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3 juin 2010

Requiem pour une messe

Classé dans : Actualité, Musique — Miklos @ 1:16

Il faut au Requiem le sanctuaire voilé de noir, la lueur des cierges, les larmes argentées du catafalque, les tristes échos de la nef. Otez-lui tout cela, et sa grandeur sévère, son caractère auguste, ses qualités émou­vantes en seront néces­sairement alté­rées. — O. N., « La musique en Allemagne », in Revue britan­nique, 1845.

Luigi Cherubini a composé deux Requiems, l’un (en do mineur) retrospectivement, à la mémoire d’une personne morte 23 ans auparavant, et l’autre (en ré mineur) par anticipation, en l’honneur d’une autre personne qui décèdera 6 ans plus tard. La première était Louis XVI, et c’est Louis XVIII qui en avait passé commande au compositeur, bien que celui-ci ait composé des œuvres telles qu’un Hymne du Panthéon en l’honneur de Marat, un Hymne à la fraternité et un Chant républicain à la gloire de la Révolution française ; la seconde était sa propre personne, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. D’autant plus qu’il devait avoir la grosse tête (qu’il n’avait pas perdue, lui) : Beethoven « regardait Cherubini comme le plus grand des compositeurs dramatiques vivants »1.

Cherubini ne « regardait » pas les compositeurs contemporains avec l’estime que l’histoire leur accordera : ainsi, il refuse d’aller écouter le Requiem de Berlioz, afin, dit-il, de ne pas apprendre ce qui ne devrait pas être fait (en fait, c’était surtout par dépit que son propre Requiem n’ait pas été exécuté). Berlioz le lui rendait bien, il détestait l’académisme de Cherubini – surtout quand il se manifestait dans l’usage de formes archaïsantes, à l’instar de la double fugue du Quam olim Abrahae du Requiem en do mineur –, bien qu’il en ait apprécié dans sa jeunesse le « sens des résonances harmoniques » plutôt que contrapunctiques : « Je le demande à tous ceux qui connaissent la Marche de la Communion de Cherubini, l’émotion qu’on éprouve en entendant ce morceau sublime a-t-elle quelque chose de terrestre ? », écrit-il en 18292. Ce contemporain de Glück, de Mozart, de Beethoven, de Berlioz et de Wagner ne semble pas avoir réellement pris acte des métamorphoses qu’il a traversées au cours de sa longue vie.

Le Requiem en do mineur (à la mémoire de Louis XVI), fragilement situé entre pathos et tragique, se laisse écouter, malgré quelques longueurs et certaines banalités. Effets dramatiques – la fracassante attaque des cuivres suivie d’un coup de tambour du Dies irae, par exemple – alternant avec des moments de profond recueillement qui s’apaisent, s’éteignent graduellement et aboutissent comme inéluctablement en un silence total, celui de la mort, permettent de soutenir l’attention voire de susciter l’émotion.

Riccardo Muti n’est pas étranger à l’œuvre : on connaît le bel enregistrement qu’il en a fait chez EMI au début des années 1980 avec le Philharmonia Orchestra et les Ambrosian Singers. Ce soir, il l’a dirigée à la basilique Saint-Denis lors de la générale d’un concert qui comprenait aussi la Messe n° 2 de Schubert, avec l’orchestre national de France et les chœurs de Radio France.

Maintenant comme alors, sa direction se distingue par sa précision : il a fait retravailler les attaques parfois imprécises, veillé à l’équilibre entre le (grand) chœur et l’orchestre, et fait ressortir les principales caractéristiques spectaculaires de l’œuvre (à l’exception notable du Kyrie où on aurait apprécié un rendu beaucoup plus crépusculaire), soulignées par l’acoustique de la basilique et auxquelles ont contribué très efficacement les quelques longues pauses destinées à laisser « le triste écho de la nef » s’éteindre, bien mieux que dans l’enregistrement d’EMI effectué sans doute dans une salle ou un studio classique.

La Messe en sol, qui a précédé ce soir le Requiem de Cherubini, fait partie des trois messes « courtes » que Schubert a composées entre la première et la cinquième messes.

S’il y avait quelque chose de dramatique, c’était son interprétation. Les solistes, tout d’abord : la basse (Vincent Le Texier), la voix étouffée et caverneuse, aux intonations métal­liques ; le ténor (Topi Lehtipuu) rela­ti­vement inaudible ; la soprano (Elin Rombo), au vibrato parti­cu­lièrement dérangeant surtout au début de l’œuvre, et qui s’est calmé plus tard, permettant d’apprécier le beau timbre de sa voix. Ensuite et surtout, les partis pris de Riccardo Muti étaient pour le moins surprenants : chœur réduit, chantant la plupart du temps d’une voix blanche, l’orchestre en sourdine, créant un effet plat, inexpressif dans le phrasé. Cette dernière caractéristique de sa direction se retrouvait d’ailleurs aussi dans le Requiem (qui a heureusement suivi la Messe, question ennui), mais là, les amples masses sonores et le caractère dramatique de l’œuvre sur le plan macroscopique ont pallié le manque d’expressivité au niveau des détails (à l’intérieur des phrases) et finalement servi de bel enterrement à l’exécution non pas uniquement de Louis XVI mais de cette messe de Schubert.

________________
1 Louis-Gabriel Michaud (éd.), Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, 1854.

2 Cité par Alban Ramaut, « De quelques avatars de l’entrée royale dans l’imaginaire des musiciens », in Corinne et Éric Perrin-Saminadayar (éds.), Imaginaire et représentations des entrées royales au XIXe siècle : une sémiologie du pouvoir politique. Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006.

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