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22 août 2010

Tant qu’on a la santé…

Classé dans : Actualité, Cinéma, vidéo, Société — Miklos @ 15:36

Le 7 juillet 2010 doit être marqué d’une pierre blanche : c’est le jour où est ressortie l’intégrale des films du réalisateur Pierre Étaix, le Buster Keaton français, disent ces Américains en mal de comparer tout à leur aune. L’analogie n’est toutefois pas si fausse, ce genre de burlesque qui met en scène un personnage aux prises avec une réalité qui le dépasse, qui le transforme en pantin, se retrouve bien chez nous au cirque – Étaix s’y était produit en tant que clown – mais au cinéma il rappelle plutôt les anglophones, à l’instar de Laurel et Hardy et de Charlie Chaplin (dont il avait adoré les films dans son enfance), ou de Harold Lloyd. Et, c’est frappant, Jacques Tati, pour lequel il avait travaillé plus tard – « il m’a jeté dans l’eau bouillante, il m’a mis sur le tas tout de suite, c’est la meilleure façon d’apprendre son métier » –, lui ouvrant ainsi le chemin vers la réalisation cinématographique.

Ces films, on le sait, étaient bloqués à la suite d’un imbroglio juridique sur les droits (et leurs détenteurs, on le constate malheureusement de nos jours, mettent de façon croissante des freins parfois insurmontables à la sauvegarde et à la diffusion du patrimoine de la création artistique du xxe s.). C’est heureusement réglé pour Étaix de son vivant. Le cinéma parisien Le Latina projette en ce moment une rétrospective de ses films remarquablement bien restaurés avec sa collaboration.

Tant qu’on a la santé est une courte tétralogie tendre et hilarante, où l’on voit bien en quoi Étaix se distingue de Tati. Chez ce dernier, le cadre est une hyper-réalité hyper-esthétique, qui fait ainsi ressortir les travers de la société, ses aspects superficiels, consensuels, mécaniques et déshumanisants, tandis que chez Étaix c’est Alice de l’autre côté du miroir, là où l’inversion, l’abolition des frontières entre le rêve et l’éveil, le fantastique et le banal, la fiction et la réalité en font ressortir les contradictions et les défauts.

Pierre Étaix relate ainsi le contexte de la sortie de ses films :

C’était au lendemain de mai 68. Mai 68 fut une révolution, ou une pseudo révolution sans le sang, un besoin éperdu de changer une société à travers le monde, d’ailleurs, pas seulement au point de vue national mais partout. On avait le sentiment qu’après mai 68 on ne reverrait plus tous ces abus dans la publicités, toutes ces plages inondées de monde, tous ces campings, ce Tour de France qui proposait des choses inimaginables, des jeux imbéciles, enfin, que sais-je… Pas du tout : c’était reparti à cent à l’heure et ça dépassait même tous les espoirs.

Alors j’ai été profondément ulcéré par l’attitude des gens qui organisaient ça et j’ai voulu montrer des victimes consentantes, en quelque sorte, en me disant que ces victimes, lorsqu’elles allaient se voir, allaient dire « Ben non, alors ça c’est pas vrai qu’on soit reparti dans ce monde-là ». Mon seul souci était de faire rire les spectateurs avec ça.

Au lieu de ça, il s’est passé le phénomène inverse. Ça a révulsé la critique entière, qui a dit : « Vous vous attaquez à une couche sociale » alors que je tapais dans le tas, je n’étais pas particulièrement axé sur une couche sociale.

Effectivement : Tant qu’on a la santé met en scène des couples (l’assortiment ne manque pas de surprises) au lit comme à dans à la campagne, un médecin et ses patients (on se demande qui est le plus malade), un bourgeois qui se prend pour un chasseur mais incapable de tirer un animal, un paysan tout aussi incapable de monter une barrière, la publicité qui déborde de l’écran (ambiguïté que l’on retrouvera bien plus tard dans La Rose pourpre du Caire de Woody Allen, par exemple), les embouteillages homériques que les conducteurs sont contraints de prendre en souriant, la pollution omniprésente – bruits, fumées… – bien loin de l’univers parfai­tement propre de Tati –, tout ce qui ne manquera de faire écho, pour le spectateur contemporain, avec certaines de ses expériences personnelles.

Ben non, alors ça c’est pas vrai qu’on soit reparti dans ce monde-là… Merci, Pierre Étaix.

4 commentaires »

  1. Bonjour ! Comme vous j’ai vu Tant qu’on a la santé en salle cet été, après avoir vu Yoyo projeté au Cirque d’Hiver pour fêter la renaissance des films de Pierre Etaix.
    J’ai maintenant le coffret Intégrale Etaix, un vrai bonheur en ces temps de grisaille et froidure.
    Plein de surprises, et Pays de cocagne n’est pas la moindre…
    Je vois Pierre et Odile Etaix aux concerts de leur ami Marcel Zanini.
    Evidemment, ils sont enfin rendus heureux par la conclusion de cette histoire de films, mais ils sont surtout entièrement investis maintenant dans le projet de spectacle de Pierre : « Miouzik Papillon ».

    http://tillybayardrichard.typepad.com/le_blogue_de_tilly/etaix/

    Commentaire par tilly — 29 décembre 2010 @ 12:01

  2. Bonjour,

    Curieuse coïncidence, je viens de voir, à partir du coffret dont vous parlez, Le Soupirant. Quelques longueurs, mais le décalage, le rêve, la poésie, la tendresse… font tout passer avec grand plaisir.

    Commentaire par Miklos — 29 décembre 2010 @ 13:22

  3. alors vous aimerez Le Grand Amour ;)

    ps – j’avais oublié de dire que votre chronique est brillante, bravo, merci

    Commentaire par tilly — 29 décembre 2010 @ 14:38

  4. Merci, c’est très gentil à vous !

    Commentaire par Miklos — 29 décembre 2010 @ 14:49

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