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4 août 2018

Il y a de quoi hocher la tête…

Classé dans : Histoire — Miklos @ 12:31


François Gérard, Général Louis-Lazare Hoche, 1836.

Ce chapitre du Journal d’un bourgeois de Paris pendant la Terreur, d’Edmond Biré (né en 1829 à Luçon – en Vendée –, et donc bien après la révolution), éclaire curieusement le caractère d’un héros de la république, le général Hoche. On trouvera ensuite le texte intégral de la lettre dont il cite un passage, qu’on a trouvé dans l’Histoire parlementaire de la révolution française, ou, Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’en 1815.

Lazare Hoche

Mardi 14 mai.

Je vois encore de loin en loin Marie-Joseph Chénier. Il y a peu de jours, je l’ai rencontré aux Tuileries : il était avec un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, dont la physionomie et la tournure m’ont frappé. C’est un ancien grenadier des gardes françaises, aujourd’hui aide de camp capitaine du général Leveneur, qui vient de prendre le commandement du camp de Maulde. Il porte encore la coiffure qu’il avait aux gardes françaises : des faces simples et presque plates, un petit toupet tombant, une queue nouée près de la tète1. Un coup de sabre reçu dans un duel, et dont la cicatrice s’étend du milieu du nez à l’extrémité du front, du côté droit, donne à ses traits un air martial qui s’harmonise d’ailleurs parfaitement avec sa haute taille et sa robuste constitution2. — « Nous ferons un général de ce jeune homme », m’a dit Chénier, et la prédiction pourrait bien se réaliser. Ou je me trompe fort, ou le jeune Hoche, — c’est son nom, — unit l’intelligence au courage. Sa parole brève, accentuée, son langage net et ferme, révèlent un homme supérieur. Lorsque le citoyen Hoche nous a eu quittés, Chénier m’en a longuement parlé : il ne tarissait pas d’éloges sur son ardeur au travail, sur sa passion pour l’état militaire, et sur les talents dont il a déjà fait preuve. Il paraît qu’il a été envoyé à Paris par son général pour éclairer le Conseil exécutif sur la véritable situation de l’armée. Avant de se présenter devant le Conseil, il a cru devoir se mettre en rapports avec quelques-uns des députés du département de Seine-et-Oise : de là entre Chénier et lui des relations journalières3.

Jeudi 16 mai.

Vivement impressionné par ma rencontre de mardi, j’aimais à parler à mes amis de l’aide de camp du général Leveneur. Je me plaisais à leur dire : « Retenez bien ce nom de Hoche, vous verrez que les journaux en retentiront quelque jour. » Pour un peu, je me serais fâché contre Beaulieu, qui se permettait de sourire de mon enthousiasme. Ce diable d’homme m’est venu voir ce malin, et, prenant son air le plus grave : « Je viens vous faire mes excuses, a-t-il dit; vous êtes meilleur prophète que vous ne le supposiez. Huit jours ne se sont pas écoulés, et voici que déjà le nom de votre héros est dans les journaux. Tenez », a-t-il ajouté, et il a jeté sur une table le Publiciste de la République française. — « Ah ! Ah ! cette feuille immonde a dénoncé mon héros, comme vous l’appelez. J’en suis fort aise pour lui. — Ce n’est pas tout à fait cela, reprit Beaulieu, lisez donc. » Je pris le journal de Marat, le numéro d’aujourd’hui; il contient une longue lettre adressée à l’Ami du peuple. Le signataire appelle Marat mon cher Ami du peupleIncorruptible défenseur des droits sacrés du peuple ! Il se vante d’avoir servi deux ans dans la garde nationale parisienne et d’avoir commandé l’avant-garde lorsqu’on fut chercher Capet à Versailles ; Hoche a en fait été nommé adjudant-général chef de bataillon employé à l’armée du Nord le 15 mai 1793, donc la veille du jour où aurait été écrit ce paragraphe du journal (fictif) de Biré…il réclame une place d’adjudant général, énumère avec complaisance ses droits à l’avancement, et, pour ajouter de nouveaux titres à ceux qu’il a déjà, il dénonce, dénonce, dénonce. Il dénonce Marolle et Brancas, qui viennent d’être nommés adjudants généraux ; il dénonce le colonel Virion, Noirod et Marnan, généraux de brigade ; il dénonce le général Ferrand…

Et au bas de toutes ces dénonciations, on lit : « Adieu, je vous embrasse fraternellement. HOCHE, rue du Cherche-Midi, n° 2944. »

Saisi de dégoût, je jetai loin de moi l’infâme journal. « Allons, me dit Beaulieu, ne passez pas d’un extrême à l’autre. Depuis son retour à Paris, le citoyen Hoche, je le sais de bonne source, est en relations suivies avec Marat5. Mais qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? Puisque cet excellent jeune homme a des dénonciations à faire, n’est-il pas tout simple qu’il s’adresse à celui que Camille Desmoulins appelait déjà, en 1791, le Dénonciateur par excellence6 ? Puisqu’il veut obtenir de l’avancement, n’est-ce pas sage à lui de faire sa cour à lAmi du peuple ? Est-ce que ce dernier ne tient pas dans ses mains les destinées de la Convention, et n’est-ce pas lui qui demain fera et défera nos généraux ? Je conclus donc que le citoyen Hoche n’est point un maladroit et qu’il arrivera. — Libre à vous de plaisanter en un pareil sujet, ai-je répondu à Beaulieu. Pour moi, une telle conduite, de tels actes me révoltent et m’indignent. Il se peut que le citoyen Hoche arrive, en effet, qu’il commande nos armées et qu’il se couvre de gloire. Mais tout cela n’empêchera pas qu’un jour, — et à quel moment, grand Dieu ! — sa main a touché la main de Marat : vingt victoires n’effaceraient pas cette tache ! »

Lettre de Hoche à Marat

« Ami du peuple. — Est-il vrai ou faux que nous soyons régénérés ? Est-il vrai ou faux que les leçons que nous venons de recevoir puissent tourner à notre avantage, et que désormais nous réglerons notre conduite en songeant au passé ? S’il est vrai, nous ne verrons plus les traîtres, les fripons et les intrigans en place ; nos armées ne seront plus commandées par des hommes lâches, ignorans, cupides, ivrognes , et sans aucune aptitude à leur état ; nos chefs connaîtront leur devoir, se donneront la peine de voir leurs soldats, et s’entoureront de gens de l’art. Alors, ces hommes pouvant être respectés, la patrie va jouir d’une liberté indéfinie et d’un bonheur inappréciable.

Mais le bonheur et la liberté même nous fuiront sans cesse, si le conseil exécutif nomme toujours aux emplois vacans au hasard, et si l’intrigue obtient continuellement la préférence. Incorruptible défenseur des droits sacrés du peuple ! par qui venons-nous d’être trompés ? par des intrigans couverts d’un voile patriotique. Dumourier dut-il être jamais aristocrate ? Quel intérêt pouvait avoir Thouvenot en trahissant son pays ? Cet homme, naguère toiseur de cailloux, est parvenu au grade de général de brigade en six mois. Qu’était, au commencement de la guerre, Beurnonville, élevé au ministère, non par un roi, mais par la Convention nationale de France. Que les préventions cessent, et qu’une juste défiance les remplace ; aujourd’hui une foule d’intrigans et de suppôts de l’ancien régime déguisés, assiège le cabinet ministériel, et, parleur importunité, ces êtres bas et rampans obtiennent des places.

Voulez-vous que moi, soldat depuis mon enfance, je puisse croire que notre régénération ne soit pas un mot ? Verrais-je ce même homme, ce Virion chargé par Dumourier d’arrêter son général, recevoir, pour prix de son obéissance aux ordres d’un traître, le grade de colonel de gendarmerie ? Verrais-je accorder à Marolle, parent et ami de Valence, celui d’adjudant-général ? A peine ferait-il un caporal passable. Sommes-nous donc revenus au temps où la noblesse, où la parenté d’un général dispensaient de mérite ? Mais poursuivez, vous verrez si les patriotes qui ont, les premiers, abandonné Dumourier, et qui, par leur exemple, ont rallié l’armée aux drapeaux de la République, ont été oubliés ou récompensés. Le citoyen Noirod , adjudant-général, fut chargé, dans ces derniers temps, de la police de Saint-Amand par Dumourier; il y souffrit l’arrestation de plusieurs patriotes qu’il eût pu empêcher : d’ailleurs, il eût eu Dumourier entre les mains après l’arrestation des commissaires de la Convention ; il est maintenant général de brigade.

Marnan, colonel de dragons, ne chargea point le 22 mars, quoiqu’il en reçut l’ordre deux fois : loin de l’exécuter, il s’en fut sur la route de Bruxelles, et dépassa la colonne d’infanterie ; il fut trouvé là par Dumourier, qui lui en fit des reproches ; cette faute coûta six cents hommes à la République. Ce monsieur est général de brigade.

Une personne digne de foi m’assure avoir eu et vu entre les mains d’un défenseur officieux l’ordre écrit et signé par Ferrand, général de brigade, d’arrêter les commissaires de la Convention ; cet ordre a dû être adressé au citoyen l’Écuyer : Ferrand est à la tête des armées de la République.

Des jeunes gens de quinze mois de service, tels que Brancas et autres, ont été faits adjudants-généraux au détriment d’anciens et expérimentés militaires ; mais puissent ceux que je cite être les pis ! Il semble que la place d’adjudant-général convienne à tous ces hommes, danseurs, souteneurs de tripots, etc., etc. O France ! ô ma patrie ! quels sont tes défenseurs ?

Depuis mon enfance je sers la patrie, par goût et par devoir : depuis dix années, je n’ai négligé aucune occasion de m’instruire sur toutes les parties de mon état. Enfin, parvenu au grade de capitaine à force de travail, en vrai républicain, je demande, au terme de la loi, une place d’adjudant-général ; mes droits pour l’obtenir sont d’avoir servi deux années au régiment des gardes françaises ; deux ans dans la garde nationale parisienne (je commandais l’avant-garde lorsqu’on fut chercher Capet à Versailles) ; enfin, j’entrai dans les troupes de ligne, où je fus adjudant, et peu après lieutenant, faisant souvent le service d’adjudant-major. Depuis la guerre, j’ai fait le service d’adjudant à l’état-major, sans avoir demandé aucune restitution. J’eus le bonheur de sauver les munitions de guerre des lignes devant Vick, à Maastricht. Pendant le mois de mars, je ralliai et menai au feu plusieurs bataillons ; maintenant, et depuis long-temps, je remplis les fonctions d’aide-de-camp d’un général : mon seul titre est d’être patriote.

Dites-moi présentement, mon cher Ami du peuple, si (c’est ainsi que veut nous le persuader le conseil exécutif) on ne peut réclamer contre l’injustice, quoiqu’étant à Paris. Le général Leveneur, dont vous connaissez l’aventure, vient de recevoir l’ordre de se rendre à l’armée pour commander sous un fort brave homme, à la vérité, mais qui était colonel alors que lui était déjà général de division. Le général Leveneur, tout en obéissant, propose à ses concitoyens de vouloir bien répondre à ce dilemme : ou il jouit de la confiance, ou il ne la possède pas. Dans le premier cas, il doit prendre son rang, il lui est dû ; dans le second, il ne doit point être employé. J’ose pourtant vous répondre que, s’il existe trois généraux patriotes, il en est un. Son seul défaut est de ne point envoyer de courriers pour faire savoir que trente hommes en ont battu vingt-quatre, qu’on a tué deux chevaux ou :fait un prisonnier : il a la maladresse de dire qu’un courrier coûte 300 liv. à l’état…

Adieu, je vous embrasse fraternellement. — Hoche, rue du Cherche-Midi, n. 294.


Eugène Sue, Les Mystères du Peuple.

_______________

1. Vie de Lazare Hoche, par Alexandre Rousselin, t. I. p. 45.

2. Op. cit., p. 41.

3. Lazare Hoche était né à Montreuil, faubourg de Versailles, le 24 juin 1768. — Marie-Joseph Chénier était député de Seine-et-Oise.

4. Le Publiciste de la République française, ou Observations aux Français, par l’Ami du peuple, auteur de plusieurs ouvrages patriotiques, n° 194. Jeudi 16 mai 1793.

5. Rousselin, op. cit., t. I., p. 54.

6. Histoire politique et littéraire de la Presse en France, par Eugène Hatin, t. VI, p. 98.

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