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9 décembre 2005

Je ne suis pas Catherine Deneuve

Classé dans : Cinéma, vidéo, Théâtre — Miklos @ 3:31

J’étais encore un adolescent romantique vivant à l’étranger quand j’ai vu Belle de Jour de Luis Buñuel. Je ne me souviens que de Catherine Deneuve, de l’effet qu’elle m’a fait alors : celui d’un glaçon brûlant et d’une perfection dépravée, celui d’un secret insondable et d’un mystère noir. Sous son halo blond cendré, je devinais Lilith. Ce n’est que bien des années plus tard que je réalisai que derrière cette « beauté façonnée de mystères nombreux (…) elle était simplement, pour sa part, un sphinx sans secret »1. Puis il me sembla percevoir un côté dur et impatient, hautain voire méprisant. J’étais tombé en désamour.

Si Geneviève la brune se prend pour Catherine Deneuve, dans la pièce de théâtre Moi aussi je suis Catherine Deneuve de Pierre Notte2, c’est pour tenter de dissimuler, sous l’image de ce personnage froid et tout puissant, sa solitude affective et résister à la pression infantilisante de sa mère. Marie, sa sœur, interprète devant un public imaginaire les chansons que leur mère avait chantées au Québec avant son mariage, ne se remet pas du suicide de son petit ami, et se taillade les bras pour se sentir exister autrement qu’en tant que clone du passé de leur mère. Le frère ne parle pas, à l’instar du père qui avait vécu puis était parti sans mot dire, et tire des balles dans le mur de son appartement comme pour percer son enfermement. Et la mère, dans tout ça ? Sa carrière – et donc sa vie – s’est arrêtée quand elle s’est mariée et a eu ces enfants qu’elle ne désirait pas vraiment, mais qu’elle aime, à sa façon, et souffre de les voir se détruire, pour elle, à cause d’elle. Aigrie, autocrate et rigide, elle exerce un rituel figé depuis vingt ans, cuisine les mêmes plats, lance vigoureusement les mêmes remarques à ses enfants qui ont grandi sans qu’elle le remarque, « pour leur bien », phrase qui n’a plus de sens : elle ne sais pas ce dont ils ont besoin.

Cette famille perdue, blessée, hystérique, qui ne se fait pas de cadeaux, est campée avec beaucoup de talent, de violence affichée et de tendresse retenue, par ce petit groupe d’acteurs, dans une mise en scène hiératique, qui fait ressortir les côtés archétypaux de cette famille si commune et si extraordinaire enfermée dans une répétition sans fin. L’issue ? l’amour ou la mort. La mise en scène, simple et ingénieuse, permet de voir la famille sous tous ses angles. Le texte, d’une ironie décapante, manie le contrepoint d’une façon souvent musicale lorsqu’il tisse dans une dentelle complexe deux monologues parallèles qui ne sont pas sans rappeler ceux des pièces absurdes d’Ionesco, et permet de se distancier quelque peu de ce qui serait autrement bien plus insoutenable. Les chansons – de Marie et parfois des autres – illustrent à leur façon mélancolique et douce ce drame de la folie ordinaire.


1 Oscar Wilde : Le Sphinx sans secret.
2 Au Théâtre Pépinière-Opéra, Paris. édité dans la collection Quatre-Vents à l’Avant-scène Théâtre.

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