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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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9 janvier 2011

Une nuit sacrément facétieuse, ou, L’histoire du tailleur nécro­mancien italien dévoré par son apprenti transformiste avec une plaisante et gaillarde énigme en guise d’épilogue

Classé dans : Littérature, Peinture, dessin — Miklos @ 14:29

L’amusant – et surprenant – conte que l’on va lire ici est tiré du deuxième volume des Facécieuses nuits du seigneur Jean François Straparole, contenant plusieurs belles fables et plaisans énigmes racontées par dix damoiselles et quelques gentilshommes. Ce recueil, publié à Venise dans les années 1550 en deux livraisons sous le titre de Piacevoli notti, sera presque aussitôt traduit en français par Jean Louveau (pour le premier volume, en 1560), puis par Pierre de la Rivey (pour le second volume, quelque treize ans plus tard). José Corti en publiera en 1999 une édition établie par Joël Gayraud.

Le texte ci-dessous, dont on a modernisé l’orthographe et annoté ici et là le vocabulaire, provient d’une édition de 1857 de la deuxième partie. Il s’agit de la cinquième fable de la huitième nuit. Les illustrations, elles, sont tirées de la réédition de 1810 d’une adaptation anglaise de la fable, The Italian Taylor and his Boy par Robert Armin, publiée à Londres en 1609. Trois siècles plus tard, une nouvelle traduction illustrée de l’ensemble des fables est publiée à Londres en anglais.

Denis, apprenti de maître Lactance, tailleur, ne
tient compte d’apprendre son métier de tail-
leur, mais bien la secrète science de son
maître. Grande haine entre eux à
cette occasion ; enfin Denis
dévore son maître, puis
épouse Violante,
fille du roi.

L

es jugements, comme les volontés des hommes, sont bizarres et variables, et chacun, comme dit le sage, abonde en son sens. De là procède qu’aucuns s’adonnent à l’étude des lois, autres à l’art oratoire, qui à la spéculationObservation, méditation, théorisation., qui à la philosophie, et qui à une autre chose, ainsi besognantœuvrant. la maîtresse nature, laquelle, comme piteuse mère, meutMène. un chacun à ce qui lui est plus agréable. Ce qui vous sera notoire si à mes paroles il vous plaît prêter un peu de paisible audience.

En l’île de Sicile, qui d’ancienneté surpasse toutes les autres, est une cité vulgairement nommée Messine, noble, belle, et fort renommée à cause de son port. D’icelle naquit maître Lactance, homme bien versé en deux sciences, assavoir : la couture, qu’il pratiquait publiquement et aux yeux d’un chacun, et la nécromanceArt prétendu d’évoquer les morts pour connaître l’avenir. Magie., laquelle il exerçait de nuit, en secret et cachette. Advint un soir que cet homme, s’étant enfermé seul en sa chambre, faisait quelques caractères et signes appartenant à sa cabale, quand, de malencontre, il fut découvert par un jeune garçon, nommé Denis, son apprenti, qui, pensant retourner en la chambre pour quelques affaires, trouva la porte fermée, de laquelle (pource qu’au dedans il entendait du bruit) il s’approcha doucement ; et regardant au travers d’un pertuisOuverture., vit son maître en furie, faisant ses charmes. À quoi ce jeune garçon prit si grand plaisir, qu’il délibéraDécida, se détermina à. apprendre ses secrets, sans toutefois se vouloir déclarer ; et dèslors, laissant à part aiguille, dés et ciseaux, ne se souciait plus que d’apprendre ce qu’on ne lui voulait montrer.

Lactance, voyant Denis avoir changé de naturel, et de diligentPrompt à faire les choses., vigilant et de bon ouvrier qu’il était au commencement, être devenu lâche, paresseux et ignorant, ne prenant plus plaisir, comme était sa coutume, à travailler de son état, lui donna congé, le renvoyant à son père, lequel fut le plus étonné du monde de le voir ainsi chassé, ne se pouvant imaginer pourquoi.

Quelque temps après, ce bon homme, ayant soigneusement admonesté son fils de son devoir, le ramena à Lactance, qu’il pria de bien bon cœur icelui vouloir reprendre, et Au cas où, si. désormais il ferait l’opiniâtre et ne voudrait travailler, le châtier très bien, ne voulant autre chose de lui sinon qu’il lui apprit son métier. Lactance, qui connaissait le père du garçon être bon pauvre homme, ne se fit trop tirer l’oreille, ainsMais. le reprit, lui montrant tous les jours avec grand soin comme il fallait tailler et coudre ; mais Denis n’y voulait entendre. Au moyen de quoi à chaque bout de champ son maître le chargeait de mesure, faisait trotter l’aune sur ses épaules et partout, tellement que le pauvre diable, qui portait plus de coups qu’il ne mangeait de morceaux de pain, avait toujours les yeux pochés au beurre noir, chose qu’il endurait patiemment, tant le rendait insensible le désir qu’il avait d’apprendre cette secrète science, que toutes les nuits, par la fente de la porte, il voyait pratiquer à son maître, qui, jugeant cet apprenti d’un esprit lourd et grossier, ne pouvant comprendre chose qu’on lui montrât, ne se souciait déjà plus d’exercer son art diabolique devant lui, se persuadant que, s’il ne pouvait apprendre à coudre, qui était chose bien aisée, qu’encore moins apprendrait il sa cabale, qui était tant difficile. A cette cause, ne se voulut plus cacher de lui, dont Denis fut le plus content homme qui fut jamais au monde ; lequel, encore qu’on l’eût en estime de lourdaud, grossier et de peu d’entendement, si est-ce qu’en peu de jours il se fit si savant en cette science, qu’il en savait plus que son maître.

Un jour le père de ce garçon passait par devant la maison de Lactance, et, ne voyant point son fils en la boutique, entra dedans, et vit qu’au lieu de coudre et apprendre son métier, on lui faisait porter du bois en la cuisine, aller à l’eau, bercer l’enfant, balayer la maison et faire tout ce qui appartient à une chambrière. Dont le bon homme fut tant fâché qu’il voulut ravoir son fils, qu’il mena en sa maison, où étant commença à le tancer, disant :

— « Denis, tu sais ce que j’ai dépendu pensant te faire apprendre quelque chose de la couture, afin qu’un jour tu puisse gagner la vie de toi et de moi ; mais, hélas ! j’ai semé en l’eau, car jamais tu n’as rien voulu apprendre, dont je meurs sur les pieds, me trouvant en telle nécessité que je ne sais plus de quel bois faire flèches, ni comment te nourrir ; qui me fait t’admonester, mon fils, de gagner honnêtement ta vie, et au mieux qu’il te sera possible. »

Et achevant cette dernière parole, le bon homme se prit à pleurer. Quoi voyant Denis, lui répondit :

— « Mon père, je vous mercie autant humblement qu’il m’est possible de la dépense, peines et longs travaux qu’avez soufferts en mon occasion, vous suppliant croire que, si je n’ai employé mon temps à apprendre le métier de tailleurs, comme était votre volonté, je ne l’ai toutefois dépendu à éplucher mes doigts au soleil et ne rien faire, m’étant acquis par mes longues veilles et continuels labeurs une science laquelle j’espère désormais si heureusement pratiquer que vous et moi vivrons contents le reste de nos vies. Apaisez-vous donc, mon père, je vous prie, et ne vous tourmentez ainsi ; ainsMais. prenez bon courage, et vous réconfortez. Et afin que ne pensiez que je vous dis ces choses pour vous entretenir de paroles, je vous en veux montrer l’expérience. Demain, par la vertu de cet art secret, je me transformerai en un beau cheval, que vêtirez de selle et bride, puis me mènerez vendre au marché, et, votre vente faite, vous en reviendrez ; mais ne serez plutôt retourné céans la main chargée et pleine d’écus, que m’y trouverez en la même forme que me voyez maintenant. Ainsi connaîtrez-vous si j’aurai profité ou non, vous ayant en si peu de temps donné de quoi longuement vous entretenir ; mais je vous avise sur toutes choses, et je vous en prie, vous garder qu’en me vendant ne me livriez avec la bride, qu’il faut, quoi qu’il en soit, que vous vous réserviez, sans vous en dessaisir : autrement je ne pourrais plus retourner, et peut-être ne me verriez vous jamais. »

Le lendemain venu, Denis se déshabilla ; et s’étant frotté tout le corps de je ne sais quelle graisse en la présence de son père, grommela quelques mots, auxquels ayant mis fin, le bon homme fut tout étonné qu’au lieu de son fils il vit un beau et puissant cheval, qu’il enharnacha comme il lui avait été dit, puis le mena au marché, où arrivé fut incontinent environné d’un monde de marchands et maquignons, lesquels, ravis de la beauté et bonnes façons de la bête, qui maniait si bien ses membres et tout le corps tant librement, et avec une telle promptitude et dextérité que c’était merveilles, demandaient tous s’il était à vendre, auxquels le vieillard répondait que oui, quand de fortune Lactance s’y trouva, lequel ayant bien visité ce cheval, connutReconnut. qu’il était supernaturelSurnaturel. ; au moyen de quoi, s’étant doucement retiré de la presse, en la plus grande diligence à lui possible, courut en son logis ; et, déguisé en marchand, et saisi d’une grande somme de deniers, retourna au marché, où il trouva encore le bonhomme avec son cheval, duquel s’approchant derechef et le regardant attentivement, s’aperçut que c’était son Denis. Lors, demandant au bon homme s’il le voulait vendre, lui dit que oui, et étant d’accord, maître Lactance lui conta deux cents écus pour la bête, qu’il voulait saisir par la bride, quand le vieillard lui dit qu’il n’entendaitConsentait à ce que. que la bride fût du marché, ainsMais. voulait qu’elle lui demeurât ; autrement ce n’était rien de fait. Mais Lactance sut tant bien causer et lui bailler du plat de la langueFlatter., qu’il eut bride et cheva, qu’il mena en sa maison ; et l’ayant mis en l’étable et étroitement lié contre la mangeoire, le servait soir et matin de cent mille coups de bâton, de modeSorte. qu’en peu de temps le pauvre cheval devint si maigre et décharné, qu’il faisait pitié à qui le regardait.

Or Lactance avait deux filles, lesquelles, connaissant la cruauté de leur mauvais père, allaient tous les jours en l’étable visiter ce malheureux cheval, qu’elles flattaientCaressaient d’un mouvement léger de la main., caressaient et traitaient à leur possible ; si qu’une fois entre les autres, elles le prirent par le chevêtreCrinière., et le menèrent à la rivière pour le faire boire, où le cheval ne fut plutôtAussitôt., qu’il se lança dans l’eau, et se transformant en un petit poisson, se perdit sous les ondes. Ces filles, voyant l’étrangeté de cette aventure, demeurèrent grandement ébahies, et, retournées en leur maison, se mirent à faire le plus grand deuil qu’on vit onques, se battant la poitrine, arrachant leurs beaux et blonds cheveux, et sanglotant à toute heure. À quelque temps de là, voici Lactance arriver, lequel, entrant en l’étable pour frotter son cheval d’autre bouchon que de paille, fut étonné qu’il ne le trouva plus, dont il fut bien fâché ; et monté où étaient ses filles, qu’il trouva pleurantes, sans autrement s’informer de l’occasion de leurs larmes, d’autant qu’il savait bien où le mal les tenait, leur dit : « Mes filles, n’ayez point de peur, et me dites seulement qu’est devenu le cheval, afin que j’y puisse pourvoir d’heureÀ temps.. » À cette parole, les pauvrettes, s’étans assuréesRassurées., lui contèrent comme le tout s’était passé ; quoiCeci. entendu par le père, se dépouilla soudain, et ayant pris son chemin vers la rivière, se transforma en un tonThon., puis se jeta dans l’eau, poursuivant à force d’aileronsNageoires. le petit poisson afin de le dévorer, lequel, s’étant aperçu du thon aux grandes dents et craignant qu’il ne l’engloutît, s’approcha du bord de la rivière , de laquelle il sortit transformé en un riche rubis enchâssé en or, puis sauta dans le panier d’une des damoiselles àAu service de. la fille du roi, laquelle, en s’ébattant sur le rivage, l’emplissait de petites pierrettes qu’elle tirait d’entre le menu sablon.

Ceste damoiselle donc retournée au logis, et ayant tiré son butin du petit panier, la fille unique du roi, nommée Violante, vit parmi ces pierrettes reluire cette bague, qu’elle prit et mit en son doigt, comme chose qu’elle tenait bien chère. La nuit venue, et cette princesse retirée en sa chambre, l’anneau prit la figure d’un beau jeune homme, lequel, mettant la main sur le sein délicat de Violante, trouva deux petites rondes mamelles, qui commençaient s’enfler ; quoi sentant la pucelle, qui ne faisait encore que sommeiller, eut peur, et se levant en sursaut, voulait crier, quand le jouvenceau, mettant la main sur sa bouche pleine de senteurs, l’empêcha. Adonc se jetant à genoux devant elle, lui requîtDemanda. pardon, la suppliant le vouloir aider en ses misères, et croire qu’il n’était là venu pour souiller sa chaste et sainte pudicité, mais bien pour implorer son secours, lui déclarant qui il étoit, la cause de sa venue et commeComment. et par qui il était poursuivi. Violante, aucunement assurée par la lueur de la lampe qui brûlait en sa chambre, et par les paroles du jeune homme, qu’elle vit beau et gaillard, prit pitié de lui, et dit :

— « Jeune homme, tu t’es montré bien téméraire et outrecuidéPrésomptueux., de venir en lieu où tu n’as été appelé, et encore beaucoup plus présomptueux de toucher ce que les grands n’osent quasi regarder ; toutefois je ne veux te châtier selon tes mérites, eu égard à tes mésaventures, au récit desquelles tu m’as tellement émue à pitié, que je te veux bien montrer que je ne suis de marbre, et n’ai le cœur de diamant ; c’est pourquoi je délibère te prêter tout le charitable secours que mon honnêteté pourra permettre. »

Dont le jouvenceau la remercia bien humblement, et le jour étant venu reprit la figure de l’anneau, que la princesse mit avec ses joyaux plus précieux.

En ce temps advint que le roi, père à Violante, tomba en grave maladie, que l’on ne pouvait guérir, les médecins la jugeant incurable ; aussi de jour en jour allait en empirant. QuoiCeci. venu aux oreilles de Lactance, contrefitFit (imita, se déguisa en). le médecin, alla au palais roial, et, entré en la chambre du roi, s’informa de sa maladie, et puis ayant tâté son pouls et considéré son urine, lui dit :

— « Sire, votre maladie est grande et fort dangereuse ; mais prenez courage, car en bref vous guérirez, pour ce queParce que. je sais un tel remède, que je me fais fort guérir en peu de jours la plus cruelle et forte maladie qu’on puisse avoir.

— Maître, dit le roi, si me pouvez faire recouvrer ma santé comme vous dites, je promets vous si bien récompenser, que tout le temps de votre vie en demeurerez content. »

Lors le medecin :

— « Sire, je ne vous demande états, dignités ni trésors, ainsMais. seulement qu’il plaise à votre majesté me faire une seule grâce. »

Ce que le roi lui promit, moyennant qu’il lui demandât chose raisonnable.

— « Je ne demande autre chose de votre majesté, sire, dit le médecin, sinon un rubis enchâssé en or, lequel est aujourd’hui en la puissancePossession. de madame votre fille. »

Le roi, voyant une si légère demande, lui dit :

— « Maître, si ne voulez autre chose, assurez-vous que serez tôt content. »

Dont le médecin remercia bien humblement le roi, lequel de là en avant il pensa avec une telle diligence, qu’en moins de dix jours il le rendit tout sain et dispos.

Le roi, guéri, fit en la présence du médecin appeler sa fille, à laquelle il commanda lui apporter tous les joyaux qu’elle avait, et la princesse obéit. Monsieur le médecin, ayant tout bien vu et visité, dit que le rubis qu’il demandait n’y était pas, et que madame regardât où il était. Cette princesse, qui aimait ce rubis surAu-dessus de, plus que. toutes choses, disait n’avoir autres bagues que celles qui étaient là, ce qu’entendu par le roi, dit au médecin :

— « Allez et retournez demain, et je ferai tant que ma fille me bailleraDonnera. l’anneau. »

Le medecin parti, le roi appela Violante, lui demandant amiablement où était ce beau rubis que le médecin voulait avoir, et qu’elle lui donnât, et il lui en rendrait un plus beau de la moitié ; mais elle n’en voulut jamais rien dire, qui fut cause qu’il la renvoya. À peine fut elle en sa chambre, où elle s’enferma, qu’elle se mit tendrement à pleurer la perte de son pauvre rubis, qu’elle baignait tout en larmes, le baisant de grand amour, maudissant l’heure et la journée que jamais le médecin avait mis le pied en la court du roi son père. Le rubis, voyant les chaudes larmes qui coulaient des yeux de cette belle princesse et les profonds soupirs de son cœur, reprit sa forme humaine, et lui dit :

— « Ma dame, de qui dépend l’heurBonne fortune. de ma vie, je vous supplie ne vous attrister ainsi à mon occasion, ainsMais. plutôt chercher quelque bon remède contre notre malheur, parce que le médecin qui tant soigneusement pourchasse à m’avoir est mon ennemi capital, qui cherche à me faire mourir. Ainsi donc, ma dame, comme sage, prudente et bien avisée, ne me mettez s’il vous plaît en sa puissance, mais, faignant être fâchée, me jetterez contre le mur, après je pourvoirai au surplusReste.. »

Le lendemain matin le médecin retourna vers le roi, qui lui dit sa fille l’avoir assuré n’avoir l’anneau ; quoiCeci. entendu, se troubla grandement, affirmant le contraire, et que le rubis était en la puissancePossession. de la princesse, que le roi fit derechef appeler en la présence du médecin, et lui dit :

— « Violante, tu sais que j’ai recouvré ma santé par la soigneuse diligence de ce médecin, qui pour toute récompense ne me demande que cet anneau qu’il dit être entre tes mains, et toutefois tu me le refuses ; j’eusse cru que, pour l’amour que tu me portes, tu ne m’eusses seulement voulu donner un rubis, mais encore ta propre vie ; c’est pourquoi je te prie, par l’obéissance que tu me dois et l’amitié que je te veux, ne me refuser cette bague, que je te récompenserai de tout ce que tu voudras. »

La princesse, ayant entendu le vouloir du roi son père, alla en son cabinet, duquel elle apporta tous ses joyaux, avec lesquels elle mêla le rubis, et en la présence du roi, les maniant les uns après les autres, les montrait au médecin, qui soudainAussitôt. qu’il vit la pièce qu’il désirait, voulut mettre la main dessus, disant :

— « Ma dame, voilà la bague que je désire, et que le roi m’a promise. »

QuandAlors. la princesse, en le repoussant, lui dit :

— « Attendez, maître, vous l’aurez. »

Lors, prenant l’anneau entre ses doigts :

— « Voici donc ce tant cher et précieux joyau que demandez, et la perte duquel me rendra désolée tout le temps de ma vie ; or je ne le vous donne pas de ma bonne volonté, mais étant contrainte par le roi mon père. »

Ce disant, jeta contre la muraille le rubis, qui étant tombé contre terre s’ouvrit incontinent, et devint une belle pomme de grenade, laquelle, éparpillée, répandit ses grains de toutes parts. Quoi voyant, le médecin se transforma soudainement en un coq, pensant avec son bec dévorer le pauvre Denis ; mais il fut trompé, pour ce qu’un grain se cacha de telle sorte que le coq ne le peut voir. Ce grain, ayant attendu l’opportunité, se convertit en un renard, et se ruant impétueusement sur monsieur le coq, le prit par la gorge, l’étrangla et dévora en la présence et au grand ébahissement du roi et de Violante sa fille. Ce fait, et Denis ayant repris sa première figure, raconta le tout au roi, qui lui fît épouser la princesse, avec laquelle il a vécu longtemps en bonne paix et tranquillité, au contentement du bon vieillard père à Denis, qui de bien pauvre et souffreteux devint riche et opulent en biens, et Lactance par son envie demeura sans vie.

La plaisante fable de Laurette était achevée au plaisir et contentement d’un chacun, quand Madame lui fit signe qu’avec une plaisante et gaillarde énigme elle les réveillât, et mît fin aux plaisants discours de cette soirée, d’autant que le coq, par son chant, annonçait la venue du jour. Laquelle, avec un visage riant, et sans se faire trop tirer l’oreille, dit en cette manière :

Énigme.

C

elui qui m’aime bien m’estime et prise tant
Qu’il ne me veut jamais, s’il peut, perdre de vue,
Est tant épris de moi, qu’aussitôt qu’il m’a vue
Il faut qu’il me caresse, ou il n’est point content.

Il me baise, me prend, m’embrasse, et, me tâtant,
Me met dedans le corps un bout qui toujours sue.
Ce fait, si brusquement çà et là me remue,
Que l’haleine lui faut
Qu’il en perd la respiration.
, et se lasseFatigue. d’autant.

De ce trémoussement et plaisante secousse
Procède une douceur si suave et si douce,
Que toute elle ravit les esprits et les cœurs ;

Néanmoins sur la fin il faut qu’on le retire,
Afin de l’essuyer, et les moites humeurs
Qui coulent d’un endroit que je ne veux pas dire.

Au récit de cette énigme, chacun se prit si fort à rire, principalement les hommes, qu’on n’eût pas entendu Dieu tonner, quant Ariane, qui avait été trompée par Alterie, se leva debout, faisant signe qu’on se tût. Lors commença à dire :

— « Messieurs, je vous supplie étrangerBannir. de vos cœurs toutes les mauvaises opinions qu’avez conçues sur l’exposition de l’énigme récitée par cette mienne sœur, d’autant qu’il est plus honnête que ne le pensez, ne voulant signifier autre chose que la trompette et celui qui en sonne ; lequel en est tant amoureux, qu’il faut qu’elle soit toujours pendue à son col ; quand il en veut sonner, il la prend, la baise, et met dedans un bout qui toujours sue, c’est à dire la langue ; après il la remue tant souvent çà et là, que l’haleine lui affaiblît et il faut qu’il se repose. Et de ce remuement procède une douceur si douce, c’est à dire le son d’icelle, qu’elle ravit les esprits et les cœurs des hommes ; mais sur la fin il faut qu’on retire le bout de la langue de dedans, afin de l’essuyer, aussiAinsi que. les humeurs, qui est l’eau qui coule par le gros bout de la trompette. »

Alterie, ayant entendu la vraie expositionExplication. de son énigme, fut toute troublée. Toutefois, connaissant qu’on ne lui avait rendu que la pareille, s’apaisa ; et les flambeaux allumés, chacun, prenant congé de Madame, s’en retourna jusqu’au lendemain.

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