Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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21 mars 2005

Choix de vie

Classé dans : Philosophie — Miklos @ 8:16

I. De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions ; en un mot, toutes nos actions.

II. Celles qui ne dépendent point de nous sont le corps, les biens, la réputation, les dignités ; en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions.

III. Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature, rien ne peut ni les arrêter, ni leur faire obstacle ; celles qui n’en dépendent pas sont faibles, esclaves, dépendantes, sujettes à mille obstacles et à mille inconvénients, et entièrement étrangères.

VII. Souviens-toi que la fin de tes désirs, c’est d’obtenir ce que tu désires, et que la fin de tes craintes, c’est d’éviter ce que tu crains. Celui qui n’obtient pas ce qu’il désire est malheureux, et celui qui tombe dans ce qu’il craint est misérable. Si tu n’as donc de l’aversion que pour ce qui est contraire à ton véritable bien, et qui dépend de toi, tu ne tomberas jamais dans ce que tu crains. Mais si tu crains la mort, la maladie ou la pauvreté, tu seras misérable. Transporte donc tes craintes, et fais-les tomber des choses qui ne dépendent point de nous, sur celles qui en dépendent ; et, pour tes désirs, supprime-les entièrement pour le moment. Car, si tu désires quelqu’une des choses qui ne sont pas en notre pouvoir, tu seras nécessairement malheureux ; et, pour les choses qui sont en notre pouvoir, tu n’es pas encore en état de connaître celles qu’il est bon de désirer. En attendant donc que tu le sois, contente-toi de rechercher ou de fuir les choses, mais doucement, toujours avec des réserves, et sans te hâter.

Epictète : Pensées et entretiens (extrait)

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  1. Que d’évidences oubliées!
    Peut-être que cela est dû au fait que nous ne saurions pas vivre avec.

    Commentaire par noctis — 21 mars 2005 @ 9:26

  2. (Oh, je crois que nous saurions vivre avec.

    Le fait est que nous ne le voulons pas vraiment : notre (post-)modernité occidentale est une société du désir, de son exacerbation, de sa reconduction, de sa consommation et de sa vente.

    Mais l’aspiration à, au moins, des désirs plus raisonnés, est présente aujourd’hui. Les publicitaires vendent donc du zen. Jolie contradiction, que l’on n’interroge pas assez, je trouve.

    Epictète est au-delà de cela – mais vous le savez bien, noctis :o ). Le tout est de parvenir à effectuer ce futu choix, te cesser de courir.)

    Commentaire par kliban — 21 mars 2005 @ 10:03

  3. Post-modernité? vous croyez qu’Epictète écrivait à la postérité?
    Je pense, pour ma part, que l’homme est condamné à courir et que c’est ce cette course que dépend son accomplissement.

    Commentaire par noctis — 21 mars 2005 @ 10:15

  4. (non, je ne pense pas qu’Epictète écrivait pour d’autres que ceux de son époque. Mais qu’un texte soit universel échappe à la volonté de l’auteur – encore heureux ! Il y a, à mon sens, beaucoup à gagner à sa fréquentation.

    Je ne crois pas, pour ma part, que l’homme soit condamné à quoi que ce soit. Par contre je vous rejoins, ô combien, pour penser que c’est de sa course que dépend son accomplissement : qui ne fait rien n’obtient rien – Epictète ne dit rien d’autre : "contente-toi de rechercher". Il écrit, il est vrai, pour des Grecs qui auraient le désir de courir lentement :o ) Mais, en matière spirituelle, il y a fort peu de règles, sinon la persévérance et le discernement.)

    Commentaire par kliban — 21 mars 2005 @ 10:24

  5. L’homme est déjà condamné à être un homme. Moi, je trouve que c’est une peine capitale ;-P
    De même il nous faut courir, ce n’est pas du fatalisme, mais juste une métaphore qui voudrait résumer l’état d’esprit de l’Homme actuel. Trop séduit par le futur, il en oublie le présent. Trop ébloui par le rêve, il reste aveugle aux beautés du monde.
    La spiritualité dans le "monde actuel" se résume à une séance de Yoga toutes les semaines suivie de descentes journalières dans le matérialisme et la consommation.

    Commentaire par noctis — 21 mars 2005 @ 10:37

  6. J’ai un peu du mal à te suivre, Kliban, puisque tu sembles d’une part critiquer la société actuelle en ce qu’elle exacerbe le désir et, de l’autre, estimer que la course est condition de l’épanouissementd e l’homme. Le renouveau inextinguible du désir est-il donc pour toi une bonne ou une mauvaise chose?
    D’autre part, je ferai retentir une voix discordante avec Epictète: j’applaudis bien sûr aux conclusions surlignées par Miklos mais non à la position de principe selon laquelle il ne faut pas désirer ce qui "n’est pas en notre pouvoir". Car, selon ce postulat, la médecine n’aurait guère fait de progrès et il est de toute façon à mon sens illusoire de prétendre déterminer ce qui dépend ou ne dépend pas de nous.

    Commentaire par ronans — 21 mars 2005 @ 12:15

  7. À l’encontre de ronans, je me permettrai de signaler que si la médecine a fait des progrès, c’est que c’était en son pouvoir. Ce que dit Epictète c’est qu’il ne faut pas rêver à l’impossible, et ainsi vivre en frustration et échec permanents. Ce que je relève particulièrement, c’est qu’il affirme (ce que je crois, et l’ai encore dit récemment) que le désir est aussi une affaire de notre volonté ; depuis l’époque romantique (c’est récent), on affirme que ce n’est pas le cas (ce que je récuse) et, autant dans le domaine personnel que social, cela s’inscrit bien dans un individualisme qui glorifie le désir personnel de posséder (corps, gens, objets), dans une consommation exacerbée et – évidemment – toujours insatisfaite, puisqu’il faut continuer. C’est bien une course permanente (et là j’adhère avec ce que dit ronans au début) qui n’est pas identique à l’action, loin de là, bien heureusement : la marche de l’homme n’est pas forcément identique au "progrès" identifié aujourd’hui à la technique (cf. http://...).

    Commentaire par miklos — 21 mars 2005 @ 18:38

  8. Philosophiquement parlant, ta position est discutable: comment connaître ce qui est en ton pouvoir sans éprouver les limites de ce pouvoir? L’exemple de la médecine est parlant: ce qui semblait hors du pouvoir de l’homme au XVI° ne l’est plus aujourd’hui, etc.

    Commentaire par ronans — 21 mars 2005 @ 20:17

  9. Mmmh, à mpn sens on mélange les niveaux.

    Epictète ne s’adresse pas à l’ensemble du genre humain, et n’édicte pas, à mon sens, de règles sociologiques ou politiques – au sens où on entend ce terme aujourd’hui : règles des jeux de pouvoir.

    Il s’adresse d’abord à celui qui décide de suivre son école – stoïcisme – et l’exhorte à pratiquer certains exercices. S’il parle de quelque chose, c’est donc bien d’un chemin de vie, qui s’adresse à chacun s’apprêtant à le suivre. Le propos est donc avant tout spirituel, ou, dans un sens grec : éthique. Il s’agit de trouver, pour soi, la vie bonne. Non pas d’élaborer des normes morales et politiques générales.

    Ainsi, supposant que je sois chercheur, ce qui est en mon pouvoir, c’est de chercher. Ce qui n’est pas en mon pouvoir, c’est de trouver. Je ne dois donc pas, à titre personnel, désirer trouver. Par contre, on ne cherche bien que si l’on met de l’énergie à résoudre les difficultés survenant à la recherche. Où puiser cette énergie, si ce n’est dans le désir ? C’est en fait toute la difficulté que pose Epictète : comment continuer à agir ? Sans doute, momentanément, ne le peut-on que difficilement : c’est une forme d’ascèse, temporaire, qui permet d’acquerrir le discernement quant à ce qui est en mon pouvoir et ce qui ne l’est pas, et surtout d’y accorder mon désir. Un point ici, en bémol de Miklos : la volonté ne sert que dans cette phase d’accordage, comme moyen privilégié de l’ascèse. Encore qu’Epictète insiste sur le caractère paisible et non forcé de la quête : non pas de se blinder, mais se modifier en profondeur, donc lentement.

    Il ne s’agit donc pas de se dire "avec une morale pareille, la médecine n’aurait pas progressé". Ce type d’argument ressemble fort à "si tous les hommes étaient homos, l’espèce ne se reproduirait plus". Tout comme l’homosexualité, le stoïcisme ne concerne qu’une minorité et ne met pas en danger le monde dans son délire de désirs. La question de l’opportunité politique ou morale du stoïcsime ne se poserait que si effectivement il pouvait venir empêcher la société dans son évolution (tout comme cela se passe aujourd’hui sur les rapport entre, par exemple, certain christianisme et l’avortement).

    Juste un point pour finir sur "course" : je ne pense pas qu’il y ait condamnation de l’homme moderne – d’un point de vue spirituel, sa situation est aussi mauvaise que jadis :o ) Il y avait par contre vraisemblablement ambiguité dans ma dernière réponse. J’y emploi en effet le "course" de noctis en deux sens :

    1. la frénésie de désir qui pousse l’homme moderne toujours de l’avant en quête d’il ne sait trop quoi ;

    2. l’activité de l’homme en général. noctis (avec qui je suis globalement d’accord lorsqu’elle évoque les mirages de spiritualité dans le monde contemporain – autant dire : rien ou presque) disait "c’est de cette course que dépend son accomplissement". C’est dans la course quotidienne qu’il faut aussi trouver les moyens de n’être plus affectée par la course :o ) La solution d’Epictète n’est pas "retire-toi du monde" mais "si tu vis dans le monde, ne désire que ce qui y est en ton pouvoir". Ce que j’appelais encore "cesser de courir", au sens 1 de course :o )

    Commentaire par kliban — 21 mars 2005 @ 21:09

  10. J’ai sans doute utilisé de façon ambigüe "volonté", je voulais dire par là "choix", finalement comme dans une sorte de yoga mental, où on fait l’effort de ne pas faire d’effort, en quelque sorte. En ce qui concerne le désir, il est bien entendu une affaire personnelle, mais vécu dans la cité (excepté pour les hermites…) il ne peut manquer d’avoir un iimpact sur la vie sociale, et donc économique et politique (dans les acceptions d’origine et présentes de ces termes). C’est d’ailleurs évident, me semble-t-il, dans l’article II ci-dessus, qui parle de choses éminemment sociales.

    La question de la recherche (scientifique): tout chercheur (je l’ai été, pendant une période) fonctionne non seulement sur le désir d’aller au delà, mais aussi (enfin je suppose que c’est assez généralisé) sur une combinaison d’intuition et d’expérience qui lui fait diriger sa quête vers des directions qui lui semblent réalisables.

    Enfin, j’aurais utilisé pour "course" au 2e sens le mot "cours"… Le cours de la vie, plutôt que la course du quotidien…

    Commentaire par miklos — 21 mars 2005 @ 23:45

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