Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

20 avril 2022

Comment appelle-t-on les pains azymes consommés à Pâque ?

Classé dans : Actualité — Miklos @ 18:57

Agnolo di Cosimo, dit le Bronzino (1503-1572), Passage de la Mer Rouge (1541-1542). Cliquer pour agrandir. (source)

Lors de la fête de Pâque (juive, car au singulier, bien qu’elle dure sept ou huit jours ; à ne pas confondre avec les Pâques, chrétiennes, car au pluriel, mais qui ne durent qu’un jour), il est interdit de consommer du pain « normal », c’est-à-dire qui aurait fermenté (et par ex­tension, tout produit de fermen­tation de céréales, par exemple de la bière) et dont la pâte aurait levé (cf. Exode XII:18).

Cette fête célèbre la Sortie d’Égypte : les Israélites devant quitter le pays en quatrième vitesse après le succès des Dix Plaies, il est dit que la pâte du pain qu’ils se préparaient quoti­diennement n’eut pas le temps de fermenter ; et c’est en souvenir qu’on mange du pain azyme durant cette fête (il est tout à fait possible d’en manger aussi durant le reste de l’année).

Il n’y a d’ailleurs pas que dans ce contexte qu’on utilise du pain azyme, terme générique décrivant un pain non fermenté ; c’est le cas de l’hostie chez les Chrétiens, par exemple, mot dont l’ori­gine latine signifie « victime, victime expiatoire ». En hébreu, on l’appelle matsa (au pluriel matsot).

Le dîner rituel du premier soir de Pâque (et éventuellement du second soir, pour ceux n’habitant pas en Israël) suit un ordre bien précis (appelé en hébreu séder, mot qui signifie « ordre ») accompagné de textes en hébreu et en araméen relatant cette Sortie, mais aussi tout ce qui a précédé, en remontant jusqu’à la naissance du peuple juif, et ce qui s’en est ensuivi (l’errance dans le désert, l’entrée dans le pays d’Israël, etc.). Ce rituel est compilé depuis des siècles dans un recueil appelé Haggada (venant du verbe hébreu signifiant « raconter »), souvent accompagné d’une traduction dans la, ou les, langues du pays d’édition de ce recueil.

On peut voir ci-contre (cliquer pour agrandir) un extrait d’une Haggada éditée à Bordeaux en 1813. Les juifs qui y vivent descendant principalement de ceux chassés d’Espagne par Isabelle la Très Catholique, on y parlait parmi eux non seulement le français, mais aussi le judéo-espagnol. Dans cette page, le texte de la colonne de droite, traduit dans celle de gauche en français, est en judéo-espagnol (qui s’écrit avec les lettres de l’alphabet hébreu). On remarquera qu’on y parle de « Schimour » (uniquement dans la version française, alors qu’en judéo-espagnol il est écrit « matsa »), mot accompagné d’une note de bas de page qui précise : « Ce sont six petits gâteaux Azimes que l’on fait avec beaucoup d’exactitude dont trois servent pour la cérémonie du premier soir, & trois pour celle du deuxième. Ces six gâteaux doivent être faits par les Israëlites & mis dans le four par eux même. »

Cette note de bas de page se retrouve presque à l’identique dans une édition différente, celle de Mar­do­chée Venture (nom d’o­ri­gine judéo-hispanique) publié à Paris en 1807 (cf. ci-contre, cliquer pour agrandir), mais où l’on fait expli­ci­tement la dis­tinc­tion entre les deux « classes » de matsot (« Ce sont six petits gâteaux Azimes que l’on fait avec beaucoup plus d’exac­titude que l’autre pain Azime dont trois… »), et qui en nomme les meilleures « Schi­mou­rim », plu­riel hé­braï­que de « Schimour », ce qui en rend plus clair l’origine : la première nuit de Pâque est appelée dans le Pentateuque (Ex. XII:42) « leïl shimourim », littéralement « la nuit qui doit être soigneusement observée » (du verbe « shamor », signifiant « garder »).

Par glissement, et comme le laisse entendre cette note de bas de page, les pains azymes devaient être « fait avec beaucoup d’exactitude », d’où cette dénomination. Ailleurs dans ces éditions on utilise le terme plus courant de « matsa », ce qui laisserait entendre que, pour la cérémonie, on utilisait des matsot plus surveillées dans leur production que celles pour le repas.

Cette distinction existe encore de nos jours : si l’on connaît en gé­néral les matsot faites indus­triel­lement – rectan­gulaires, plutôt blanches –, dans certaines tra­di­tions plus rigou­reuses, elles sont produites arti­sa­na­lement, à la main et dans des fours à feu, et en fait surveillées depuis la moisson du blé jusqu’à la production finale, pour éviter que le blé ne fermente (donc : pas humide avant la préparation qui consiste à humecter la farine, suivie de cuisson, le tout devant durer moins de 18 minutes…). Ces matsot produites ainsi sont appelées matsot shmourot (matsot surveillées). En général, et en dehors de toute consi­dération religieuse, on les trouve souvent bien plus goûteuses. On peut voir ci-contre ces deux types de matsot côte à côte (cliquer pour agrandir).

On peut d’ailleurs voir cette distinction de façon encore plus explicite dans une gravure , tirée de Céré­monies et coutumes reli­gieuses de tous les peuples du monde repré­sentées par des figures dessinées de la main de Bernard Picard: avec une expli­cation historique, & quelques disser­tations curieuses, vol. 1, Amsterdam 1723-1738 : on y aperçoit (cf. ci-dessous) une matsa (dénommée « matsot », au pluriel) et une autre galette, « simurim » (pluriel de « simur », analogue à « shim[o]ur »). Deux notes les décrivent, la première « Pain ordinaire sans levain qui se mange pendant la fête », et la seconde « Pain sans levain avec lequel ils font la Pâque ». La matsa est donc bien « ordinaire », alors que la shimour (de nos jours : matsa shmoura) n’est pas si ordinaire que cela…

Simurim et matsot, 1723-1739. Cliquer pour agrandir.

En résumé, et pour répondre à la question initiale : pain azyme ou matsa pour la version simple, et matsa shmoura pour sa version ultra.

Pas de commentaire »

Pas encore de commentaire.

Flux RSS des commentaires de cet article. TrackBack URI

Laisser un commentaire

XHTML: Vous pouvez utiliser ces balises : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos