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30 janvier 2008

Jerome K., ou les (més)aventures de trois hommes

Classé dans : Littérature — Miklos @ 17:36

« Ce ne sont ni le style ni le savoir qu’il diffuse qui font la qualité essentielle de ce livre. C’est sa vérité. Les événements qui en composent la trame sont réellement arrivés. » — Jerome K. Jerome

Ce titre ne fait aucunement allusion à une certaine personne actuellement sous les feux de l’actualité et sur le grill de la brigade financière, à son patron et à un initié, mais à George, à William Samuel Harris et à leur ami, le narrateur anonyme (sans compter le chien, Montmorency), les trois célèbres héros de deux nouvelles fort amusantes de Jerome K. Jerome (où le « K » est l’initiale de « Klapka »). La plus connue et traduite en français sous le titre de Trois hommes dans un bateau (sans compter le chien)1, publiée en 1889 relate leurs aventures en barque le long de la Tamise, après que le médecin de l’hypochondriaque narrateur (ce qui correspond bien au caractère de l’auteur) lui ait donné en guise de remède une ordonnance lui recommandant de bien manger, de prendre l’air et de se vider la cervelle. Car comment guérir autrement de telles afflictions ?

«J’ai toujours en mémoire cette visite faite un jour au British Muséum. Je voulais me renseigner sur le traitement d’une légère indisposition dont j’étais plus ou moins atteint – c’était, je crois, le rhume des foins. Je consultai un dictionnaire médical et lus tout le chapitre qui me concernait. Puis, sans y penser, je me mis à tourner les pages d’un doigt machinal et à étudier d’un œil indolent les maladies, en général. J’ai oublié le nom de la première sur laquelle je tombai – c’était en tout cas un mal terrible et dévastateur – mais, avant même d’avoir lu la moitié des « symptômes prémonitoires », il m’apparut évident que j’en souffrais bel et bien. Un instant, je restai glacé d’horreur. Puis, dans un état de profonde affliction, je me remis à tourner les pages.

J’arrivai à la fièvre typhoïde… m’informai des symptômes… et découvris que j’avais la fièvre typhoïde, que je devais l’avoir depuis des mois sans le savoir. Me demandant ce que je pouvais bien avoir encore, j’arrivai à la danse de Saint-Guy… et découvris – comme je m’y attendais – que j’en souffrais aussi. Je commençai à trouver mon cas intéressant et, déterminé à boire la coupe jusqu’à la lie, je repris depuis le début par ordre alphabétique… pour apprendre que j’avais contracté l’alopécie et que la période aiguë se déclarerait dans une quinzaine environ. Le mal de Bright – je fus soulagé de le constater – je n’en souffrais que sous une forme bénigne, et pourrais vivre encore des années. Le choléra, je l’avais, avec des complications graves. Quant à la diphtérie, il ne faisait aucun doute que j’en étais atteint depuis la naissance.» Consciencieux, je persévérai tout au long des vingt-six lettres de l’alphabet et, pour finir, il s’avéra que la seule maladie me manquant était bel et bien l’hydarthrose des femmes de chambre.

L’art de Jerome K. Jerome réside non pas uniquement dans son humour subtil et discret, très british (comment en serait-il autrement), mais aussi dans sa capacité d’agrémenter ce voyage au fil de l’eau de réflexions philosophiques sérieuses dites légèrement, de vignettes et d’anecdotes s’enchaînant de fil en aiguille par associations d’idées, de façon quasi hypertextuelle. Ceux qui l’ont lu se souviendront probablement de la façon qu’avait l’oncle Podger d’accrocher un tableau, mobilisant toute la famille pour la durée de l’aventure, dont l’issue était prévisible : « Enfin, vers minuit, le tableau était accroché, de guingois et précairement ; le mur alentour, sur plusieurs mètres carrés, semblait avoir essuyé un tir de mitrailleuse et tous, nous titubions de fatigue et de découragement, tous sauf oncle Podger ». Ou de la relation du transport dans un compartiment de train de « merveilleux fromages, moelleux et bien faits, d’un fumet d’une puissance de deux cents chevaux-vapeur, et qu’on aurait pu garantir capable de porter à trois milles et de foudroyer son homme à deux cents mètres », de l’impact de leur arôme sur les voyageurs, puis sur la personne à laquelle ils étaient destinés, et qui finiront enterrés sur la plage d’une station balnéaire, qui en acquerra une grande réputation, « si bien que malades des bronches et grands anémiques y accoururent en foule pendant des années ».

Jerome décrit gentiment les travers de l’espèce humaine, qu’il prend à son compte. Voici ce qu’il dit de la procrastination :

«J’ai toujours l’impression de fournir plus de travail que je ne devrais. Non pas que le travail me répugne, remarquez ; j’aime le travail, il m’exalte. Je resterais des heures à le contempler. J’apprécie énormément sa compagnie, et l’idée d’en être séparé me brise le cœur.

On ne saurait m’en donner trop ; accumuler le travail est même devenu chez moi une sorte de passion ; mon bureau en est rempli à un tel point qu’il n’y a plus de place pour en mettre davantage. Il me faudra bientôt construire une annexe.

En outre, je prends soin de mon travail. Une partie de celui que j’ai en ce moment chez moi est en ma possession depuis des années et des années, et il n’est souillé d’aucune trace de doigts.» Je suis très fier de mon travail. Je le descends de temps à autre pour l’astiquer. Je ne connais personne qui garde son travail en meilleur état de conservation que moi.

Le voyage des trois amis se terminera par une soirée réussie à l’Alhambra, suivie d’un souper roboratif et d’un toast – comme il se doit – auquel se joindra Montmorency.

Quelques années plus tard, Jerome publiera les aventures des trois amis en balade à bicyclette dans la Forêt noire2. Écrite dans la période de grande popularité du vélo suite à l’invention de la transmission par chaîne et des pneus, elle ne devrait pas manquer de plaire aux adeptes du Vélib’ (sans compter les autres). Enfin, à ceux qui préfèrent le luxe, le calme et la volupté de leur fauteuil, on conseillera la lecture des Pensées paresseuses d’un paresseux du même auteur.


1 Le sous-titre varie selon l’époque de la traduction (« sans oublier le chien », « sans parler du chien », « pour ne rien dire du chien »).
2Intitulé Three Men on the Bummel (et non pas « in », comme l’indique la Wikipedia française), le mot dénotant une randonnée ou balade sans but précis, et où l’on revient toujours, quelques heures ou quelques jours plus tard, vers son point de départ. Elle a été traduite en français sous les titres Trois Hommes en balade et Trois hommes sur un vélo.

2 commentaires »

  1. Je place en premier Jerome K. Jerome dans la liste des mes auteurs préférés. Mon épouse n’apprécie pas que je lise un de ses ouvrages quand je suis couché : mes rires, difficilement contenus, font bouger le lit !

    Commentaire par OLIVIER — 2 mai 2009 @ 18:03

  2. Ce n’est donc pas un rire british, plus connu sous le nom de chuckle, qui fait à peine bouger un repli du menton et, éventuellement, se relever un sourcil de quelques millimètres…

    Commentaire par Miklos — 2 mai 2009 @ 18:23

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