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31 octobre 2006

Un western de plus

Classé dans : Cinéma, vidéo — Miklos @ 1:07

L’appétit insatiable de l’homme – contrairement à celui de la plupart des autres animaux qui mangent à leur faim – n’a de cesse de nourrir sa violence, qu’elle soit la résultante d’une souffrance passée ou présente. Cet appétit de nourriture, de biens, de bien-être ou de pouvoir s’exerce finalement toujours aux dépens d’autrui : directement pour ce qu’il a ou semble posséder de plus, ou indirectement, quand il s’attaque aux biens publics et aux ressources naturelles. Les sociétés humaines tentent de s’en protéger de diverses manières – de l’équilibre (instable, comme on le sait) de la dissuasion jusqu’à l’éducation (négligée, comme on le constate). Dans le meilleur des cas, l’art aide parfois à sublimer cette violence.

Ce n’est pas le cas de The Departed (littéralement : « ceux qui nous ont quittés », plus évocateur que Les infiltrés), le récent film de Martin Scorcese. Présenté ce soir à la Cinémathèque en avant-première devant du beau monde – Michel Piccoli, Jacques Toubon, et tous ceux que l’on remarque quand ils entrent dans la salle ou qui regardent pour voir s’ils le sont – il affiche un trio gagnant : Jack Nicholson, Leonardo DiCaprio et Matt Damon, ce qui devrait garantir sa réussite.

Il relate le parcours à la fois parallèle et antinomique de deux jeunes gens, beaux et particulièrement intelligents, qui n’ont plus rien à perdre. Ils débutent le même jour dans les forces spéciales de la police de Boston chargées de faire tomber un caïd rital (Jack Nicholson). L’un – irlandais (Matt Damon) – s’avère être une taupe placé dans ce département par le malfrat, tandis que l’autre, rital lui aussi (Leonardo DiCaprio), infiltrera la bande de criminels. Après un long jeu de chat et de souris à la symétrie en miroir un peu trop facile et de chassés-croisés (ils tomberont amoureux de la même femme sans le savoir), ils finiront, comble du chiasme, chacun tué par le camp opposé : le bon tué par les méchants, puis le méchant tué par un bon.

Ce film d’une violence extrême, verbale comme physique, est à l’opposé de la sublimation : coups, sang, corps ou parties de corps, torture et mort y foisonnent dans un bouillonnement tonitruant de musique ou de coups de feu et d’explosions, sans pour autant faire parodie de genre ; l’humour est absent du film – sauf dans la scène où le grand Nicholson joue négligemment avec une main coupée sur un corps et en ôte une bague, en remarquant qu’il faut toujours savoir tirer profit de n’importe quoi. Si tentative de symbolique il y a, elle est particulièrement primaire, tel ce passage d’un rat sur le rebord d’un balcon à la fin du film, après que policiers et malfrats aient, chacun de leur côté, abondamment utilisé tout au cours de ses 2h30 le terme de « rat » pour qualifier le traître inconnu qui sape leur activité respective.

On aura eu le temps d’y aborder les principales thématiques américaines : l’image du père absent ou de substitution, la femme pute ou mère, machisme/fragilité, l’Église, la psychanalyse, le téléphone portable, sans oublier le vengeur masqué (autrefois connu sous le nom de Zorro ou, plus anciennement, de Deus ex machina). Il y en a pour tout le monde – et la langue truffée de profanities souvent sexuelles fera frémir d’une délectation coupable plus d’un Américain. Et même si les trois héros du film meurent (Jack Nicholson y compris, dans le troisième cas de figure, celui du méchant tué par un méchant), c’est le bien qui aura eu le dernier mot.

Dans ce film ennuyeux et prévisible mais très bien réglé et filmé comme toute superproduction qui se respecte, on remarquera surtout le jeu de Jack Nicholson, d’une rare puissance et d’une subtilité étonnante pour ce rôle apparemment monochrome – et qui n’est pas sans rappeler l’intensité maléfique de celui de Jean-Louis Trintignant dans Regarde les hommes tomber ou de John Goodman dans Barton Fink ; mais Scorcese n’est ni Jacques Audiard ni les frères Coen, et ces deux films-là sont d’une toute autre facture et qualité : profondeur psychologique et humour grinçant qui transcendent la violence de leur propos.

La Cinémathèque nous avait heureusement montré des films de cowboys et d’indiens (au littéral comme au figuré) bien plus subtils, et l’on se souviendra du plaisir d’y avoir découvert La charge des tuniques bleues ou La croisée des destins.

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