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17 février 2008

Ils sont partout et ils raflent tout

Classé dans : Actualité, Politique — Miklos @ 21:59

« [La mandature de Bertrand Delanoë] est nettement meilleure que celles de Jacques Chirac ou Jean Tiberi. Bertrand Delanoë a nettement réduit les gaspillages. Il y en a encore, mais par rapport à ce que c’était avant, c’est le jour et la nuit. Salaires fictifs, chauffeurs à tout va, piston pour les logements, tout ça, c’est fini ou presque. Il y a eu un effort considérable aussi au niveau des crèches. (…) Delanoë a des qualités et il a de grandes chances d’être élu… Et je suis loin de faire l’éloge de Mme de Panafieu. Il faudrait quand même qu’elle travaille de temps en temps. On peut reprocher beaucoup de chose à Delanoë mais personne ne pourra dire que ce n’est pas un grand bosseur. » — Yvan Stefanovitch, entretien dans Métro, 2 février 2008.

Une phrase que le journaliste Yvan Stefanovitch a énoncée publiquement au cours d’un échange avec le public en présence d’un Jean-Marie Cavada silen­cieux cause problème. Mais quel est le problème ? Il est clair – une écoute super­fi­cielle de la vidéo d’une partie de son inter­ven­tion (j’en ai effectué la trans­crip­tion intégrale) permet de le supposer – qu’il voulait dire « les subventions [pour le vote juif] à Paris c’est pire que [l’affaire des sub­ven­tions inégales aux asso­cia­tions de déportés de Buchenwald, d’une part, et de] Dachau [d’autre part] », dont il venait de parler avec beaucoup d’indignation. À première vue, on peut appeler cela un malheureux raccourci. Ce qui est aussi clair, c’est que son père faisait partie de celle de ces deux associations qui recevait le moins de subventions, et qu’il a dû en véhiculer un certain ressentiment à l’égard du soutien différencié apporté par la Ville aux associations de rescapés des différents camps de concentration.

YS refuse de répondre à la question (répétée) de Jeremy Sahel, qui lui demandait s’il avait étudié les demandes de subvention et donc les activités respectives de ces associations. Il ne répond que : « Ils font tous la même chose » (ce qui est faux, de façon patente), et ils « reçoivent tous les mêmes locaux » (à ma connaissance, ils ne les « reçoivent » pas, et ils sont différents les uns des autres). Il rajoute que, de toute façon, « les rescapés il y en a de moins en moins »… argument qui ne prend pas en compte le fait qu’il n’y pas que des rescapés parmi les adhérents et les activistes de ces association, d’une part, et que l’ampleur et le coût des activités ne dépend pas directement du nombre de membres. En bref, aucune argumentation, aucune preuve de ces affirmations. À l’aune de cette approche superficielle, ne faudrait-il pas « égaliser » les subventions de la Ville au Théâtre musical de Paris, au Théâtre de la Ville, au Théâtre du Rond-point ou au Théâtre Silvia Monfort (sans parler de tous les autres théâtres : ils font tous la même chose), ou à chacune des caisse des écoles d’arrondissement (pour la même raison) ?

YS annonce des chiffres quand ça l’arrange, quitte à les modifier en cours d’intervention : ainsi, il affirme d’abord que les anciens de Buchen­wald ont reçu 6000 € tandis que ceux du camp de son père 2000 à 3000 € ; quelques instants plus tard, il indique que la première de ces deux subventions s’élève à 3500 € et l’autre à 2500 €. Quand il affirme que ceux d’Auschwitz « sont les plus mauvais, ils n’ont reçu que 500 Euros », et en même temps que ces chiffres sont inchangés depuis 20, 30 ou 40 ans (en rajoutant que « ça ne repose sur rien »), il est patent qu’il se trompe sur ces deux affirmations. Il suffit de consulter le détail des subventions en 2004 pour constater que l’amicale des déportés d’Auschwitz et des Camps de Haute Silésie avait reçu 4000 €, et l’association fonds mémoire d’Auschwitz 381 €. Soit les chiffres ont bien changé contrairement à son affirmation, soit il confond ces deux associations en les amalgamant.

La somme totale des subventions annuelles aux associations était, en 2006, de l’ordre de 165 millions d’euros, dont 2% – 3,3 millions – sont allés à des subventions inférieures à 5000 € – donc qui recouvrent toutes les associations qu’il a mentionnées – infime goutte d’eau dans cette enveloppe annuelle. On se demande alors ce qui justifie l’ampleur démesurée de son attaque à l’encontre de celles-ci en particulier : bien d’autres organisations d’anciens déportés, internés et résistants de cette époque ont reçu des subventions1 pour certaines pour des sommes parfois plus importantes – l’association des déportés et internés résistants et patriotes de Paris a reçu, en 2004, 14.141 €, l’association nationale des anciennes déportées et internées de la résistance 4.269 €, etc. – mais il n’en parle pas : est-ce parce qu’il n’y paraît pas la mention de « camp de concentration » dans leur nom ?

Ce qui me frappe finalement à la relecture de son intervention, c’est ce qui y est sous-jacent : la « question juive » (il parle d’« associations à coloration juive »), au travers de l’argument du vote juif – je serais curieux de savoir les chiffres (même s’il n’y a plus de fichier des juifs à la mairie) et s’ils sont aussi importants qu’il veut le faire craindre. Du coup, il passe des camps (pour juifs) aux écoles (juives), véhicule les stéréotypes des juifs pollueurs qui font des « embouteillages fantastiques » (ça ne rappelle-t-il pas, autres temps mêmes mœurs, le bruit et l’odeur des immigrés évoqués par notre précédent président lors d’un discours à Orléans ?), et tout tourne autour de questions d’argent, d’argent et encore d’argent (pas uniquement les subventions, mais la façon dont il parle de leurs 4×4 !).

Mais s’il s’en prend à une école juive sous le prétexte qu’elle n’a pas le droit de recevoir des subventions si elle n’admet que des élèves juifs (je ne sais comment il a vérifié : j’ai une amie catholique qui enseigne dans une école juive religieuse), pourquoi ne critique-t-il pas, par exemple, la subvention (80.700 € en 2004) à l’« association des évêques fondateurs de l’institut catholique de Paris », dont je doute qu’elle ait parmi ses membres fondateurs des évêques musulmans ou juifs, Dieu préserve ? Pourtant, il affirme dans cet entretien « Si c’était une école islamique ou protestante je serais contre aussi. C’est valable pour toutes les confessions ».

Plus sérieusement : une association (légale) qui choisit ses membres devrait être en mesure de recevoir des subventions publiques. C’est le cas pour la Maison des femmes de Paris (l’une des structures subventionnées) qui affirme être « un espace d’initiatives et de solidarité féministe, un lieu non mixte ouvert à toutes les femmes ». Où est le mal ? Il n’y a pas non plus de mal à ce que la Ville et l’État soutiennent des écoles privées de telle ou telle confession de façon à assurer que toutes les conditions (sanitaires, pédagogiques…) soient assurées, et pour cadrer l’enseignement et éviter les dérives. La seule alternative serait d’interdire purement et simplement de genre d’écoles.

Enfin, il affirme que ce type d’association « ne mérite pas » de subvention. Je me demande quels sont, selon lui, les critères de mérite ? Une école privée mérite-t-elle moins d’être soutenue que les survivants de camps faisant œuvre de pédagogie ? Quant à son incise sur l’aide énorme aux associations homosexuelles (qui n’est pas sans rappeler l’attaque de Françoise de Panafieu en 2006 sur ce thème), s’ils reçoivent (je n’ai pu vérifier) 600.000 Euros comme il l’affirme sur les 137 millions, c’est de l’ordre de 0,44%, bien moins que le pourcentage supposé des personnes qu’ils représentent dans la population générale.

C’est l’air du temps, et le fond de l’air effraie (titre d’une affiche du Caveau de la république en 1990).

Post scriptum

Dans un entretien téléphonique le 18 février avec MuniParis, Y.S. confirme sa thèse et s’enfonce. En clair : quelle que soit l’opinion politique des Juifs, de gauche comme de droite, ils votent tous identiquement et là où est l’argent. Quant à la vidéo témoignant de sa phrase à propos du vote juif et de Dachau, elle a « peut-être été truquée » et la personne qui l’a interrogé – Jeremy Sahel – a-t-il même une carte de journaliste ?

Si j’avais quelque doute sur le sens de ses déclarations, je n’en ai plus.


1 En 2004 :
Association des déportés et internés resistants et patriotes de Paris : 14141  €
Amicale nationale des déportés et familles de disparus de Natzweiler-Struthof et ses kommandos : 5000 €
Association nationale des anciennes déportées et internées de la résistance : 4269 €
Amicale des déportés d’Auschwitz et des camps de Haute Silésie : 4000 €
Association française Buchenwald-Dora et kommandos : 3500 €
Amicale du camp de concentration de Dachau : 2500 €
Association des victimes et rescapés des camps nazis du travail forcé et des réfractaires de la (…) : 2500 €
Association des déportés internés et des familles de disparus : 2138 €
Comité de liaison des associations d’anciens combattants, déporté, résistants, veuves de guerre : 900  €
Union nationale des associations de déportés, internés et familles de disparus : 700 €
Fédération nationale des déportés et internes de la résistance : 700 €
Union départementale des déportés internés et victimes de guerre de la Seine : 600 €
AFN et déportés de l’Île de France : 457  €
Fonds mémoire d’Auschwitz : 381 €

2 commentaires »

  1. Je tiens à préciser que la « Catho » accueille des étudiants sans condition de nationalité ou de religion dans ses cours d’été qui sont l’objet de cette subvention. Elle forme d’ailleurs, depuis peu, des imams

    Commentaire par francois75002 — 18 février 2008 @ 0:29

  2. À vrai dire, ma mention de l’« association des évêques fondateurs de l’institut catholique de Paris » était quelque peu ironique, et parodiait l’argument inverse lancé à l’encontre des écoles juives.

    Sur le fond : à la question si une association qui choisit ses membres est en droit de recevoir des subventions publiques, je pense (c’est mon opinion, pas ma connaissance de la réponse juridique, pour autant qu’il y en ait une) que cela ne devrait pas être exclus : la Maison des femmes de Paris (l’une des structures subventionnées) affirme être « un espace d’initiatives et de solidarité féministe,
    un lieu non mixte ouvert à toutes les femmes », où est le mal ?

    Commentaire par Miklos — 18 février 2008 @ 7:24

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