Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

This blog is © Miklos. Do not copy, download or mirror the site or portions thereof, or else your ISP will be blocked. 

15 mars 2005

Passion

Classé dans : Musique — Miklos @ 2:09

Formé comme claveciniste et organiste, le hollandais Ton Koopman (né en 1944) s’est forgé une carrière de chef d’orchestre réputé pour le répertoire baroque, qu’il dirige et interprète avec son Orchestre et chœur baroque d’Amsterdam qu’il a créé en 1979. Les instruments sont « authentiques », et le son précis et clair, vigoureux et sobre, sans pour autant être fade ou aigre. Outre le répertoire baroque traditionnel, ils ont créé des œuvres oubliées, tels le Requiem et les Vêpres de Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704). Ensemble, ils ont enregistré une discographie impressionnante qui inclut, entre autres, toutes les cantates de J.-S. Bach, et qui a récolté de nombreuses distinctions : Gramophone Award, Diapason d’or, Edison Award, Prix Hector Berlioz, Deutsche Schallplattenpreis…. Au clavier, Ton Koopman a enregistré à plusieurs reprises de nombreuses œuvres pour orgue de Bach (chez Archiv, Novalis et Teldec), de Buxtehude, de Cornet…, et au clavecin Bach, Byrd, Couperin, Fitzwilliam ou… Poulenc (son Concerto champêtre).

Ce soir, il dirigeait au Châtelet la Passion selon Saint Matthieu de J.-S. Bach, et y accompagnait à l’orgue les récitatifs. Œuvre magnifique (je lui préfère toutefois la Passion selon Saint Jean, plus intérieure), redécouverte après un long silence par Mendelssohn, elle relate les dernières heures de Jésus : trahison, procès, mort et résurrection, dont la trame est le récit qu’en fait l’évangéliste, interprété de façon splendide et bouleversante par le ténor suisse Jörg Dürmüller, qui avait suivi des classes d’Edith Mathis, Christa Ludwig et Hermann Prey, et dont le répertoire va du baroque sacré via l’opéra classique au lied romantique. Ses récitatifs sont ponctués par les interventions des protagonistes — Jésus, bien entendu (Ekkerhard Abele, en retrait, comme si le Christ était déjà mort de son vivant), mais aussi Judas, Ponce Pilate (tous deux chantés par la très belle voix de basse de Klaus Mertens), Marie Magdeleine et l’« autre » Marie (la soprano Cornelia Samuelis, belle voix mais peinant un peu dans les aigus, et la contralto Bogna Bartosz), et la foule, chantée par le chœur de l’orchestre et le chœurs de garçons de Breda. Œuvre dramatique, passionnée, vitale, où tous sont les acteurs d’une tragédie inéluctable, destin personnel de chacun et commun de tous, réflexion intérieure et recueillement profond, explosion d’instincts de peur et de violence, haine et vénération, on y trouve toute la palette des sentiments humains face au divin. La musique et le texte ne font qu’un, des larmes de Pierre jusqu’aux tremblements de la terre face à ce cataclysme, en un dialogue complexe qui se tisse entre les arias d’une intensité exceptionnelle(écoutez ce splendide exemple1) des principaux personnages et les chœurs, parfois apaisés et contemplatifs, parfois déchaînés, reprenant souvent, des chorals connus des fidèles (et récurrents dans l’œuvre de Bach).

Le style Koopman est aussi clair qu’on pouvait s’y attendre, et cette lecture par un ensemble aux effectifs somme toute modestes permet de distinguer la trame musicale, de comprendre chaque parole, et les nuances qu’il apporte soulignent la trame dramatique et se construit autour du récitatif, d’une façon presque pré-classique, qui me rappelle le splendide Oratorio de Pâques (1623) de Heinrich Schütz (qui n’a pas été sans inspirer Bach), et composé presque cent ans auparavant, dans lequel l’évangéliste relate l’histoire de la résurrection de Jésus en un long récitatif avec accompagnement léger et quelques interventions de voix : économie de moyens, sobriété au service du dramatique . Les tempi de Koopman sont parfois un peu rapides et trop expéditifs à mon goût, ce qui peut nuire à l’atmosphère de recueillement de l’événement, tout en contribuant à sa dramatisation.

Mais ce style n’a pas bien « marché » au Châtelet : cette salle n’est pas l’Église Saint Thomas de Leipzig, où l’œuvre avait été dirigée par Bach, et dont l’ampleur — double chœur, double orchestre — y était admirablement servie par les deux tribunes en regard dans l’édifice : l’acoustique exceptionnelle devait contribuer à l’opulence somptueuse de cette œuvre, qui n’aurait pu manquer d’impressionner encore plus son public (comme lorsque l’on entend le grand orgue de Notre Dame de Paris, par exemple). Ce soir, ça sonnait sec et plat, les effectifs réduits contribuant encore plus à cet effet d’écrasement. Il est probable que l’approche de Koopman aurait mieux fonctionné pour une œuvre telle que l’Oratorio de Schütz, composé pour des effectifs très modestes. Quoi qu’il en soit, le sublime était là, et c’est ce qui compte, finalement.



1 Interprété par Janet Baker, avec l’orchestre Bach de Munich sous la direction de Karl Richter (enregistré en 1979 et disponible sur cd chez Archiv Produktion).

Pas de commentaire »

  1. Waow je suis soufflé, c’est magnifiquement empreint de mélancolie! Très touchant comme morceau, c’est même – au sens propre du mot – "sacré"…

    Commentaire par jowy — 15 mars 2005 @ 2:29

  2. Tu vois comme la musique exprime ce que les paroles chantent, sans que je n’ai eu à les retranscrire:

    Pitié pour moi, Seigneur,
    Je souffre et pleure et prie,
    En mon coeur, quelle peine,
    Quels tourments,
    Pitié pour moi, Seigneur.

    Commentaire par miklos — 15 mars 2005 @ 2:33

  3. C’est vrai. Et c’est très beau.

    Commentaire par jeando — 15 mars 2005 @ 5:43

  4. La mode est aujourd’hui aux effectifs réduits.. qui respectent plus les conditions d’origine.. sans commune mesure avec les moyens romantiques ou postromantiques.. ceci dit, même au Chatelet avec Ton Koopman, je suis clairement jaloux..

    Commentaire par zopiros59 — 15 mars 2005 @ 23:32

  5. Comme tu le dis si bien, "la mode". J’ai même entendu des enregistrements d’oeuvres pour choeurs, où chaque voix n’était chantée que par un seul chanteur. Quand je lis que la Passion selon Saint Matthieu a été écrite pour un choeur double et un orchestre double, pour être jouée dans une acoustique réverbérante, eh bien, il me semble que l’effectif réduit dans une acoustique sèche est un contre-sens historique, et ce n’est pas un respect des "conditions d’origine". Mais ça, je l’avais déjà remarqué.

    D’ailleurs, quel sens cela aurait-il de respecter (si on le pouvait, mais je n’y crois pas) ces conditions, pour des oreilles telles que les nôtres, qui entendent un autre espace sonore que celui de l’époque (les bruits du monde, et surtout du monde moderne), qui ont entendu des musiques écrites depuis et qu’on ne peut effacer de sa perception ?

    Quel sens cela a-t-il pour une musique écrite à une époque où on ne respectait pas forcément les effectifs comme aujourd’hui ? Que ce soit l’Offrande musicale de Bach ou Les Sept dernières paroles du Christ de Haydn, l’effectif pouvait varier, sans parler de ces oeuvres qui nous restent aujourd’hui mais dont il ne reste aucune trace de l’instrument d’époque qui a servi à les créer, telles les Nocturnes pour le Roi de Naples, de Haydn, créées pour la "lira organizzata", dont on ne sait rien ? (À propos, cette oeuvre a bien inspiré le roman éponyme d’Edmund White, qui me l’a confirmé).

    Même la question d’un prétendu diapason "d’époque" ne tient pas la route, quand on sait que les orgues de l’époque de Bach (par exemple) différaient dans leur accordage de façon spectaculaire (il y en avait un, je ne me souviens plus lequel, dont le "la" était à 535 Hz – donc bien plus haut que le "la" d’aujourd’hui, qui tend d’ailleurs à monter – rapporte Helmholtz dans son extraordinaire ouvrage sur l’acoustique).

    La question de la fidélité à un original canonique, voire d’une prétendue authenticité (le reste n’étant donc pas légitime), est une sorte de fantasme de l’absolu comme celui d’une langue originelle mère de toutes les langues. S’il donne parfois des résultats intéressants, il n’est pas plus ou moins musical que d’autres lectures plus contemporaines. Va-t-on dire que la lecture de Villon en français quelque peu modernisé n’est pas valable et qu’il faut revenir au texte d’alors, voire à sa prononciation (les disques de son époque doivent être en trop mauvais état)…

    Pour en revenir à cette Passion, j’en ai deux enregistrements avec Karl Richter, intéressants et différents. Ce passage que j’ai extrait ici est moins bien interprété par le contralto dans le second, d’ailleurs.

    Commentaire par miklos — 16 mars 2005 @ 0:24

  6. Décidément, c’est bien vrai: la culture, moins on en as, plus on l’étale !

    Commentaire par Ange — 16 mars 2005 @ 1:37

  7. Ô Sublime âne o’nyme, c’est plutôt toi, Attila de la grammaire, qui devrais le consulter pour apprendre à conjuger le verbe "avoir" à la 3e pers. du singulier.

    Commentaire par miklos — 16 mars 2005 @ 3:27

  8. Ô Sublime âne o’nyme, c’est plutôt toi, Attila de la grammaire, qui t’étales en l’occurrence. Un coup de Bescherelle à défaut de correcteur Windows pour t’apprendre à conjuger le verbe "avoir" à la 3e pers. du singulier ?

    Commentaire par miklos — 16 mars 2005 @ 3:31

  9. Décidément, ô Sublime âne o’nyme, c’est plutôt toi qui t’étales ici et ailleurs en l’occurrence. Un coup de Bescherelle à défaut de correcteur Windows pour t’apprendre, Attila de la grammaire, à conjuger le verbe "avoir" à la 3e pers. du singulier ?

    Commentaire par miklos — 16 mars 2005 @ 3:35

  10. Ce que tu dis montre non seulement l’évolution du goût mais aussi la réalité d’une interprétation qui passe par des choix.. Je connais Karl Richter et je dois dire que je n’adhère pas.. car je suis né à Bach avec les orchestres baroqueux.. mais je n’aime pas non plus les intégristes de l’épure qui veulent représenter une foule par un personnage.

    Commentaire par zopiros59 — 16 mars 2005 @ 19:50

  11. Cet aria est vraiment magnifique. Je l’ai entendu mercredi soir à la Cathédrale de Lund et c’était un moment magique. Quelque chose passait.

    Commentaire par theutheu — 26 mars 2005 @ 13:26

Flux RSS des commentaires de cet article. TrackBack URI

Laisser un commentaire

XHTML: Vous pouvez utiliser ces balises : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

The Blog of Miklos • Le blog de Miklos