Paris coquin
L’Institut national de l’histoire de l’art (INHA), dont la création s’apparente plus à une saga qu’à une simple histoire (et dont certaines parties du site, tel son organigramme, sont ancrées dans le passé plutôt que dans le présent), fédère divers sociétés et organismes de recherche spécialisés (associatifs, universitaires, rattachés au CNRS, à l’École pratique des hautes études ou à l’École des hautes études en sciences sociales). Sa bibliothèque, située dans la magnifique salle ovale de l’ancienne Bibliothèque nationale (rue Richelieu) doit réunir à terme un fonds fabuleux de près de 1,3 million de documents.
Pour le bonheur des curieux (et des chercheurs aussi, on l’espère), l’INHA constitue une bibliothèque numérique qu’il met progressivement en ligne : classiques de l’histoire de l’art (du 16e au 19e s.), catalogues du Musée du Louvre (antérieurs à 1920), des documents iconographiques, des manuscrits… La qualité de la numérisation et la facilité de la consultation des documents sont excellents.
Au temps que Ericonius regnoit sur les Troyens, dominoit es Gaules Paris, fils de Romus xviii° Roy des Gaulois, descendu successivement de Samothes, surnommé Dis fils de Japhet fils du vieil pere Noé. Celuy Paris donna le nom à la ville de Paris apres l’avoir fondée, environ soixante dix ans apres la premiere fondation de Troye, par Dardanus neuf cens ans apres le deluge, quatre cens quatre vingts dixhuict ans devant que Romulus donnât commencement à Rome, & quatorze cens dix sept ans avant l’incarnation de nostre seigneur Jesuschrist, selon Jean le Maire de Belges en ses illustrations de Gaule, fuyant Manethon d’Ægypte, & son commentateur Jean Annius de Viterbe. (Cette généalogie mythologique recoupe celle qu’on trouve dans les Chroniques d’Holinshed, publiées à Londres en 1577, et qui ont servi à Shakespeare de source pour son Macbeth).C’est en y flânant que je suis tombé sur Les Antiquitez, Chroniques, et Singularitez de Paris par Gilles Corrozet, publié en 1561. Ce livre fascinant de plus de 400 pages est une mine de renseignements sur Paris : son histoire (« les opinions diverses de la fondation de Paris selon plusieurs historiographies », qu’il présente objectivement tout en sachant qu’il y en a de fausses, comme il se trouvera autant de lecteurs qui en accepteront les thèses que d’autres qui s’y opposeront), les étapes de son développement urbain, sa géographie (la liste des rues et des principaux édifices, les faubourgs, les fontaines, les ponts et les portes de Paris) et son organisation (évêques, magistrats, juridictions, prisons…). La liste des rues est édifiante. On y trouve évidemment des noms en usage encore aujourd’hui avec des églises qui existaient alors et qui ont disparu, pour la plupart. Ainsi, rue S. Denys (St. Denis), se trouvait La chapelle des filles Dieu, ou il y a des religieuses qui donnent aux malfaicteurs la croix à baiser, & de l’eau beniste, pain & vin, dont ils mangent trois morceaux quand on les meine pendre à la justice.
Ce sont les nomenclatures qui ont changé ou disparu qui sont particulièrement intéressantes. Dans la première catégorie, on trouve par exemple la rue du renard qui prêche (l’actuelle rue du renard au nom plus prosaïque), la rue aux oues ( « oies », en vieux français, mais curieusement devenue rue aux ours), la rue brise miche, taille pain, & baillehou (dont il ne reste que la rue brisemiche, elle-même amputée d’un côté – mais heureusement qu’il y a Dame Tartine sur l’autre). Parmi les noms disparus, on trouve en vrac des noms pittoresques, populaires ou coquins ; des noms de personnes, d’événements, de lieux, de bâtiments ou de métiers d’antan :
La rue aux menestriers
La rue Bertault qui dort
La rue de cul de sac
La rue de l’autruche
La rue de la vieille tannerie descendante à l’escorcherie
La rue des recommanderesses (« Pendant me vient à souvenir / Que chez les recommanderesses / Est le lieu ou [sont] les addresses, / Pour trouver servantes à louër. », in Chambrière a louer a tout faire de Christophe de Bordeaux)
La rue perdue
La rue saillie en bien
La vallée de misere
Rue de la court au vilain
Rue de la petite pusse (fréquentée jadis par des femmes galantes, elle s’appelait alors Rue Pute y Musse – musser signifiant se cacher, se glisser, voir ci-dessous – et actuellement Rue du Petit Musc, ce qui fait dire à Victor Hugo dans Les Misérables : « qui a fait ce qu’elle a pu pour changer en bonne odeur sa mauvaise renommée »)
Rue de mauvaise parolles
Rue de merderet (prob. désigne un chemin sale, boueux)
Rue de petit pet
Rue de poil de con (devenue par transformation Rue du Pélican)
Rue de tireboudin (anciennement Rue tirevit du fait des activités libidineuses qui s’y tenaient, et qui devint plus tard la Rue Marie-Stuart par erreur)
Rue des estuves aux femmes
Rue du coup de baston
Rue Jean de l’espine (poète du 15e s.)
Rue Jean pain mollet (« Je vous dis, reprenait son compagnon avec une langue épaisse, que je ne demeure pas rue des Mauvaises-Paroles, indignus qui inter mala verba habitat. J’ai logis rue Jean-Pain-Mollet, in vico Johannis-Pain-Mollet », Notre-Dame de Paris, Victor Hugo. « [J]’ai rencontré à Constantinople un de mes amis de Paris, garçon boulanger de la rue Jean Pain molet, de la Paroisse de…. de….. Je ne me rappelle plus le nom de la Paroisse, c’est bien dommage. », Le Balai, de Henri-Joseph Dulaurens, 1761)
Rue pavée d’andouilles (« Mais au changement de l’air, aussi par faulte de moustarde Baulme naturel & restaurant d’Andouilles moururent presque toutes. Par l’oltroy & vouloir du grand Roy feurent par monceaulx en un endroict de Paris enterrées, qui iusques à praesent est appellé, la rue pavée d’Andouilles », Le Quart Livre des faicts et dicts Heroïques du bon Pantagruel, Rabelais, 1552. Actuellement Rue Séguier. Les « andouilles » seraient des pavés non-conformes).
Rue putigneuse (contraction de « pute » et « teigneuse »)
Rue suceraisin
Rue trousse vache (du nom d’Eudes Troussevache, qui devait avoir une sacrée réputation)
Une ruelle qui n’a que un bout
Sur les rues de Paris, on consultera aussi :
- Les rues et places de Paris, sur le site Paris pittoresque, d’après des ouvrages de la fin du 19e s.
- La nomenclature officielle actuelle des voies de Paris sur le site de la Mairie de Paris, et qui donne des renseignements physiques, géométriques et historiques.
- les listes de rues vers 1450 et vers 1760 sur le site de Frédéric Béziaud.
- Histoire des rues galantes, sur le très sérieux site de Batiweb (certifié OJD, hein !) destiné au monde du BTP.
- À l’Enseigne de la Pomme de pin de l’association Terre d’écrivains, qui mentionne quelques noms de rues pittoresques.
Et de Gilles Corrozet :
- Hecatongraphie. : C’est à dire les descriptions de cent figures & hystoires … de Gilles Corrozet dans la bibliothèque numérique de l’université de Virginie
- 17 œuvres de Gilles Corrozet sur le site Gallica.
MUSSER, verbe trans.
Vx ou région. (Centre et Ouest). Cacher, dissimuler. Tasie, sans répondre, bâillait, mussait sa tête au creux de son bras replié (GENEVOIX, Raboliot, 1925, p.8).
Le plus souvent en emploi pronom. réfl. Se cacher, se glisser. Un entour de vieux arbres, sous lesquels, dans l’ombre, se mussaient quelques logis de ferme (CHÂTEAUBRIANT, Lourdines, 1911, p.5). [Les cochons] avaient déjà appris à se musser sous les buissons quand passait au-dessus d’eux le froissement des grands vols de corbeaux (GIONO, Hussard, 1951, p.175):
… l’être qui reçoit le sentiment du refuge se resserre sur soi-même, se retire, se blottit, se cache, se musse, en cherchant dans les richesses du vocabulaire tous les verbes qui diraient toutes les dynamiques de la retraite, on trouverait des images du mouvement animal, des mouvements de repli qui sont inscrits dans les muscles.
BACHELARD, Poét. espace, 1957, p.93.
REM. 1. Mucher, verbe trans., var. région. (Normandie). Le Marquis : Il est là [le petit cheval]? Georget : Dame non! Je l’ai muché dans l’avenue (LA VARENDE, Trois. jour, 1947, p.112). 2. À musse-pot, à muche-pot, loc. adv., fam. et vx. En cachette. (Dict. XIXe et XXe s.).
Prononc. et Orth.: [myse], (il) musse [mys]. Ac. dep. 1694: musser, à musse-pot ou à muche pot; LITTRÉ: musser; ROB., Lar. Lang. fr.: musser, mucher ,,forme normanno-picarde« , à musse-pot, à muche-pot. Étymol. et Hist. 1119 (soi) mucier «se cacher» (PHILIPPE DE THAON, Comput, 1613 ds T.-L.). D’un gaul. *mukyare «cacher», formé sur un rad. de base mûc- d’orig. celt. (cf. a. irl. muchaim «je cache, je voile, j’étouffe», irl. mod. much- «étouffer»). Le verbe musser, usuel jusqu’au XIIIe s., disparaît de la lang. littér. au XVe s. au profit du verbe cacher*, mais il s’est maintenu dans de nombreux dial. (v. FEW t.6, 3, p.197, REW 5723 et DOTTIN, p.73, note et glossaire). Fréq. abs. littér.: 18. (Trésor de la langue française)
Le sens de « musser » (et de ses dérivés) n’a pas manqué d’intéresser les lecteurs de L’intermédiaire des chercheurs et curieux (Notes and Quéries français) – dont je m’étais déjà servi pour mon enquête à propos de la Perfide Albion – dès sa toute première année de parution. Le 10 oct. 1864, un lecteur demande :
Le 30 nov. 1864, les réponses suivantes y sont publiées :
Vingt ans après, un autre lecteur pose la même question en termes quasi identiques, à l’occasion de la reproduction de cette lettre de Beaumarchais dans le Paris dilettante [au commencement du siècle], de M. [Adolphe] Jullien, publié cette année-là. Une réponse mentionnera derechef le dictionnaire de Hécart, tandis que d’autres fournissent des renseignements supplémentaires, pour certains bucoliques :
La Farce citée plus haut (et que l’on peut lire dans Gallica en cliquant sur le lien) laisserait soupçonner que ce A. D. avait des lectures très coquines…
Commentaire par Miklos — 6 juin 2006 @ 2:12
[...] l’étymologie de quelques-unes des rues de Paris au XVIIe siècle (voir aussi les rues du Paris coquin un siècle plus tôt), selon un extrait du Supplément du Théâtre italien, ou recueil des scènes [...]
Ping par Miklos » De quelques rues de Paris aux noms originaux et de l’origine de leurs noms — 21 février 2010 @ 0:21
[...] musc ; plus de rue de poil de con (devenue rue du pélican) ni celle des mauvaises paroles. Ainsi va le monde. Franklin (Alfred, par Roosevelt ni d’ailleurs Benjamin) l’avait constaté il y a plus d’un [...]
Ping par Miklos » D’un chat qui pêche, d’un puis qui parle, d’un Victor Hugo qui n’invective pas et d’autres curiosités — 19 septembre 2010 @ 20:22
[...] de la Truye qui file se trouvait rue Trousse-Vache (dont nous avions déjà cité l’étymologie), devenue bien plus prosaïquement, au cours de ce triste phénomène de [...]
Ping par Miklos » De Guillaume Coquillart, d’une truie qui vole et d’une autre qui file, d’une chèvre qui danse et de quelques noms savoureux de gens et de lieux — 20 septembre 2010 @ 8:07
[...] rue du renard, on l’avait déjà signalé en citant un texte du 16e s., portait alors un nom plus amusant, celui du renard qui prêche (on [...]
Ping par Miklos » Le renard qui prêche — 6 mai 2011 @ 2:41