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29 août 2005

Un autre Marais

Classé dans : Lieux, Shoah — Miklos @ 20:59

Samedi s’est achevée l’exposition Du Refuge au piège : les juifs dans le Marais qui se tenait depuis mai à l’Hôtel de Ville de Paris. À travers un ensemble très bien choisi et présenté de documents d’époque — textes, documents administratifs, photos, objets — et d’entretiens filmés, cette exposition décrit d’abord brièvement l’histoire de cette communauté très ancienne, puisque présente depuis le Moyen Âge1 et déjà sujette à des persécutions2 depuis lors jusqu’à l’Affaire Dreyfus (1894). Tant bien que mal, une communauté s’est développée à Paris, et les photos de la première moitié du XXe s. illustrent sa variété et sa vitalité dans ce quartier du Marais : métiers de rue et petits commerces (brocanteurs, casquettiers, tailleurs, coiffeurs, épiciers…), écoles, lieux de culte…

Ce petit monde pauvre mais dynamique et solidaire vivait souvent dans une sombre misère dans des lieux tels que l’îlot insalubre n° 16, devenu si tristement célèbre durant l’occupation : c’est alors qu’ont lieu qu’aryanisation économique et spoliations, puis rafles, exécutions (fusillés, comme Samuel Tyszelman, dit Titi, âgé de 17 ans, pour avoir manifesté3 ; ou massacrés comme cette résistante « achevée à la pelle »), déportations et exterminations — illustrées par des documents administratifs d’époque, glaçants par leur objectivité férocement insensible ; leur choix judicieux alterne documents de portée générale et cas individuels, comme ceux des 112 locataires (dont 40 enfants) du 10-12 rue des Deux-Ponts, raflés et déportés à Auschwitz en 1942.

L’exposition se termine par quelques documents illustrant le retour des survivants et leur accueil à l’Hôtel Lutecia, où, comme le relate l’un d’eux, ils dormirent par terre, le lit étant trop mou, ce qui peut paraître drôle tant que l’on n’a pas vu les châlits dans les camps. Les témoignages audiovisuels sont particulièrement remarquables, autant par leur contenu que leur sobriété : aucun effet de caméra, qui reste fixée, comme fascinée, sur l’interviewé ; aucun effet de dramatisation dans les témoignages qu’ils apportent, même dans les épisodes les plus dramatiques et déchirants : séparation des parents, arrestation ou déportation, survie dans les camps de concentration, marches forcées…

Il en ressort, finalement, une humanité sans borne qui ne peut que donner de l’espoir en l’être humain : Samuel Adoner parle ainsi de l’entraide sans faille avec trois autres déportés, avec lesquels il se partageait le moindre croûton de pain ; Lucien Finel décrit ses pérégrinations, adolescent, pour retrouver son père pris dans une rafle, et qu’il a pu revoir pour une dernière heure, au camp de Beaume-La-Rolande grâce à l’indulgence d’un gardien ; Adi Steg relate le dévouement citoyen des « maîtres d’école », qui aidaient les jeunes immigrés arrivés sans connaître un traître mot de français à pouvoir le parler trois mois plus tard… Dévouement d’ailleurs qu’a illustré, au plus haut point, Joseph Migneret, directeur de l’école des Hospitalières Saint-Gervais, qui portait une attention individuelle à chacun de ses élèves ; il a tenté de les protéger durant la guerre, jusqu’à en cacher chez lui, et est mort peu après la fin de la guerre, « de tristesse au constat de ce qui a été fait à ses élèves », dit l’un de ceux qui ont survécu.

Un ouvrage, édité par Jean-Pierre Azéma, commissaire de l’exposition, a été publié à son occasion : Vivre et survivre dans le Marais. Au cœur de Paris du Moyen Âge à nos jours. Il comprend de nombreux textes d’historiens et de spécialistes qui décrivent les avatars de ce quartier, sans oublier « La place des gays » (par Laurent Villate)

À lire :

  • Rapports sur la spoliation immobilière de la Ville de Paris
  • Rapport de la commission Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France
  • Le Marais du moyen âge au quartier gay, dossier du Nouvel Observateur

  • 1 Au VIe siècle, une communauté juive a prospéré à Paris. Une synagogue a été construite sur l’Île de la Cité. Détruite postérieurement, une église a été érigée à sa place.

    2 Expulsions en 1182, 1253, 1306, 1394 (qui ne fut annulée que durant la Révolution française)… accompagnées de spoliations ; brûlement public du Talmud en 1244 ; accusation de meurtre rituel en 1290 encore véhiculée au début du XXe s… Les commissariats aux Juifs ne sont d’ailleurs pas une invention de Vichy, comme le montre entre autre un acte datant de 1379.

    3 Vengé par le colonel Fabien, dans l’attentat au métro Barbès.

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