Langue étrangère, langue familière
’s brent, briderlekh, ’s brent!
Oy, undzer orem shtetl nebekh brent!
Beyze vintn mit yirgozn
Raysn, brekhn un tzeblozn
Shtarker nokh di vilde flamen
Altz arum shoyn brent.*
Mordechai Gebirtig (1877-1942)Sept personnages évoluent sous une lumière blafarde sur la scène du théâtre de la Cité internationale1. Ils sont habillés de costumes quelque peu informes, et le langage de leurs corps est complexe et abscons : il semble ne correspondre à rien, et surtout pas à la musique, souvent bouleversante, qui accompagne le spectacle : Un Survivant de Varsovie, d’Arnold Schoenberg, Kol Nidre de Sonia Wieder, une chanson en yiddish (« la langue de personne », selon Rachel Ertel, et, qu’à défaut de comprendre, on ressent de tous ses pores) – évocation de la Shoah et de la souffrance juive. « À l’instar des pensées très actuelles de la danse, ces gestes rendent d’abord quasi palpable le pré-mouvement, pourtant imperceptible, en deçà de la réalisation de la forme ».2 C’est L’Insensible déchirure de Daniel Dobbels, et elle m’a laissé insensible. Ce n’est pas une danse de l’anéantissement, c’est plutôt l’anéantissement de la danse, celle de cette danse que j’aimais tant.
À lire :
Rachel Ertel : Dans la langue de personne. Poésie yiddish de l’anéantissement, Éd. du Seuil, 1993.
1 Salle très bien refaite, au demeurant : disposition des sièges, visibilité, confort et acoustique.
2 In notes du spectacle, par Gérard Mayen.
* Il brûle, frères, il brûle ! / Oh, notre pauvre village, hélas, brûle ! / Les vents mauvais avec leurs rafales / Déchirent, brisent et dispersent, / Les flammes sauvages sont de plus en plus fortes / Tout autour, tout brûle déjà.