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20 mars 2005

De battre mon cœur s’est arrêté

Classé dans : Cinéma, vidéo — Miklos @ 0:09
 

Ce qu’il y a de mieux, dans ce film de Jacques Audiard, à part son titre si évocateur, ce sont les seconds rôles : le grand Niels Arestrup, tout d’abord, dans le rôle de Robert, vieil agent immobilier véreux et veule, dont la femme, pianiste de renom, a fini folle et abandonnée de lui, et qui se sert de son fils Tom qui l’aime inconditionnellement mais pour lequel il n’éprouve rien, pour faire cracher les loyers à ses débiteurs, sans aucun scrupule et quel qu’en soit le prix ; la belle et mystérieuse Emmanuelle Devos au jeu si subtil et discret — un bref tremblement de lèvre, une hésitation ici, un regard là — est Chris, cette brave jeune femme simple et un peu paumée, que Robert a charmée par son humour puis si rapidement déçue ; Linh-Dan Pham (qui avait joué le rôle de Camille dans Indochine de Régis Wargnier, aux côtés d’une brochette de grands acteurs) est Miao-Lin, la pianiste au visage lisse et impassible, qui, avec calme et énergie intériorisés, avec écoute et attention si concentrées, prépare Tom à l’audition qu’il veut passer, faisant montre d’une patience tenace et dont l’explosion de colère ou le bref commentaire de félicitation n’en sont que plus frappants ; même Emmanuel Finkiel (qui a réalisé le bouleversant film Voyages), qui n’apparaît que quelques instants dans le rôle du professeur de piano de conservatoire, a une présence qui crève l’écran, et ne manque pas de rappeler, à divers égards, Emmanuel Salinger.

Et Romain Duris, dans tout ça ? Après tout, c’est lui le personnage principal du film, Tom, agent immobilier comme son père, traficotant des affaires douteuses avec deux associés véreux, tous trois petites frappes qui n’hésitent pas à recourir à la violence pour terroriser mauvais payeurs et squatteurs. Et pourtant, il avait été si doué pour le piano, qu’il avait arrêté dix ans auparavant, et se retrouve, par le hasard de l’intrigue, devant le désir profond de s’y remettre, ce qui ne peut que causer des conflits — intérieurs, bien évidemment, mais aussi avec le monde qui l’entoure : son père, ses associés. Duris, beau mec s’il en est et que l’on aperçoit sous presque toutes ses coutures, joue avec vigueur et de façon très incisive ce voyou brutal bien sapé ; il est clair que la caméra l’aime, elle tourne autour de lui, elle le caresse — qui ne voudrait pas se substituer à elle ? Mais c’est dans l’autre facette du personnage, celle du musicien frustré qui tente de se réapproprier son art, qu’il est gauche et peu convaincant : au clavier, on le voit bien jouer les premières notes de cette toccata de Bach qu’il travaille avec Linh-Dan Pham (et ce n’est pas du chiqué), mais dès que la caméra quitte ses mains et se tourne vers son visage et son corps, ce sont des expressions et des mouvements compassés sensés refléter son combat contre la technique qu’il n’arrive que graduellement à maîtriser, avec l’aide sereine de Miao-Lin ; ses pianotements obsessionnels en dehors des cours sont bien moins convaincants que quelques rares moments où il semble vraiment ailleurs.

Le scénario, alors ? Les développements sont souvent prévisibles, et en tout cas on n’est ni surpris, ni touché — si ce n’est justement dans ces instants où les seconds rôles viennent insuffler vie et sentiment. C’est un film d’une rare violence graphique en clairs-obscurs que la caméra, souvent à l’épaule, souligne encore plus par ses mouvements saccadés et rapides, parfois si proche à en déconstruire l’image, ce qui se résume finalement à des effets de style comme il est souvent de mode. Si le but était d’illustrer ainsi le conflit intérieur de Tom, eh bien c’est raté, et on n’aura eu ici qu’un film de genre, un polar bien noir actuel et dans le vent. Même deux des moments les plus forts de l’intrigue, celui où Tom voit soudain la violence de ses comparses, et celui où il retrouve son père pour la dernière fois, sont étrangement froids, non pas par refoulement ni par discrétion, mais par une sorte de maladresse qu’aurait la caméra à aborder les sentiments profonds de Tom, et pourtant c’est dans ces moments-là que son cœur a dû s’arrêter de battre. Ce n’est pas un film sur la rédemption, comme l’ont pourtant affirmé certains. Sur ce plan, on ne peut que se souvenir avec éblouissement du très beau Plata quemada (sorti en France sous le titre « Vies brûlées ») de Marcelo Piñeyro, ce « Bonnie et Clyde » homosexuel, où la violence, toute aussi présente, n’était jamais gratuite, œuvre de la facture d’une grande tragédie et qui se termine par une image qui reste imprimée dans le souvenir, transposition de la Pietà, qui clôt en une grande Passion les passions de ce film-là.

Si vous aimez vraiment la musique, n’allez pas voir ce film.

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  1. J’aime pas trop la musique, ça tombe bien ;)

    Commentaire par chapichapo — 21 mars 2005 @ 0:29

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