Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

9 juillet 2006

Une folie d’Espagne

Classé dans : Cinéma, vidéo, Musique — Miklos @ 0:42


Carlos Gardel chante Volver
Le générique du début se déroule dans un cimetière où des femmes astiquent avec amour les pierres tombales qui d’un parent qui la sienne propre, tout en discutant de tout et de rien avec leurs voisines, le tout sur une petite musique de fond qui n’a rien de macabre. Après avoir traversé le bruit et la fureur qui ont émaillé la vie de trois générations de femmes, le film s’achève sur la fin de vie de l’un de ses personnages. C’est Volver de Pedro Almodóvar, dont le titre est celui d’un tango rendu célèbre par Carlos Gardel et qui y est interprétée par Estrella Morente.

S’il aborde le tragique, il le fait de façon affectueuse et déjantée qui permet de sourire même quand on verse une larme – car les fantômes ne pleurent pas, n’est-ce pas ? C’est un film sur le cycle de la vie : avant tout, la maternité et la centralité de la mère et de son amour inconditionnel et extrême, les pères y étant des quantités viles et dignes de mépris (le couple idéal étant finalement celui de mère-fille) ; le cycle des générations, et non pas uniquement du passé vers le futur, mais avec des retours de personnages et de situations du passé vers le présent – « volver » signifie « revenir » en espagnol –crochetant ainsi une dentelle complexe, riche et quelque peu surréaliste comme il se doit (qu’Almodóvar qualifie plutôt de « naturalisme surréel »). Si le réalisateur affirme que le film « est un croisement entre Le roman de Mildred Pierce (Michael Curtiz), Arsenic et vieilles dentelles (Frank Capra), allié au naturalisme surréaliste de mon quatrième film Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », c’est aussi un film très personnel sur son rapport à la vie et à la mort, à sa mère, aux lieux où il a grandi et qu’il a aimés.

C’est donc un film de femmes, toutes attachantes à leur façon. De mères, d’abord : la splendide Pénélope Cruz (Raimunda), qui n’est pas sans rappeler Sophia Loren, et qui, malgré son apparence élégante et délicate, sait mobiliser une énergie psychologique et physique sans limite ; la grande Carmen Maura (dans le rôle d’Irene) qui n’avait pas travaillé avec Almodóvar depuis 17 ans, dont le visage cadavérique à son apparition se transforme graduellement en celui d’une femme torturée puis d’une mère apaisée, et qui donnera amour, soutien et compassion non seulement à ses filles auxquelles elle avait manquée mais à d’autres protagonistes (féminins, évidemment) abandonnés de tous. À leurs côtés, Lola Dueñas, qui joue le rôle de Sole, sœur de Raimunda au visage ingrat à tel point que sa vieille tante gâteuse (Tia Paula, jouée par Chus Lampreave) ne la reconnaît pas et hésite à l’embrasser, et qui s’embellit avec la redécouverte de l’amour maternel ; Blanca Portillo (Agustina), au visage monacal et qui se sera consacrée aux autres, ce que lui rendra bien Irene ; et finalement la jeune Yohana Cobo (Paula, elle aussi), au parcours tout aussi tragique que ses comparses (mais qui en semble bien moins marquée). Il y aura bien deux honnêtes hommes en arrière-plan, les deux amoureux de Raimunda : Carlos Blanco (Emilio), qui s’efface assez rapidement, et le beau Carlos García Cambero (Carlos) qui a sans doute ses chances – une scène le laisse entrevoir et espérer – mais on n’en saura pas plus.

Le village où tout avait commencé, où vivait encore la tante Paula et sa voisine Agustina, se trouve dans la Manche, patrie de Don Quichotte. Un des personnages en dit que tous ses habitants sont fous. Il fallait s’y attendre : « L’Espagne a toujours été réaliste, tout en ayant l’intuition profonde et permanente que la folie est une chose distante, à laquelle accèdent avec une infinie lenteur ceux qui en ont la patience. En Espagne, où les hommes sont solitaires, où chacun porte un monde en soi, où rien n’est plus universel que l’individualisme, où tout être est plein d’ombre et de lumière à la fois, où il y eut – et il y a encore – des hommes très distants, pleins d’incertitudes et d’espoir, la folie prend racine avec une facilité toute particulière. » (Gregorio Paniagua, notes pour le magnifique disque La Folia de la Spagna, Harmonia Mundi 90.1059)

C’est cette folie qui habite Almodóvar et qu’il traduit à l’écran de façon magistrale, et qu’il faut voir.

Pas de commentaire »

Pas encore de commentaire.

Flux RSS des commentaires de cet article. TrackBack URI

Laisser un commentaire

XHTML: Vous pouvez utiliser ces balises : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos