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10 mars 2005

Musique populaire, grande musique

Classé dans : Musique — Miklos @ 22:42

On a parfois tendance à opposer trop facilement la « grande » musique (ou « musique sérieuse » ou encore « classique ») à la musique populaire, en oubliant que les meilleurs compositeurs se sont souvent inspirés explicitement des airs connus à leur époque, tels Händel utilisant une mélodie sicilienne pour cornemuse dans son aria He Shall Feed His Flock du Messie, Mozart avec ses Variations sur « Ah, vous dirai-je maman ? » (K. 265), Mahler pour ses citations de Frère Jacques (dans le troisième mouvement de la première symphonie) ou Bizet utilisant le chant provençal La Marche des rois dans sa suite de l’Arlésienne.

Les compositeurs du xxe s. se sont intéressés encore plus explicitement à ce fonds si riche : Béla Bartok (1881-1945) et Zoltán Kodály (1882-1967) parcourent ensemble les campagnes hongroises, puis celles de Transylvanie et de Roumanie, à la recherche des traditions les plus anciennes de la musique paysanne, qu’ils intégreront chacun à sa façon si particulière, dans leurs œuvres. Francis Poulenc (1899-1963), ainsi que les autres membres du « Groupe des six » (parmi lesquels se trouve Milhaud, aussi inspiré par la musique brésilienne dans ses Saudades do Brasil que par le jazz dans Le Bœuf sur le toit si enlevé — très bel enregistrement de Bernstein chez EMI), se prononce en faveur du style populaire et plein d’esprit du music-hall, tandis que Leonard Bernstein (1918-1990) mêle le jazz, la musique populaire, le choral religieux, les songs, l’opéra italien, la pop music…

Plus loin de nous, le compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos (1889-1959) alliera la musique populaire de son pays à son intérêt pour Jean-Sébastien Bach dans ses Bachianas Brasileiras, utilisant des thèmes de style brésilien à une forme empruntée à Bach, allant jusqu’à attribuer deux titres à chacun des morceaux, l’un baroque l’autre brésilien. Il en existe un coffret (EMI, « Villa-Lobos par lui-même ») où le compositeur y dirige cette œuvre (ainsi que Descobrimento do Brasil, Invocação em defesa da Patria, Chôros, Momoprecoce, Concerto n° 5 et Symphonie n° 4 — ainsi qu’un texte où Villa-Lobos parle, « Qu’est-ce qu’un Chôros ? »), et dans lequel la célébrissime Bachiana n° 5, popularisée par Bidu Sayão, y est interprétée par la magnifique et regrettée Victoria de Los Angeles. Un très beau disque, et pas uniquement pour ce tube (splendide).

En évoquant la mémoire de la grande cantatrice, on ne peut passer sous silence son interprétation si sensuelle des très beaux Chants d’Auvergne de Joseph Canteloube (1879-1957), disponible chez EMI. Même si l’enregistrement n’a pas été fait dans sa prime jeunesse, le sens musical et la fraîcheur de l’artiste ne peuvent laisser insensible (il doit en exister aussi un splendide enregistrement par la soprano israélienne Netanya Davrath).

Enfin, s’il y en a qui trouvent trop ardues certaines des œuvres du compositeur italien Luciano Berio (1925-2003), qu’ils écoutent ses Folk Songs dans l’interprétation de la regrettée Cathy Berberian (1925-1983), sa première femme dans l’enregistrement que Berio dirige. Berberian avait une voix d’une étendue, d’une agilité et d’une variété de timbres et de styles remarquables, pouvant passer du madrigal le plus délicat au chant napolitain populaire, mais elle possédait surtout intelligence et humour, culture musicale et fantaisie : tout ceci se reflète dans le disque magnifiCathy : the many voices of Cathy Berberian, où elle passe de Monteverdi à Debussy, Gershwin, Cage et Bussotti, pour finir par Stripsody, mot-valise combinant Comic Strip a — bande dessinée — et Rhapsody, forme musicale assez libre : c’est en effet une bd musicale très drôle qu’elle a composée, et qu’il faut suivre en regardant la « partition » (ce que l’on peut faire à la médiathèque de l’Ircam — et peut-être ailleurs). Thérapie par la musique et le sourire assurée.

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  1. Connaissez vous cette parodie, hilarante qu’elle a délivrée je ne sais pas du tout où ni quand ?http://... ( je sais toujours pas faire un lien correct)

    Commentaire par hugoindigo — 10 mars 2005 @ 23:15

  2. Tiens, ce lien a surgi du néant, ;-) J’ai réussi!

    Commentaire par hugoindigo — 10 mars 2005 @ 23:16

  3. Vos articles sont trop bons, Miklos mon bon, les miens ne peuvent soutenir la comparaison…

    PS : pan sur mon bec, il faudrait que je trouve une autre formule, vous me fîtes remarquer que "mon bon" fleurait un peu trop son Louis XVI…

    Commentaire par petrouchka — 10 mars 2005 @ 23:21

  4. Oui, c’est l’hymne "Nymphs and Shepherds" (texte ci-dessous), musique de Purcell, qu’elle dit (au début) avoir entendu chanté faux. Disponible (je crois) sur un disque bien intitulé "Opera Stars in a Silly Mood".

    Ca ne manque pas de rappeler l’hilanrant (et triste quelque part) disque "The Glory (????) of the Human Voice" (http://... – aller sur la page et écouter!) de Florence Foster Jenkins, qui adorait chanter, chantait faux comme une casserole et avait les moyens de se payer un récital à Cargenie Hall (il me semble). A pleurer (ou autre manifestation liquide).

    Nymphs and shepherds come away,
    In this grove let’s sport and play,
    For this is Flora’s holiday.
    Sacred to ease and happy love,
    To music, to dancing and to poetry,
    Your flocks may now securely rest,
    Whilst you express your jollity.

    2 Twine ye garlands red and white,
    Pipe and dance till fall of night,
    Then bring ye torches flaming bright,
    Thus on the eve of good Saint John,
    With music, and dancing keep we holiday.
    So hand in hand in couples go,
    And pass the time in jollity.

    Paroles de Thomas Shadwell et de W. G. Rothery.
    Air de Henry Purcell.

    Commentaire par miklos — 10 mars 2005 @ 23:27

  5. Petrouchka: il ne s’agit pas de comparer, mais d’encourager la présence d’articles comme les tiens ou ceux d’HugoIndigo (dites-lui tous de continuer à écrire) – je préfère de loin lire les goûts des uns que les dégoûts des autres.

    Commentaire par miklos — 10 mars 2005 @ 23:32

  6. Bravo!Ce morceau je l’avais pris sur le net sans autres références que des codes..mais le titre est dans les paroles. Je peux dire qu’elle fait preuve d’une très grande virtuosité à chanter deux comas plus haut ou plus bas…! Bon même un demi-ton entier. C’est très difficile!!
    Et dans les ovni chantants, il ya aussi Natalia de Andrade, fantastique de nodules vocaux et de passion!

    Commentaire par hugoindigo — 10 mars 2005 @ 23:35

  7. Quelques points :
    - Les oeuvres de Milhaud sur le disque EMI-Bernstein sont effectivement tres bonnes. Mais je deconseille vivement le Milhaud plus tardif (l’epoque ou il composait un peu a la chaine..) que je trouve beaucoup plus barbant. Par exemple la cantate de l’Enfant Prodigue sur un texte de Gide. C’est chiant a mourir…
    - Poulenc : des joyaux dans son oeuvre, qu’il faut toujours ecouter en pensant aux guingettes de Nogent, et a Chabrier. Certains pouront ne pas aimer le style particulier de certaines oeuvres comme le Bal Masque (texte de Max Jacob), et ce surtout dans l’interpretation tres personnelle de Pierre Bernac, mais je pense qu’il faut depasser la premiere frayeur…
    - J’aurais ajoute Weill a la liste de ces compositeurs s’inspirant de musique populaire. Je n’oublie jamais Weill :)
    - Villa-Lobos : le CD de la collection "Composers in person" n’est plus edite (c’est effectivement un recueil de tres belles oeuvres), mais certaines des oeuvres sont disponibles en collection "Great recordings" dans l’interpretation Villa-Lobos/LosAngeles. En passant, 1) Villa-Lobos est meilleur chef d’orchestre que Poulenc n’est pianiste. 2) il y a aussi un CD "Composers in person" ou Milhaud joue ou dirige les oeuvres qui sont sur le CD de Bernstein. Il n’est pas mauvais du tout, et il est interessant de comparer sa version de Boeuf sur le toit avec, par exemple, celle de Mitropoulos qui est beaucoup plus variee en tempi.
    - Canteloube : il faudrait que je m’y force, j’ai toujours autant de mal…
    - Berberian : geniale…

    Commentaire par Anaximandre — 27 mars 2005 @ 9:57

  8. Je suis tout à fait d’accord sur ce que tu dis du Milhaud tardif – et de Poulenc (dont j’avais parlé précédemment ici à propos du Dialogue des Carmélites) – autre joyau, La Voix humaine (avec Denise Duval).

    Je n’oublie pas Weill – ni Lotte Lenya, donc. Merci de le rappeler. D’ailleurs, Berberian en chante sur le disque que j’ai mentionné dans l’article – mais si je n’en ai pas parlé c’est que je préfère de loin Lenya, dans le genre.

    Commentaire par miklos — 28 mars 2005 @ 19:11

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