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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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17 avril 2020

Apéro virtuel XXVII : le monde est rond ; le livre, la livre, l’ivre, vivre ; une poétesse olé-olé ; souvenirs, souvenirs…

Classé dans : Littérature, Musique — Miklos @ 21:54

Vendredi 17/4/2020

L’apéro a débuté par un long débat assez animé à propos de l’entretien d’Emmanuel Macron avec un journaliste du Financial Times, suite à quoi Michel a mentionné l’article de Jean-Noël Poirier, chef d’entre­prise à Hanoï et ex ambassadeur de France au Vietnam, écrit depuis sa chambre d’hôpital à Hanoï, et dans lequel il décrit les méthodes appa­remment efficaces – Minh opinant à plusieurs reprises de la tête – que ce pays a mis en œuvre face à la pandémie.

Après ces débuts quelque peu mouve­mentés, Françoise (B.), fidèle au thème proposé pour ce soir-là, « livre(s) », s’était demandé quel était le plus petit livre dans sa biblio­thèque, qui prend le moins de place – du fait de son petit nombre de pages – tout en étant le plus dense et abso­lument délicieux, avec des jeux de langage extra­or­dinaires. Elle nous a d’abord lu sa préface :

Au lecteur,

Ce livre a été écrit pour qu’on en ait du plaisir. Il est destiné à être lu à voix haute peu de chapitres à la fois. La plupart des enfants ne seront pas capables de le lire eux-mêmes. Lisez-le leur à voix haute.

Ne vous préoccupez pas des virgules que ne sont pas là. Ne vous inquiétez pas du sens qui est là, lisez les mots le plus vite possible. Si vous avez quelque difficulté, lisez de plus en plus vite jusqu’à ce que vous n’en ayez plus.

Ce livre a été écrit pour qu’on en ait du plaisir.

puis sa première page, dont l’incipit, « Rose est une rose. », aurait dû suffire à identifier l’ouvrage ou du moins son auteur – non, pas Le Petit Prince, mais Gertrude Stein, comme Michel l’a deviné en écoutant la suite, au rythme et à la répétitivité si caractéristiques même dans sa traduction en français. Françoise a rajouté qu’il en existe aussi une belle édition bilingue. [La phrase la plus célèbre de Stein, « Rose is a rose is a rose is a rose » apparaît en fait pour la première fois dans un poème, Sacred Emily, qu’elle avait publié en 1912, Voici la page du manuscrit – 37 – de ce poème où elle est mentionnée ; le manuscrit dans sa totalité est visible là. On lira aussi avec intérêt l’article « Le monde est rond : Pour retrouver Gertrude Stein » par Françoise Collin, publié dans Les cahiers du GRIF, revue thématique sur les femmes et le genre, fondée par l’auteure de l’article, qui, soit dit en passant, est aussi l’un des deux traducteurs de l’ouvrage que Françoise nous a présenté.]

Sylvie nous a alors parlé d’un roman sur la musique, légèrement thriller sur les bords, publié en 2016 chez Actes Sud, qu’elle a eu du plaisir à lire parce qu’en ce faisant, on entend la musique – Mozart, Schubert… – et notamment le Quintette à deux violoncelles de ce dernier, au travers de la vie ordinaire de quatre musiciens amateurs dans une ville qui serait Amsterdam et d’un ancien soliste virtuose. Il s’agit de Quatuor d’Anna Enquist. Sylvie était d’ailleurs allée à Amsterdam l’année dernière voir l’exposition Rembrandt, et c’est peut-être ce qui a contribué à ce qu’elle achète ce roman. Coïn­cidentalement, on a aperçu un pupitre avec une partition derrière Betty qui venait de se joindre à l’apéro.

Interpellé par Jean-Philippe qui souhaitait comprendre le sens de l’image d’arrière-plan de Michel (que l’on peut voir ci-dessus), ce dernier com­men­­ça sa présentation en donnant un bref histo­rique de la livre (le sujet pro­posé ne men­tion­nait pas s’il s’agissait de « livre(s) » au masculin ou féminin) en tant qu’unité monétaire (basée sur une sub­div­ision en 20 sous, chacun valant 12 deniers) et unité de poids (avec ses sub­di­visions en onces, gros, grains, demi-grains, quart-de-grains…) : elle disparut en deux temps en France à la Révolution française avec l’appa­rition du système métrique – du kilo (appelé ini­tia­lement « grave ») et du franc –, mais a perduré en Grande Bretagne et ailleurs aussi. À propos de l’arrière-plan, où l’on distingue une balance avec sur l’un des plateaux des pièces d’or – qu’on peut imaginer être des livres moné­taires – et sur l’autre des livres (sur papier) –, Michel a alors lu deux extraits : l’un, d’un texte qu’il avait écrit en 2010 sur Le poids d’un livre et qui commence par une très belle citation de Walter Benjamin :

« Chaque livre possède deux poids différents : d’une part, un poids physique et, d’autre part, un poids subjectif qui se rapporte au contenu du livre, voire à son importance. Combien de fois nous retrouvons-nous, en quittant un lieu, devant ces décisions difficiles : quels livres aimerions-nous ou pourrions-nous emporter ? » — Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque.

et qui se poursuit avec la comparaison du « poids » d’un livre papier avec celui d’un livre numérisé ; et l’autre d’une réflexion à la suite d’un passage au Salon du livre, intitulée L’ivre de livres (d’où le choix de l’illustration dans le coin supérieur gauche de son arrière-plan, tirée d’une série de cinq photographies intitulées Les cinq stades de l’ébriété par Charles Pickering, datant des années 1860) :

Le Salon du livre est une délicieuse torture pour qui aime les livres : il y en a tellement plus qu’on ne pourra jamais en lire, il y en a tellement qu’on voudrait lire et qu’on n’aura jamais le temps de le faire même si l’on était Mathusalem ou, plus modestement, Jeanne Calment… Que faire, devant cette profusion, qui contient malheureusement bien d’ouvrages qui termineront au pilon faute de lecteurs mais pas toujours faute de qualité, et bien d’autres qui se vendront grâce à des Ardisson et des Fogiel, sans même qu’on les lise (ils en valent rarement la peine, d’ailleurs). Il y a donc de tout pour tout le monde.

Betty nous a alors lu un texte dont le titre – Il faut vivre – rime, mais n’a rien à voir avec, « livre » : c’est plutôt un texte bienvenu compte tenu du contexte :

Il faut vivre, l’azur au-dessus comme un glaive
Prêt à trancher le fil qui nous retient debout
Il faut vivre partout, dans la boue et le rêve
En aimant à la fois et le rêve et la boue
Il faut se dépêcher d’adorer ce qui passe
Un film à la télé, un regard dans la cour
Un cœur fragile et nu sous une carapace
[...]

Il a été composé par Claude Lemesle, parolier de Joe Dassin, de Serge Reggiani, de Gilbert Bécaud et de bien d’autres ; il donne tous les quinze jours depuis vingt-cinq ans des ateliers d’auteur (de chansons) de façon béné­vole. On a pu aussi écouter l’enre­gis­trement de Serge Reggiani disant ce texte de façon fort emphatique, grandi­loquente, d’une autre époque… alors que Claude Lemesle le dit de façon simple et émouvante.

Françoise (P) est restée dans le domaine de la poésie, avec une lettre de George Sand à Alfred de Musset (excusez du peu !), qui, selon qu’on la lise lentement ou en diagonale – en sautant un vers sur deux – est une très pudique et charmante déclaration ou très… olé ! olé ! 

Je suis très émue de vous dire que j’ai
bien compris, l’autre soir, que vous aviez
toujours une envie folle de me faire
danser. Je garde le souvenir de votre
baiser et je voudrais bien que ce soit
là une preuve que je puisse être aimée
par vous. Je suis prête à vous montrer mon
affection toute désintéressée et sans cal-
cul ; et si vous voulez me voir aussi
vous dévoiler sans artifice mon âme
toute nue, venez me faire une visite.
Nous causerons en amis, franchement.
Je vous prouverai que je suis la femme
sincère, capable de vous offrir l‘affection
la plus profonde comme la plus étroite
amitié, en un mot, la meilleure preuve
que vous puissiez rêver puisque votre
âme est libre. Pensez que la solitude où j’ha-
bite est bien longue, bien dure et souvent
difficile. Ainsi, en y songeant, j’ai l’âme
grosse. Accourez donc vite et venez me la
faire oublier par amour où je veux me
mettre.

Enfin, Jean-Philippe a fait une lecture à rebondissements – en partant d’un ouvrage de Georges Perec – Je me souviens – pour passer au Je me souviens de je me souviens (sous-titré Notes pour Je me souviens de Georges Perec à l’usage des générations oublieuses) de Roland Brasseur, [qui en a donné une suite dans Je me souviens encore mieux de Je me souviens], pour finir cette série sur livre et mémoire par Les amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable de Hervé Le Tellier.

Sur ce, après avoir levé le coude, on leva la séance.

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