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6 octobre 2011

Le cœur de Paris selon les annonces immobilières d’un site bien connu

Classé dans : Histoire, Lieux, Société, Économie — Miklos @ 21:41

Le visiteur ou le touriste qui cherche à se loger chez un particulier à Paris ne manquera de sauter de joie à la lecture de cette petite annonce intitulée « splendide appartement d’une chambre à coucher à louer au centre de la ville ». Il s’y verra proposer un « studio charmant au cœur de la rue Duhesme, l’une des adresses les plus recherchées au centre de Paris, à quelques pas du musée du Louvre, du Marais historique et gay et de l’Opéra. » Une autre version précise qu’il est « à cinq minutes à pied du célèbre Centre Georges Pompidou ».

Pour peu qu’il connaisse Paris, il s’imagine déjà que cet appartement de rêve se trouve soit du côté des Halles, point équidistant des trois quartiers cités dans l’annonce (mais pas si recherché que ça) ou alors dans le 6e ou le 7e arrondissement (au pire, dans le 8e), qui sont parmi les plus cotés de la capitale. Mais rue Dusheme ? Où est-ce diable ? Eh bien, justement, au diable vauvert, au fin fond du 18e arrondissement, à quelques pas de la porte de Clignancourt, qu’on ne peut vraiment qualifier de quartier particulièrement recherché, si ce n’est pour ses puces et ses drogues. Et à quelques kilomètres en vol d’oiseau des lieux précités. Laisse béton, se dit-il.

Une femelle indépendante (c’est du moins ce que l’annonce suivante affirme en anglais) propose une chambre dans un appartement, lui-même situé dans un immeuble dont l’entrée est au centre de Paris. Curieux : le quartier est indiqué comme « 19e – bassin de la Villette », est-ce à dire qu’un long tunnel relie l’entrée (située au centre de la ville) au bâtiment (dans le 19?). Claustrophobe, il préfère éviter.

Il passe à une autre annonce, celle d’une « chambre à louer dans appartement deux pièces meublé, proche du métro, du centre et de tous commerces et bars ». Le métro en question est Goncourt. Là, on est quasiment à Belleville, qui n’a été annexé à Paris qu’en 1860, en même temps d’ailleurs que le hameau de Clignancourt. On tourne autour du pot, constate-t-il.

Qui dit mieux ? Il y a bien cette grande chambre sur les Grands boulevards, « à 12 minutes à pied de la Seine », mais il faut être champion du 400m pour tenir ce temps et de plus c’est pour « une jeune fille sérieuse et agréable », conditions que notre touriste ne remplit pas ; ou celle du côté Oberkampf, toujours « au centre de Paris ».

J’essaie sur la rive gauche, se lance-t-il. Il y a une colocation avec des étudiants anglais dans le 15e, du côté Montparnasse, « au centre de Paris et à 7 minutes à pied d’une belle vue de la Tour Eiffel ». Il doit s’agir du temps pour arriver de l’appartement au sommet de la Tour Montparnasse (à pied, s’il vous plaît) d’où la vue est (paraît-il) splendide. Mais il n’aime pas le béton de cette tour-là (ni d’ailleurs son amiante).

Plus classe, cette « chambre ensoleillée au centre même de Paris » ; l’immeuble se trouve dans le 6e « à deux minutes du Luxembourg et de l’Alliance française ». C’est donc le quartier de Notre-Dame-des-Champs, en déduit-il. Pas très commode pour arriver au vrai-centre-même de Paris, la ligne 12 le contournant.

La vie est un oignon qu’on épluche en pleurant, dit le dicton. Les petites annonces aussi, se dit-il en continuant à les éplucher en soupirant.

Pour consoler notre touriste, on citera ce qu’Évelyne Cohen écrit à propos du centre de Paris (in Imaginaires urbains du Paris romantique à nos jours, publié sous la direction de Myriam Tsikounas en 2011) :

De 1830 à nos jours, le mythe de Paris capitale de la France, métropole des temps modernes, connaît des phases de développement puis de déclin. Dans l’ordre imaginaire, qui est ici le nôtre, le centre de Paris revêt une importance d’autant plus grande que Paris-la-capitale est présentée comme « ville centre », « métropole », « ville monde », « ville Lumière », « ville tentaculaire ».

Les représentations qui s’attachent au « centre de Paris » sont corrélées à celle de « Paris comme centre ». (…)

Comme l’explique Karlheinz Stierle dans La Capitale des signes, le XIXe siècle a donné un « centre imaginaire à la ville » :

C’est le propre du mythe de Paris tel qu’il s’élabore au XIXe siècle que de donner un centre imaginaire à la ville, de s’avancer vers un centre de forces caché. Dans Notre-Dame de Paris, Hugo a ainsi rendu la ville, avec sa cathédrale médiévale, son centre oublié, et à la capitale mondiale imaginaire, avec l’Arc de Triomphe, son emblème qui paraît sur le fond d’un horizon « sublime » parce que surélevé et devient le centre spirituel d’une nouvelle conscience de la ville. Quand le mythe urbain réussit à mettre au jour de tels centres comme points névralgiques d’une vision de la ville, il reconquiert souvent l’authenticité d’un mythe collectif dont les images se fondent totalement avec l’expérience réelle de la ville, donne à la ville la profondeur de l’« imaginaire concret ».

(…) Dans une vision anthropomorphique, la croissance historique de la capitale s’effectue autour de son « berceau », l’Île de la Cité. Tout au long des XIXe et XXe siècles, les guides cartographient couramment le développement de la capitale qui s’étend d’enceinte en enceinte par cercles concentriques successifs. Sa forme est assimilée à celle d’une « circonférence ».

(…) Au XIXe comme au XXe siècle, les contemporaine s’interrogent sur ce qui « fait centre » du point de vue des qualités et des localisations. Selon les guides et leur finalité, le centre peut être le centre historique, le centre géographique, le centre politique, le centre des affaires.

(…) Si elle semble évidente, la place du centre de Paris n’est pas consacrée de façon définitive. Le centre désigne des lieux à forte charge symbolique, politique, pratique. Aussi est-il logique qu’il se déplace dans la capitale conformément aux orientations du pouvoir, en direction de l’ouest.

Ce centre tout à la fois imaginaire et symbolique a bougé au fil du temps, de l’Île de la Cité au Palais Royal, puis vers Les Halles (le ventre de Paris, donc pas si loin du cœur, anatomiquement parlant), Notre-Dame ou le Châtelet. Voire les Champs-Élysées (quand ça n’est pas Disneyland), surtout pour les touristes japonais. Qu’en sera-t-il du Grand Paris ?

Qu’en sera-t-il pour chacun de nous ? On laissera le poète et traducteur Dominique Buisset conclure (in Paris par écrit : vingt écrivains parlent de leur arrondissement, 2002) :

Pourtant, la chose est connue : le centre est partout dans la mesure même où la circonférence est nulle part. Le centre de Paris est sur le parvis Notre-Dame ; le centre de la France à Saint-Amand-Montrond (avec ou sans la Corse ? la Réunion, les Antilles ?) (…)

Or, sauf la révérence que je porte à Notre-Dame, le centre de Paris est du côté du square Painlevé, entre la Sorbonne et l’Hôtel de Cluny, sous les grands arbres, entre une louve et un Montaigne de bronze, l’un parlant latin, l’autre français… Au printemps, le centre de légèreté de Paris, dans l’espace et le temps, est là quelque part, sur la pelouse où les étourneaux, toge moirée, docteurs d’État en picorologie, exercent leur industrie parmi l’herbe.


Le centre de Paris en 1678 : le palais de justice


Le centre de Paris en 1784 : le Grand Châtelet


Le centre de Paris en 1840 : entre le Palais Royal et le boulevard


Le centre de Paris selon le Petit futé 2008 : Gare Montparnasse, Saint-Michel, Châtelet-les-Halles…

2 commentaires »

  1. Ooui, mais le centre par rapport à quoi ? La porte de Clignancourt est probablement dans le centre de Paris, si on replace Paris dans la région parisienne. En revanche, dire qu’on est à 10 mn de la Seine, à pied, là, on est dans la publicité mensongère; J’ai vu le même type d’annonce pour des appart à vendre, sur craiglilst, à des prix au moins double du prix du marché

    Commentaire par Shafan — 7 octobre 2011 @ 21:55

  2. L’annonce qui place la porte de Clignancourt au centre indique aussi que le quartier est à quelques minutes à pied du Marais, ce qui équivaut à étendre le Marais jusqu’à Asnières… En fait, dans le langage commun, quand on parle du centre de Paris, on pense à une zone qui s’étend entre Notre-Dame et le Louvre, plus ou moins…

    Commentaire par Miklos — 8 octobre 2011 @ 22:03

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