Les feux de l’amour
Baise m’encor, rebaise moy et baise1
Donne m’en un de tes plus savoureus,
Donne m’en un de tes plus amoureus :
Je t’en rendray quatre plus chaus que braise
Las, te plains-tu ? ça que ce doux mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereus.
Ainsi meslans nos baisers tant heureus
Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soy et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :
Tousjours suis mal, vivant discrettement
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moy ne fay quelque saillie.
Je vis, je meurs: je me brûle et me noie,
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure,
J’ai grands ennuis entremélés de joie.
Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure,
Mon bien s’en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé (~1524-1566)
1 Baiser : embrasser.