapidement aux ou­bli­ettes des fonds disco­gra­phiques inex­ploités la très grande Maria Farantouri1 au profit d’inter­prètes de bien moindre en­ver­gure2 que celle dont François Mitterrand disait, avec ce sens si pro­fond de l’histoire, de la culture et de la for­mu­lation qu’il possé­dait, “Maria, pour moi, c’est la Grèce. Je me repré­sente Hera, comme cela, forte, vigi­lante. Je ne connais pas d’artiste qui m’ait à ce point fourni le sens du mot sublime”.

Sa voix chaude et sombre, puissante et profonde, sobre et émouvante est inséparable pour moi comme pour d’autres de la musique de Mikis Theodorakis qui l’avait découverte quand elle avait seize ans, et dont elle a chanté certaines des œuvres les plus fortes, et, au tout premier chef, la déchirante Ballade de Mauthausen, écrite sur des poèmes de Iakovos Kambanellis qui avait survécu miraculeusement à ce terrible camp (et que Theodorakis a transformée, trente ans plus tard, en une Cantate). Voici le premier de ces quatre poèmes où on peut entendre Maria Farantouri en chanter la première strophe :


Cantique des Cantiques Ασμα Ασματμων
Qu’elle est belle, mon amour
Avec sa robe de tous les jours
Avec un petit peigne dans ses cheveux
Personne ne le savait, qu’elle était aussi belle.
 
— Jeunes filles d’Auschwitz,
Jeunes filles de Dachau,
N’avez-vous pas vu mon amour ?
— Nous l’avons vue, dans un lointain voyage
Elle ne portait plus sa robe
Ni de peigne dans ses cheveux.
 
Qu’elle est belle, mon amour
Choyée par sa mère
et les baisers de son frère.
Personne ne le savait, qu’elle était aussi belle.
 
— Jeunes filles de Mauthausen,
Jeunes filles de Belsen,
N’avez-vous pas vu mon amour ?
— Nous l’avons vue sur la place gelée,
Un numéro dans sa main blanche
et une étoile jaune sur le cœur.
 
Qu’elle est belle, mon amour
Choyée par sa mère
et les baisers de son frère.
Personne ne le savait, qu’elle était aussi belle.
Τι ωραία που είναι η αγάπη μου
με το καθημερινό της φόρεμα
κι ένα χτενάκι στα μαλλιά!
Κανείς δεν ήξερε πως είναι τόσο ωραία.
 
Κοπέλες του Άουσβιτς,
του Νταχάου κοπέλες,
μην είδατε την αγάπη μου;
Την είδαμε σε μακρινό ταξίδι.
Δεν είχε πια το φόρεμα της,
ούτε χτενάκι στα μαλλιά.
 
Τι ωραία που είναι η αγάπη μου,
η χαϊδεμένη από τη μάνα της
και τ’ αδελφού της τα φιλιά!
Κανείς δεν ήξερε πως είναι τόσο ωραία.
 
Κοπέλες του Μαουτχάουζεν,
κοπέλες του Μπέλσεν,
μην είδατε την αγάπη μου;
Την είδαμε στην παγερή πλατεία
μ’ ένα αριθμό στο άσπρο της το χέρι,
με κίτρινο άστρο στην καρδιά.
 
Τι ωραία που είναι η αγάπη μου,
η χαϊδεμένη από τη μάνα της
και τ’ αδελφού της τα φιλιά!
Κανείς δεν ήξερε πως είναι τόσο ωραία.

Le protéiforme Theodorakis (dont le site est un labyrinthe rempli de trésors) est une voix de la conscience, contre les tyrannies et les dictatures — autant celle des colonels en Grèce que le nazisme ou le colonialisme —, contre les massacres et les exterminations, contre la misère de l’homme. Parmi ses autres cycles de chant auxquels Farantouri a donné sa voix, il y a l’oratorio Canto General, la grande œuvre du poète chilien Pablo Neruda, dans laquelle il décrit “la naissance [du] continent [américain] et l’histoire des peuples qui y ont vécu, qui y vivent, y souffrent et y luttent contre les oppresseurs venus avec les armes pour exploiter les hommes et la richesse d’une nature exubérante”. Le compositeur y a effectué des choix sous la recommandation d’Allende et de Neruda, et en a fait une œuvre qui exprime autant l’âme latine que la culture grecque, se retrouvant toutes deux dans l’universel qui fait l’homme dans sa diversité.


1 Son nom de famille est transcrit du grec de diverses façons (dues à la proximité des plosives alvéolaires τ et δ…) — Farandouri ou Farantouri — c’est cette dernière forme, utilisée sur son site, que nous avons adoptée ici.
2 Telle Angelica Ionatos, dont j’ai parlé ailleurs.

Pas de commentaire »

  1. vous avez oublié ce merveilleux Demis Roussos :-)

    Commentaire par ptijuju — 15 mai 2005 @ 11:14

  2. (Article essentiel, et pour une bonne part, bouleversant. Ce qui n’y est pas dit, mais montré, y brille plus fort que la culture dont il s’orne.)

    Commentaire par kliban — 15 mai 2005 @ 13:03

  3. MERCI ! C’est tout simplement BEAU !

    Commentaire par pmco2 — 15 mai 2005 @ 16:18

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