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11 avril 2010

Trop, c’est trop (et souvent pas assez)

Classé dans : Actualité, Musique — Miklos @ 15:38

Pour qui connaît les interprétations des plus grands guitaristes du XXe siècle Andrés Segovia (qu’on a eu la chance d’entendre en live), Narciso Yepes (très beau coffret de cinq CDs Deutsche Grammophon), Julian Bream (qui a donné son premier récital à 13 ans et que l’on voit ici jouant du luth pour Stravinsky) ou John Williams (dès le double CD Decca, qu’il a enregistré à l’âge de 17 ans…) – on pourrait rappeler aussi Laurindo Almeida ou le couple Alexandre Lagoya-Ida Presti – le récent récital de Filomena Moretti au Théâtre de la Ville (salle des Abbesses) a été parti­cu­lièrement décevant.

Et pourtant le programme comprenait un répertoire connu (transcriptions de Scarlatti et de Bach, une œuvre de Sor) et moins connu (Regondi, Mertz et Barrios Mangoré), tout en évitant curieusement les compositeurs des XIXe et XXe siècles dont les œuvres (transcrites ou originales) se retrouvent plus souvent dans le répertoire de cet instrument, à l’instar des Soler, Albéniz, Villa-Lobos, Granados, Tárrega, Falla ou Turina et bien d’autres. On pense en avoir saisi la raison après le concert.

Qui avait lu attentivement les notes de programme se serait douté de quelque chose : « mais c’est qu’elle privilégie l’expression plutôt que la littéralité, préfère la simplicité chantante à la virtuosité ostentatoire… ». Pour résumer ce qu’on entendu : dans la partie « classique » du programme (trois Sonates pour clavecin de Scarlatti ; la Suite pour luth en mi mineur de Bach et le Grand solo de Sor), l’interprétation hyper-romantique, pleine de rubati excessifs déformant les passages rapides où des notes d’une durée et d’une dynamique égales se trouvent les unes avalées et les autres soulignées, allant jusqu’à la suspension quasi-totale du jeu dans une sorte de ralenti à l’infini souligné par l’expression inspirée de l’artiste, les sons étouffés, comme si les notes étaient curieusement arrondies (et notamment quand jouées du pouce) au lieu du piqué que l’on attendrait. Pourtant, Moretti a la technique : dans la Gigue de la Suite de Bach elle a démontré sa capacité à jouer des passages très rapides avec une égalité sans faille. C’est donc un choix styliste auquel on n’a pas adhéré : malgré la profusion des effets, ce jeu lourd et parfois laborieux manque de subtilité et ne véhicule pas d’expression ; et surtout, il ne chante pas (ou alors il chante à la napolitaine, style qui ne convient pas particulièrement à ce répertoire). C’est tout l’opposé de celui d’un Yepes, Bream ou Williams, sobre et pourtant réellement expressif.

Les autres œuvres (Rêverie de Regondi, Fantaisie hongroise de Mertz et Sueño en la floresta de Barrios Mangoré) correspondaient bien mieux à ce style, étant elles-mêmes romantiques à souhait. L’expressivité de Moretti ne détonnait pas, et sa capacité à varier la coloration du son (que ce soit en jouant au-dessus de la rosace ou plus près du sillet de chevalet, en effleurant ou pinçant les cordes) était appréciable. Par contre, Asturias (Leyenda), transcription du cinquième mouvement de la Suite española pour piano d’Isaac Albéniz qu’elle a donné en rappel, méritait de plus rigueur et dans l’interprétation, même si ce passage de virtuosité a été (évidemment) accueilli par les applaudissements frénétiques du public. L’inter­prétation – au piano, le dirait-on ? – qu’en donne Alicia de Larrocha est, osons le dire, d’une telle perfection qu’il est difficile après d’en écouter d’autres sans les mesurer à cette aune. Et celle-ci ne s’en rapprochait pas.

Si le jeu de Moretti était caricaturalement féminin, celui de Jean-Efflam Bavouzet au piano, dans un précédent récital au Théâtre de la Ville (qui écrit son prénom avec un seul f), nous a frappé parfois littéralement comme sa contrepartie caricaturalement masculine : puissant, martelé, brutal. Tous deux sont dans l’exubérance, mais autrement.

Si la Sonate n° 6 de Prokofiev se prêtait mieux à ce style (et c’est apparemment dans le romantique tardif et dans le post romantique que Bavouzet est apprécié), ce n’était certainement pas le cas de la Sonate n° 31 de Haydn : le touché était clair, les notes détachées (presque comme au clavecin, mais alors on y préfère de loin une Christine Schornsheim, qu’on a entendu précédemment) et la structure parfois polyphonique bien explicitée, mais la dynamique romantique, les rubati, la pédale trop présente et surtout le martèlement ne correspondaient pas au style de l’œuvre. La musique de Haydn n’a rien d’efféminée ni de macho. Le critique du Guardian a d’ailleurs trouvé que l’enregistrement de l’intégralité des Sonates de Haydn par Bavouzet sonnait plutôt comme du Ravel…

Quant à Ravel, justement : l’interprétation qu’a donné Bavouzet du Gaspard de la nuit lors de ce concert semblait détacher les notes comme au scalpel ; elles en devenaient métalliques, parfois criardes. Le piano – on en était peut-être trop près – semblait avoir un problème d’accord. On aurait apprécié plus de délicatesse, plus de mystère…

C’était le rappel qui correspondait finalement le mieux à ce style de jeu : il s’agissait de la Toccata de Jules Massenet, œuvre d’une grande virtuosité technique (que l’on peut entendre ici interprétée par Aldo Ciccolini) que le compositeur avait écrite pour la pianiste Aimée-Marie Roger-Miclos. La critique d’un récital qu’elle avait donné à New York en 1903 trouve que son jeu, grossièrement bruyant et alternant violemment les sons forts et doux, était fort peu musical ; s’il passait bien dans les œuvres plus superficielles, il manquait singulièrement de profondeur dans le Carnaval de Schumann et était trop rapide et excentrique dans trois œuvres de Chopin. Quant à Bavouzet, il a enlevé cette Toccata de salon avec tout le panache et l’énergie qu’elle requiert.

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