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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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8 septembre 2010

Même avec les meilleurs intentions du monde…

Classé dans : Littérature, Éducation — Miklos @ 8:29

Le site Bac de français propose « tout gratuit pour réviser l’oral et l’écrit du bac de français 2011 ! », une pléthore de fiches sur des œuvres courtes ou longues, de prose ou en vers, des extraits avec présentation (La Peste en une ligne – on se croirait sur Tweeter –, ça donne « La Peste, de Albert Camus, est un roman écrit en 1947 dont le personnage principal est le docteur Rieux qui combat sans relâche l’épidémie qui ravage la ville d’Oran. »). Tout pour l’élève pressé comme un citron, et dans une optique généreuse de don, pas comme certains services payants, même si le résultat est le même : c’est quelqu’un d’autre qui fait le travail pour vous (c’est ce qui a dû arriver au chameau devenu ainsi dromadaire, en bossant moins).

Les fiches ne sont pas signés (comme dans Wikipedia, tiens ! à ce propos, lisez ceci), on ne peut savoir qui les a rédigées ni surtout son niveau de connaissance ou de compétence. Il semblerait que certaines aient été pondues par des élèves pour des élèves, ce qui suppose qu’ils en savent déjà autant que leurs supposés maîtres… cela en dit beaucoup sur l’éducation telle qu’elle se pratique, mais passons pour nous rendre sur la fiche consacrée au Curé et le mort de Jean de la Fontaine.

Le texte en question s’évertue à mettre en évidence « le comique du récit », mais il est involontairement très drôle, du fait que l’ironie du poète, qui se manifeste par une allusion littéraire, échappe totalement à l’auteur de l’article. Cette fable met en scène un curé qui « s’en allait gaiement enterrer » un mort, en se disant que ce serait une très bonne affaire, « tant en argent, et tant en cire, et tant en autres menus coûts ». Mais le corbillard verse, le curé est tué, et les deux morts « s’en vont de compagnie ».

Au cours du récit, La Fontaine décrit le regard avide du pasteur (au sens générique du terme) ainsi :

Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l’on eût dû ravir ce trésor (…).

Le critique anonyme nous explique alors que :

La Fontaine se moque du curé en l’appelant Messire Jean Chouart au vers 18, ce qui relève du style héroïcomique : il donne une fausse importance au prêtre, ce qui va lui permettre de mieux le rabaisser.

Il (le critique) n’a pas dû lire Pantagruel de Rabelais (que La Fontaine ne devait pas ignorer)… Panurge y essaie par tous moyens de conquérir une des grandes dames de la ville. Il n’y va pas par quatre chemins pour lui indiquer ses intentions :

— Madame, ce serait bien fort utile à toute la république, délectable à vous, honnête à votre lignée, et à moi nécessaire que fussiez couverte de ma race ; et le croyez, car l’expérience vous le démontrera.

La dulcinée n’est pas convaincue, et le repousse à plus de cent lieues. Mais il revient à la charge, encore plus explicitement :

— Tenez (montrant sa longue braguette), voici maître Jean Chouart qui demande logis.

Vous voyez maintenant qui est réellement Jean Chouart, nom dont La Fontaine affuble son curé (dont le sort est de se casser la tête…) et Rabelais un certain attribut de Panurge (ailleurs il l’appelle Jean Jeudy) ? La « moquerie » de La Fontaine n’est pas tant dans l’emploi de « messire » – interprétation superficielle – mais du nom lui-même  pour le percevoir, il faut donc connaître ses classiques (ou, à défaut, tourner ses doigts sept fois sur les moteurs de recherche avant d’ecrire)…

Comme quoi, même si le don est une vertu en soi, il ne garantit en rien l’utilité du cadeau.

On a trouvé une autre explication dans un ouvrage publié près d’un siècle après le décès de La Fontaine (en 1695), et invoquant le témoignage d’une personne qui, vu son jeune âge à l’époque, n’aurait pu assister à la scène qu’il rapporte. Citons cette « historiette savoureuse », titre du passage dans l’almanach en question, tout en nous tenant à notre explication, encore plus savoureuse :

On tient cette historiette du célèbre abbé d’Olivet (1682-1768). (…) Le nom de ce curé Chouart n’est point inventé à plaisir. Il a réellement existé. Il était d’une famille très distinguée dans la Touraine, conseiller du Roi, docteur en théologie de la Faculté de Paris, curé de St. Germain le Vieux, doyen de MM. les curés de cette ville, ami de Boileau, de Racine, de Molière, de Chapelle, de La Fontaine, Un jour que ces hommes illustres s’égayaient à table avec quelques flacons de vin de Champagne, le sévère Despréaux prenant tout à coup un air grave, se mit à prêcher La Fontaine sur le scandale de sa séparation avec sa femme. Racine seconda Boileau avec cette éloquence douce et insinuante qui lui était si naturelle. « Eh bien ! Messieurs, dit l’admirable bonhomme, eh bien ! puisque vous le voulez, j’irai voir cette femme [pour me réconcilier avec elle, ce qu’il tenta de faire] ; elle dit pourtant que je fuis un malpropre. » M. le curé Chouart, qui était du nombre des convives, vint à la charge, et voulut à son tour sermonner La Fontaine ; mais celui-ci l’arrêtant tout court par un Tu quoque, mi Brute, le pria d’entonner un beau Gloria in excelsis. Pour l’intelligence de ce Gloria, il faut savoir que M. Chouart, à la messe de paroisse , après l’intonation du Gloria et du Credo , quittait l’autel et montait à son appartement pour attiser son feu et faire bouillir sa marmite. « Voilà de la besogne taillée pour vous, disait-il à ses chantres, n’allez pas si vite ». La Fontaine à son retour de Château-Thierry, fit pour se venger du curé la fable en question. Mail il faut rendre justice à la vérité :

Certaine nièce assez proprette
Et la chambrière paquette

ne doivent leur existence qu’à l’imagination du fabuliste qui les a malicieusement placées dans le presbytère du pasteur. Il est constant que notre bon curé n’eut jamais de domestiques mâles ni femelles. Une pauvre vendeuse d’herbes ouvrait la porte aux paroissiens qui avaient à faire à M. Chouart.

M. d’Aquin de Château-Lyon, Almanach littéraire, ou étrennes d’Apollon. 1787.

Ce texte, identique au mot près à l’exception de l’attribution à d’Olivet, est paru aussi dans L’esprit des journaux en 1775, signé par « Choquet, prêtre ».

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