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22 janvier 2006

La musique des sphères

Classé dans : Musique — Miklos @ 12:10

Certains instruments de musique pro­dui­sent des sonorités que l’ima­gi­naire qualifie de célestes ou d’outre-tombe, à cause de leur nature psycho­acoustique étrange qui les rend diffi­ci­lement loca­li­sables – dans l’espace, dans le timbre, dans les fréquences ou dans l’attaque, voire dans le dispositif utilisé pour en jouer. Ainsi, l’un des tous premiers instruments électro-acoustiques mono­pho­niques, le theremin, inventé vers 1918 par l’ingénieur russe Lev Termen (ou Léon Theremin, selon l’orthographe, 1896-1993) que l’on voit ci-contre en jouer – sans le toucher. Son boîtier est équipé de deux tiges métalliques fonctionnant comme antennes pour contrôler la hauteur et l’intensité du son produit par un circuit électrique oscillant, selon que l’on rapproche ou écarte la main (ou toute partie du corps) de l’une ou de l’autre. La maîtrise de l’instrument requiert une très grande précision dans la gestique, qui permet de produire aussi bien des transitions continues (glissandi) que des notes distinctes. L’interprète semble plutôt diriger un orchestre que jouer d’un instrument, et certains theremins permettent même d’être utilisés en dansant.

Le répertoire classique du theremin n’est pas très fourni : transcriptions de pièces pour violon ou pour voix (voire pour Ondes Martenot, en Russie, où le theremin y est plus répandu que cet instrument bien français), et quelques compositions originales – de Percy Grainger (dont une œuvre pour 6 theremins – que l’on doit disposer à distance les uns des autres pour éviter des interférences électriques), Bohuslav Martinů, Edgar Varèse (Ecuatorial), Charles Ives (Symphonie n° 4), et plus récemment Kasper Toeplitz… Il sert surtout dans la musique de films de science-fiction, d’horreur ou de suspense (et notamment dans La Maison du Dr Edwardes, d’Alfred Hitchcock, avec Ingrid Bergman et Gregory Peck), ou dans des groupes de musique rock, hip-hop, filk (avez-vous bien écouté les Beach Boys ?)… Les deux grandes interprètes du theremin sont Clara Rockmore (1911-1998) et Lydia Kavina, petite nièce de l’inventeur, qui enseigne l’instrument au Conservatoire Tchaikovsky de Moscou.

Pour ceux qui souhaiteraient les écouter : The art of the Teremin (avec Clara Rockmore et sa sœur la pianiste Nadia Reisenberg) et Music from the Ether: original works for theremin (par Lydia Kavina) ou le bien moins classique Theremin noir. Enfin, un instrument si étrange ne pouvait être qu’inventé par un homme à la vie étrange ; Lev Termen aurait aussi été un agent du KGB. Un DVD (zone 1) en retrace des épisodes et contient quelques extraits de films, de performances et d’entretiens. Une biographie plus fournie est disponible en livre.

La quête de la musique aérienne a précédé l’utilisation de la Fée électricité : on trouve dès la Renaissance dans les orgues un registre tremulant ou tremblant qui utilise un dispositif mécanique pour faire vibrer l’air, tandis que ceux de la voix céleste et de vox angelica utilisent deux rangées de tuyaux légèrement désaccordés l’un par rapport à l’autre pour donner une sensation de trémolo. Mais un tout autre matériau est exploité musicalement depuis – au moins – le premier millénaire : le cristal, dont la vibration produit des sons qui n’ont cessé d’enchanter. En 1743, un irlandais, Richard Puckeridge, (ré)invente le Seraphim, composé de verres à pied de cristal remplis à des degrés différents, dont on frotte le rebord avec un doigt humide, produisant ainsi des notes de hauteurs distinctes. Benjamin Franklin, qui avait assisté à un concert, en perfectionne le principe : il conçoit un instrument composé de bols de cristal imbriqués de façon rapprochée et montés sur un axe qui pivote, ce qui permet au musicien d’en effleurer plusieurs à la fois et de produire ainsi des notes tenues et des accords, sans avoir lui-même à fournir le geste rotatoire. Succès immédiat, qui durera une soixantaine d’années. « Le glassharmonica fut interdit par un décret de police dans certaines villes d’Allemagne et disparut vers 1835. Parmi les raisons invoquées : ses sons font hurler les animaux, provoquent des accouchements prématurés, abattent l’homme le plus robuste en moins d’une heure et suscitent la folie des interprètes. »1.


Mozart : Adagio pour glass-harmonica KV 356 (617a)
Clemens Hofinger, glass-harmonica
C’est en 1791, l’année de sa mort, que Mozart compose le Quintette avec glass-harmonica en ut mineur K. 617, immédiatement après un Andante pour orgue mécanique, et qui a certainement été le clou du concert de vendredi dernier, donné dans le cadre de la série Prades aux Champs-Élysées – intégrale de la musique de chambre de Mozart (deuxième saison) au Théâtre des Champs-Élysées, où il fut joué par Thomas Bloch, l’un des très rares interprètes de cet instrument (ainsi que des Ondes Martenot, du Cristal Baschet…). Si j’avais déjà vu l’instrument dans des musées et entendu des enregistrements de l’œuvre, la voir et l’entendre jouée a été un moment fascinant – autant pour le spectacle (qui débute par un lavage de mains destiné à les humidifier…) que pour la musique elle-même, délicate et claire, combinant avec un art consommé le glass-harmonica avec flûte, hautbois, alto et violoncelle – dont l’atmosphère n’est pas sans rappeler celle des Bagatelles op. 47 pour harmonium, deux violons et violoncelle de Dvořák (dont on peut écouter un long extrait ici dans l’interprétation du Quatuor Panocha avec Jaroslav Tuma à l’harmonium).

Une autre œuvre à la sonorité curieuse donnée lors de ce concert était la Sonate pour violoncelle et basson en si bémol majeur, K. 292 : les voix profondes et naturellement étouffées des deux instruments (Giorgio Mandolesi au basson et François Salque au violoncelle) pouvaient faire penser à la conversation, parfois animé, parfois calme, de deux messieurs distingués d’un certain âge (malheureusement couverts un moment par un téléphone portable qui s’est déclenché pendant le Rondo). Le concert s’était ouvert avec le Trio avec piano en mi majeur K. 542 interprété par Abdel Rahman El Bacha, bel indifférent, accompagné de Régis Pasquier et de Frans Helmerson. À l’opposé de cette performance trop cool, celle trop passionnément romantique et imprécise (ça tue, chez Mozart) du Trio pour clarinette, alto et piano en mi bémol majeur K. 498, interprété par Michel Lethiec, Nobuko Imai et Jeremy Menuhin, méritait bien le surnom « Des Quilles » donné à l’œuvre… Quant à la dernière œuvre, le classiquement parfait Quintette à deux altos en sol mineur K. 516, elle fut splendidement jouée avec une intensité maîtrisée et nuancée par le Quatuor Talich et Bruno Pasquier, un moment de bonheur ; belle clôture d’un concert très intéressant.


1Julien Masson : « Les instruments de cristal : des verres musicaux au cristal Baschet ».

Un commentaire »

  1. [...] était consacré aux instruments électroniques avec orchestre ; sur scène, il y avait deux thérémines (dont un joué par Lydia Kavina, petite-nièce de leur inventeur Lev Termen), deux ondes Martenot, [...]

    Ping par Miklos » Alla breve. XXXII. — 20 novembre 2010 @ 3:19

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