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9 mai 2020

Apéro virtuel XLVIII : de bibliothecae physiques et numériques

Classé dans : Livre — Miklos @ 2:55

Bibliotheca Alexandrina (photo : Françoise C.)

Vendredi 8/5/2020

Françoise (C.) a ouvert la réunion en nous montrant des photos du spectaculaire bâtiment de l’actuelle bibliothèque d’Alexandrie (appelée Bibliotheca Alexandrina) – où elle accompagnait un groupe – après avoir lu une brève histoire de l’ancienne et fameuse bibliothèque qui s’y trouvait, construite en 288 av. J.-C., et qui contenait 200.000-300.000 volumes, et détruite probablement du temps de Jules César. L’actuelle bibliothèque a été inaugurée en 2002 et a une capacité de 8 millions d’ouvrages. Son architecture est fort originale : la bâtiment est un quasi cylindre, son toit est un disque incliné, l’unique salle de lecture couvrant 70.000 m² sur 11 niveaux en cascade, etc. De là, la conversation a glissé sur la bibliothèque François-Mitterrand, que Michel et Sylvie trouvent froide.

Michel a embrayé sur un survol des bibliothèques anciennes et toujours existantes (à l’instar de la bibliothèque marocaine al-Quaraouiyine, fondée en 859, de l’Archivum Secretum du Vatican, 1612 (qui a changé de nom sous le pape François) ou de la Bibliothèque Mazarine, 1643), puis sur les bibliothèques disparues (la plus ancienne étant sans doute celle d’Ebla en Syrie, datant de la seconde moitié du troisième millénaire avant notre ère ; celle d’Alexandrie dont venait de parler Françoise ou celle de Pergame, fondée au début du 2e s. avant notre ère). Concernant les bibliothèques du futur, il n’y a pas de limite à l’imagination : Michel a cité un passage du roman L’An 2440 de Sébastien Mercier (1740-1814), où le voyageur en l’an 2440 constate que la bibliothèque du Roi est réduite à une armoire avec quelques livres. Pourquoi si peu ? Parce que dans le passé (donc du temps de l’auteur…), « on écrivait, puis on pensait ». Donc inutile de garder de tels ouvrages… Il a poursuivi avec sa propre projection sur le livre du futur, puis sur la description de la bibliothèque-univers de Borges (in La bibliothèque de Babel) qui se trouve en exergue d’un fameux discours d’Umberto Eco, De Bibliotheca, qu’il a donné en 1981. Il a conclu par une auto-citation datant de 1999 : « La confusion du lieu et du temps, causée par leur apparente abolition par des réseaux parfois quasi instantanés, semble avoir de curieux effets… que, pour ma part – est-ce que je dramatise? – je trouve assez dangereux, à long terme. Le virtuel n’est pas le réel, nous ne sommes pas des cyborgs, et le titre d’un livre n’est pas le livre. Si l’on peut trouver de tout sur l’Internet, on ne peut certainement pas y trouver tout. » (source). Dans la discussion qui a suivi,

Françoise (B.) a dit qu’en rangeant sa bibliothèque, elle a constaté que les livres imprimés dans les années 1960 l’avaient été dans une police bien plus petite qu’actuellement. Michel a émis l’hypothèse que ce serait dû au fait que, de nos jours, on saisit, met en page et corrige les livres sur écran, et qu’une police plus grande permet de mieux voir l’ensemble de la page et y distinguer le texte, ce que Françoise réfute catégoriquement. Puis elle a évoqué un lieu qu’elle avait fréquentée adolescente à Orléans, et qu’elle aimait beaucoup : la bibliothèque Dupanloup (située alors dans l’Hôtel éponyme) : quand on entrait dans la salle de lecture, le parquet craquait et l’on percevait l’odeur de la cire des immenses tables de lecture en chêne. Une table était consacrée à toutes les nouveautés, et c’est ainsi qu’elle a découvert la littérature contemporaine – Beckett, Robbe-Grillet, etc. Elle a compris bien plus la raison de ce choix : c’était Georges Bataille qui avait été conservateur en chef de la bibliothèque à cette époque. Sylvie a alors raconté que la bibliothèque municipale de La Rochelle, où elle avait grandi, était aussi installée dans un ancien hôtel particulier [il doit s’agir du bâtiment actuel qui héberge le musée des Beaux-Arts de la ville], et se caractérisait aussi par un parquet qui craquait, des grandes tables en chêne, un silence absolu dans la salle de lecture… mais pas de table pour les nouveautés. Les bibliothécaires étaient vêtues d’une grande blouse bleue et étaient particulièrement revêches…

Sylvie s’est alors concentré sur un objet du présent : la clé USB (cf. ci-contre), inventée par une entreprise israélienne en 1999, qui peut stocker de nos jours un nombre impressionnant de livres (ou tout autre document) nativement numériques ou numérisés et qui se connecte à un ordinateur (voire à d’autres types d’appareils). Lui ont précédés d’autres supports informatiques : bandes magnétiques, disques magnétiques, disquettes (de formats variables), CD-Rom… Parmi ses grandes qualités est d’être assez peu vulnérable (ce que conteste Michel, cf. cet article par exemple) et d’avoir des capacités de mémoire très importantes (pour les plus récentes, jusqu’à 2 téraoctets). Françoise (C.) remarque que l’on peut encore de nos jours lire des tablettes d’Ebla (que Michel avait mentionnées plus tôt), mais est-ce que dans 2000 ans les clés USB seront-elles encore lisibles ? Michel explique que la durée de vie des « supports », que ce soit les composantes de clés USB ou d’ordinateur (ou de tout autre matériel informatique et péri-informatique) est très limitée : n’arrive-t-il pas qu’un CD (audio) ne devienne plus lisible après un certain temps ? En outre, les principes de codage de l’information elle-même évoluent : n’arrive-t-il pas qu’on ne puisse lire un « vieux fichier » sur son ordinateur actuel – non pas parce que le fichier serait abîmé, mais du fait que l’ordinateur ne reconnaît plus son format ? Pour ces raisons, l’entretien d’un document numérique dans la durée nécessite un investissement permanent, bien plus que ne coûte la conservation d’un « livre papier ».

Faisant écho aux souvenirs de jeunesse de Françoise (B.) et de Sylvie, Jean-Philippe a d’abord raconté qu’alors qu’il grandissait à Villeneuve-sur-Lot, il a été ébahi par l’ouverture de la toute nouvelle bibliothèque alors qu’il venait d’apprendre à lire, qu’il a donc fréquentée assidûment, deux fois par semaine pendant quelque cinq ans. Mais comment savoir que lire, quelle est la bibliothèque idéale ? Il existe aujourd’hui des ouvrages qui proposent un tel choix. Jean-Philippe a montré le plus connu dans le genre, le récent Les 1001 livres qu’il faut avoir lus dans sa vie de Peter Boxall (traduit de l’anglais, publié chez Flammarion, préfacé par Jean d’Ormesson) et La bibliothèque idéale, sous la direction de Pierre Boncenne (préface de Bernard Pivot, Albin Michel, 1988) et qui sélectionne 2500 ouvrages. Ces deux ouvrages diffèrent du tout au tout dans leur façon d’organiser leurs bibliothèques idéales respectives. Une troisième référence est Le Nouveau dictionnaire des œuvres (publié par Robert Laffont), qui mentionne 21.000 œuvres répertoriées. Enfin, il nous montre un des volumes de l’ancêtre de ce type d’ouvrage, la Nouvelle bibliothèque d’un homme de goût de Joseph de La Porte, publié en 1767 (la BnF en détient une édition ultérieure, « entièrement refondue et corrigée »).

Sur ce, après avoir levé le coude, on leva la séance.

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