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14 février 2006

De la popularité de certains morts

Classé dans : Littérature, Musique — Miklos @ 22:17

1649-1793-… ?

Les Anglais se sont montrés fort rudes et fort grossiers dans le régicide. Le roi Charles Ier, à Whitehall, ne put dormir sa dernière nuit ; l’outrage chantait sous sa fenêtre et le marteau clouait son échafaud.
Les Français ne furent guère plus polis. C’est dans un fiacre qu’ils conduisirent Louis Capet au lieu de l’exécution ; ils ne lui accordèrent même pas un carrosse de remise, ainsi que l’eût voulu pour cette Majesté la vieille étiquette.
Ce fut pire encore pour Marie-Antoinette, car on le lui octroya qu’une charrette. Au lieu d’un chambellan ou d’une dame d’atours, un sans-culotte l’accom­pagnait. La veuve Capet relevait dédai­gneu­sement la lourde lippe infé­rieure des Habsbourg.
Français et Anglais sont natu­rel­lement dénués de sen­ti­men­talité. La sen­ti­men­talité, l’Allemand, seul, la possède. Sen­ti­men­tal il sera jusque dans ses com­por­tements terro­ristes. Toujours l’Allemand trai­tera une Majesté avec piété.
Il y aura un carrosse de cour, attelé de six chevaux empa­nachés de noir, enguir­landés, conduits par un cocher armé du fouet de deuil et pleurant sur le siège élevé.
Ainsi sera voituré vers la place d’exécution et très respec­tueu­sement dé­ca­pité le Monarque germanique.

Derniers Poèmes

Vieille chanson

La mort est venue, et tu n’en sais rien : la lumière de tes yeux s’est éteinte, ta bouche rouge est pâlie, et tu es morte, ô ma petite enfant morte.
Par une horrible nuit d’été je t’ai moi-même portée au tombeau : les rossi­gnols chantaient leurs lamen­tations, et les étoiles suivaient ton cercueil.
Le cortège longea la forêt, où résonnait la litanie ; les sapins, en manteaux de deuil, murmurèrent les prières des morts.
Nous passâmes près du lac des saules où dansaient en rondes les elfes ; ils s’arrê­tèrent tout à coup et nous regar­dèrent avec compassion.
Puis, arrivés près de ta tombe, la lune descendit du ciel et prononça un discours. – Un sanglot, des gémis­sements, et, dans le lointain, les cloches qui tintent.

Romancero : Lamentations

Tout le monde doit maintenant savoir qui est mort le 27 janvier, il y a 250 ans : beaucoup d’encre a coulé à son propos avant, pendant et après. Mais aucun journal français ne semble encore s’intéresser à Heinrich Heine, décédé le 17 février 1856, bien qu’il ait vécu les 25 dernières années de sa vie à Paris. Il est vrai que la musique est un genre plus accessible que la poésie, et qu’elle se vend donc beaucoup mieux, facteur premier de médiatisation. Il est vrai aussi que l’œuvre de Mozart est particulièrement aimée, quelle que soit la culture musicale de l’auditeur, et surtout si elle sert de musique de fond à des films tels qu’Elvira Madigan. Enfin, le personnage ne manque ni d’attrait – sacrément déluré, cet Amadeus – ni de mystère – ah, cette étrange commande pré­mo­nitoire du Requiem par un per­son­nage vêtu de noir – et qui n’était que l’émissaire du comte von Walsegg-Stuppach. L’œuvre de Heine, quant à elle, a dû passer par bien des pur­ga­toires, desservi par son origine juive (malgré sa conversion ultérieure au protes­tan­tisme) qui lui valu d’avoir ses livres brûlés par les nazis et sa mise à l’index par l’église catholique jusqu’en 1967.

Les rapports de Heine à la musique ne manquent pas. Tout d’abord familiaux : Giacomo Meyerbeer qui vécut, lui aussi, à Paris, où il composa des opéras sur des livrets d’Eugène Scribe (Robert le Diable, Les Huguenots, Dinorah, L’Africaine…) et à propos de qui Berlioz écrira : « Meyerbeer a non seulement le bonheur d’avoir du talent, mais, au plus haut degré, le talent d’avoir du bonheur ». Mais surtout littéraires : ses poèmes furent mis en musique dans plus de 3.000 mélodies (dont on trouvera une liste partielle ici), par Schumann (Dichterliebe, Du bist wie eine Blume…), Schubert, Mendelssohn, Liszt, Grieg, Strauss, Reynaldo Hahn, Orff… L’une des plus populaires est sans conteste Die Lorelei, sur la mélodie de l’oublié Friedrich Silcher (voir ci-dessous), texte qui a aussi inspiré Clara Schumann et Franz Liszt. De son côté, Heine était inséré dans la vie musicale, et en parle dans ses textes.

Si les débuts lyriques de Heine furent inspirés par le romantisme, il en reviendra plus tard et le critiquera amèrement, s’attaquant par la même occasion au nationalisme ambiant et à ses effets pervers, dont l’antisémitisme. Faut-il s’étonner qu’il ne fut pas très populaire dans son Allemagne natale ? C’est surtout le monde anglo-saxon qui sut apprécier à leur juste mesure le regard ironique et parfois amusé qu’il pose sur les affaires courantes, la philosophie, la politique ou les arts. C’est enfin celui qui a écrit, de façon prémonitoire (il connaissait si bien l’Allemagne) : « Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. »


Friedrich Silcher  Die Lorelei
Plusieurs manifestations vont marquer les 150 ans de la mort de Heinrich Heine. La chaîne de télévision Arte lui consacre la soirée de vendredi, de 22h10 à 0h15. À Paris, une gerbe sera notamment déposée vendredi au cimetière de Montmartre, où repose le poète, en présence de personnalités françaises et allemandes. On apprend aussi que les 4500 manuscrits de Heinrich Heine de la Bibliothèque Nationale française seront mis sur Internet d’ici un an. On peut déjà trouver des éditions en français de ses œuvres sur le site de Gallica. (Sources : SwissInfo, BlueWin).

À lire :
Le dossier Heinrich Heine de L’Encyclopédie de l’Agora, qui comprend une notice biographique détaillée tirée de l’édition de 1906 de ses œuvres choisies, une autre sur sa vie et son œuvre, tirée de l’ouvrage Histoire de la littérature allemande d’Adolphe Bossert (1904), une bibliographie et une liste de ressources externes.


Manuscrit de la Loreley de Friedrich Silcher

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