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17 novembre 2005

Parle peu, agis beaucoup

Classé dans : Musique — Miklos @ 1:16

Cette maxime aurait pu servir de titre à mon récent article sur le difficile passage à l’acte. Elle est tirée du neuvième traité du Talmud babylonien (appelé Traité des Pères), recueil de principes d’éthique et de morale édictés entre 450 et 200 avant J.-C. et qui, pour la plupart, n’ont rien perdu de leur valeur sociale et personnelle exemplaire :
• « Qui est sage ? Celui qui apprend de chacun. Qui est fort ? Celui qui domine ses passions. Qui est riche ? Celui qui est content de son sort. »
• « Celui qui veut trop de gloire perd celle dont il jouit déjà. Celui qui n’augmente pas ses connaissances les diminue. Celui qui ne veut rien apprendre n’est pas digne de vivre; et celui qui instrumentalise le pouvoir politique tombera. »
• « Soyez prudents dans vos relations avec les grands, car ils ne se laissent approcher que lorsque leur intérêt personnel le leur commande. Ils vous aiment tout le temps qu’ils ont besoin de vous; mais si malheureusement vous avez besoin d’eux, ils vous abandonnent. »
• « Là où il n’y a pas d’homme [droit, respectable], efforce-toi d’en être un ».
• « Sache d’ou tu viens, et vers où tu vas. »

La maxime en exergue est l’une des quatre citations que Steve Reich a utilisé dans You are (Variations), la deuxième des œuvres que l’Ensemble Modern a jouées ce soir au Châtelet dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, sous la direction efficace et précise, quasi boulezienne, de Frank Ollu, avec les Synergy Vocals pour cette pièce. Cette œuvre (écrite en 2004, et dont ce fut la création française ce soir) porte la touche de Reich : on en reconnaît la griffe dès les toutes premières notes – mais c’est aussi le cas de la musique d’autres grands compositeurs, chez lesquels le style n’est pas devenu un procédé éculé sans contenu. Écrite pour ensemble vocal, quatre pianos, vibraphone, percussions, vents et cordes, elle est composée de quatre mouvements, correspondant aux quatre citations (dont une de Wittgenstein), d’une structure formelle très précise et finalement dans l’esprit des principes de composition classiques au niveau de la forme et de l’harmonie. Quant aux traitements mélodique et rythmique et à l’instrumentation, ils tissent une texture complexe et riche, chatoyante sans être éblouissante : les voix (qui rappellent curieusement les Swingle Singers) fusionnent avec les instruments à en perdre les repères habituels, tandis que les quatre pianos semblent parfois se transformer en percussions ; le rythme si métronomique d’apparence se met à swinger délicatement. Le dernier mouvement, canon sur la citation en question, joue sur les différences de tempi, les paroles « parle peu » étant chantés très rapidement (en hébreu), à l’encontre de « agis beaucoup », dit posément. Une belle œuvre, réflexive et intense.

La première partie du concert comprenait la création française de The Yellow Shark (1991/92) de Frank Zappa, prématurément décédé à l’âge de 53 ans en 1993. Cette œuvre comprend huit « mouvements », composés entre 1983 et 1992, qui démontrent la rigueur musicale et l’humour décalé de ce compositeur hors normes et hors écoles, la palette si riche de genres qu’il maîtrisait pour évoquer des atmosphères très différentes d’un mouvement à l’autre : l’un, où trompette, clarinette et flûte dessinent un air mélancolique sur un accompagnement syncopé comme pour une musique de cirque pour le spectacle d’un triste clown ; l’autre, sans mélodie, qui aurait pu être signé de quelque compositeur de musique contemporaine pour son côté dépouillé et pourtant d’une texture très riche ; un troisième, joyeux et enlevé… Une musique exubérante, impeccablement jouée par l’Ensemble Modern.

Ce concert m’a presque réconcilié avec la salle du Châtelet : place excellente, sonorité excellente, programme excellent, exécution excellente. Mais pourquoi diable fallait-il un entracte de 45 minutes dans un concert dont la durée des œuvres est d’environ une heure ?

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