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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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5 septembre 2010

La bibliothèque du château de Fontainebleau

Autres photos du château et de son parc ici.

Les lettres, Sire, ont été établies en cette maison royale par les rois vos prédécesseurs, et l’honneur d’être logées avec les Souverains est un droit qui leur appartient par concession royale et par la possession de plusieurs siècles.

Charles V surnommé le Sage, qui s’arma si peu et triompha de tant d’ennemis, reconnaissant que la prudence à laquelle il devait les heureux succès, n’était pas moins un ouvrage des lettres que de la nature, les honora continuellement de son estime et de ses faveurs, et par ses bienfaits égala ceux qu’il en avait reçu. Il fut le premier qui leur donna rang à la Cour, et le premier qui dressa la somptueuse Bibliothèque de Fontainebleau. Pour la rendre digne de lui, il envoya des hommes de lettres par toute la France et dans les pays étrangers, pour rechercher les meilleurs livres ; et voulant qu’elle fût utile à toutes sortes de personnes, il l’enrichit de quantité de traductions qui furent faites par son ordre.

François I eut tant d’inclination pour les lettres, qu’il en fut appelé le Père. Il fonda douze chaires royales pour y enseigner toutes sortes de langues et de sciences. Il fut libéral et presque prodigue envers les savants, et pour leur usage il ordonna en 1527 l’augmentation et l’embellissement de sa Bibliothèque de Fontainebleau, et la fit placer au-dessus de la galerie qui porte encore aujourd’hui son nom. L’histoire nous apprend que pour la rendre parfaite, il envoya des plus savants hommes de son temps dans la Grèce et dans l’Asie, acheter les livres grecs qui n’étaient point encore imprimés, et qu’il leur procura, par l’entremise de ses ambassadeurs, la liberté de tirer des copies de ceux dont on refusa de vendre les originaux. Aussi l’amas de tant de livres et de tant de manuscrits, tous magnifiquement reliés, fut regardé comme l’ouvrage non pas d’un seul roi, mais de plusieurs rois et de plusieurs siècles. Il attira les plus savants hommes du Royaume et des États voisins, et même quelques princes étrangers, qui demeurèrent tous d’accord que cette Bibliothèque était la plus superbe pièce de Fontainebleau. Cependant Guillaume Budé, maître des requêtes, et ensuite Pierre Châtelain évêque d’Orléans, qui furent successivement gardes de cette Bibliothèque, n’étaient pas moins à admirer que cette Bibliothèque même, puisqu’ils n’ignoraient rien de ce que l’on y pouvait apprendre, tant ce prince fut soigneux de ne faire que de justes choix, et de ne conférer les honneurs que selon le mérite.

Henry II ordonna en l’an 1556 qu’on mettrait en chacune de ses Bibliothèques un exemplaire de tous les livres qui s’imprimeraient, et qu’aucun privilège ne serait accordé qu’à cette condition. Et comme il affectionnait celle de Fontainebleau plus que toutes les autres, il voulut, comme porte son ordonnance, que l’exemplaire que l’on y mettrait, fût imprimé sur du vélin, et relié convenablement pour lui être présenté. Il y ajouta encore les manuscrits de celle de Médicis que la reine Catherine sa femme lui avait apportés de Florence. Et pour succéder a la charge de garde qu’avait eu l’évêque d’Orléans, il nomma Pierre de Mondoré conseiller au Grand Conseil qui était un des plus savants hommes de son siècle.

Charles IX augmenta aussi cette Bibliothèque de plusieurs manuscrits, qu’il tira de celle du Président Ranconnet ; et le sieur de Mondoré étant mort, il mit en sa place Jacques Amiot évêque d’Auxerre Grand aumônier de France, si fameux par ses ouvrages et par l’honneur d’avoir été précepteur de ce prince et de ses trois frères.

Henry III étant continuellement traversé d’un côté par les Huguenots, et de l’autre par les Ligueurs, ne songea pas tant à augmenter cette Bibliothèque qu’à s’en servir. Il y enrichit son esprit déjà riche de son propre fonds, et s’acquit particulièrement cette éloquence souveraine, qui dans les assemblées des rebelles ne trouvait point de révoltés.

Henry le Grand surmonta ses ennemis étrangers et domestiques, et affermit l’État lorsqu’il était sur le penchant de sa ruine. Mais pendant les premières années de son règne, la tempête des guerres civiles ne laissant pas d’être redoutable aux lieux où sa présence n’arrêtait point son effort, il ne pût empêcher qu’elle ne se fît sentir à cette magnifique Bibliothèque. De sorte que par ces mouvements, cette maison royale fut privée d’un trésor si précieux, et perdit enfin ce qui l’avait rendue si pompeuse et si superbe. II est à croire que ce Monarque après lui avoir donné tant d’autres ornements, avait dessein de lui rendre celui-ci, et qu’il en était sollicité par l’amour qu’il avait pour les lettres, à l’étude desquelles il s’était heureusement appliqué ; de quoi, entre autres preuves, il nous reste une version de sa façon des Commentaires de César, que l’on voit dans les cabinets de quelques curieux.

Le feu roi Louis XIII de glorieuse mémoire avait aussi sans doute le même dessein, lorsqu’il honora le sieur de Sainte-Marthe mon père de la charge de garde de sa Bibliothèque de Fontainebleau ; car autrement ce sage et généreux monarque n’eût eu en lui qu’un officier inutile, et ne l’eût gratifié que d’un vain titre.

Mais comme c’est à Votre Majesté à mettre en leur perfection les grands desseins que ces illustres monarques n’ont fait que se proposer; je ne doute point qu’Elle n’exécute celui-ci, et que le rétablissement de cette Bibliothèque ne lui paraisse assez utile pour l’ordonner, s’il lui plaît d’en délibérer sur les raisons que je prends la liberté de lui représenter ici.

(…)

D’ailleurs on tirerait un avantage très considérable du rétablissement de cette Bibliothèque pour l’instruction de Monseigneur le Dauphin pendant son séjour à Fontainebleau. Comme cette instruction est de la dernière importance et pour lui-même et pour l’État, et qu’elle demande une infinité de connaissances, pour orner et pour enrichir avec plus de succès la seconde tête du monde, il serait presque impossible que l’on s’acquittât d’un emploi si difficile sans le secours d’une ample Bibliothèque, puisque les sciences sont liées les unes aux autres, et que souvent une même matière est répandue en plusieurs volumes, et traitée différemment par différents auteurs. À cet entretien muet on pourrait faire succéder l’entretien des doctes, qu’une Bibliothèque attirerait en cette maison royale, et s’exerçant avec eux donner plus d’action à son esprit pour agir avec plus d’effet. J’ajouterai qu’à la vue de tant de livres et de gens qui s’y attacheraient, ce prince en un âge plus avancé serait encore invité à la lecture, qu’il serait à souhaiter qu’il eut moyen à toute heure de s’y divertir et d’apprendre ; et qu’enfin il en sera de même de Messeigneurs les enfants de France qui pourront naître à l’avenir.

Que si de vos personnes sacrées on descend aux intérêts de l’État, on verra encore que ce rétablissement ne leur serait pas de moindre importance : les lumières qu’enferment les livres passant d’une Bibliothèque dans vos Conseils leur seraient toujours utiles, et quelquefois nécessaires, au moins pour se conduire dans les rencontres où le passé doit servir de règle au présent, où l’histoire est l’oracle que l’on consulte, et où les lois que la mémoire ne fournit pas, doivent décider les difficultés qui surviennent.

Il est vrai qu’alors on peut recouvrer ailleurs les auteurs dont on a besoin ; mais la recherche en est longue et pénible, elle apporte toujours du retardement aux affaires , et elle montre qu’il manque quelque chose à la Cour du plus puissant des Rois.

Aussi sans parler de plusieurs particuliers, la plupart des Princes de l’Europe reconnaissant de quel usage sont les Bibliothèques en ont dans leurs maisons de plaisance, et entre autres les Rois d’Espagne ont fait mettre dans l’Escurial la plus belle qui sait en tous leurs États. Ils considèrent les livres avec juste raison comme une compagnie qui n’est pas incompatible avec la solitude, qui peut être à leur choix ou gaie ou sérieuse, qui modère les passions de l’âme, qui même sait quelquefois guérir les maladies incurables à la médecine ; ils les regardent comme un ornement où la pompe de leur palais est la plus éclatante, où l’esprit a plus de part que les yeux, et trouve toujours les charmes de la nouveauté.

Abel de Saint-Marthe, Discours au Roy sur le rétablissement de la Bibliothèque royale de Fontainebleau. MDCLXVIII.

L’orthographe et la ponctuation ont été modernisées.

Autres photos du château et de son parc ici.

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