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7 mai 2008

« La vérité est ailleurs » : chez Google et dans la Wikipedia, par exemple

Classé dans : Sciences, techniques, antisémitisme, racisme — Miklos @ 1:09

Lors de la soirée thématique consacrée aux Bréviaires de la haine, Arte a diffusé un documentaire de Barbara Necek, La vérité est ailleurs, consacrée aux Protocoles des Sages de Sion. Ce plagiat antisémite du Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu1, rédigé à la fin du xixe s., décrit un prétendu complot juif destiné à dominer le monde. On en connaît depuis les années 1920 l’auteur – un Russe (pays où circulent encore aujourd’hui des accusations de meurtre rituel à l’encontre des Juifs) – et ses motivations, ce qui n’a pas empêché ce livre de connaître un succès qui ne se dément pas, et en particulier dans les cercles négationnistes et néonazis, ainsi que dans le monde arabe, outil de propagande et d’endoctrinement de thèses haineuses. Will Eisner a relaté l’histoire de ce faux dans une bande dessinée remarquable, publiée peu de temps avant sa mort, et préfacée par Umberto Eco.

Le documentaire de ce soir en citait quelques passages, qui retentissaient avec le triste écho des événements de la Seconde guerre mondiale : comment, en les entendant, pouvait-on croire à un quelconque fantasme de domination juive, lorsque ce texte décrit de façon prémonitoire le plan mis en œuvre par les nazis ? Gouvernement central et fort, intensification des forces militaires et de police, suprématie d’une race forte, exploitation des tarés, suppression de l’initiative personnelle et sacrifice des individus au droit du pouvoir – et destruction de tout ce qui serait un obstacle à ce plan. Pour tout esprit sensé et connaissant un tant soi peu les réelles blessures de l’histoire, c’est le produit des vœux profondément destructeurs d’un individu malade de haine antijuive, que d’autres ont pu réaliser pendant un temps : qui veut noyer son chien l’accuse de la rage…

Interdit à « la circulation, la distribution et la mise en vente » en France depuis 1990, il n’est pas étonnant de le retrouver diffusé sur l’internet. Son hébergement à l’étranger en soi n’est pas illégal, mais c’est le fait qu’il soit accessible sur des écrans en France qui l’est : cela participe de cette diffusion interdite. Quand c’est le fait d’individus ou de groupes – souvent anonymes lorsqu’il s’agit de Français – acquis à ces thèses racistes, il est souvent difficile de faire appliquer la loi.

Ce qui est plus curieux, c’est d’en voir la diffusion du contenu assurée par Google2 ou par la Wikipedia française – toutes deux accessibles sur le territoire français. Que l’une ou l’autre soient une société ou un organisme établi à l’étranger ne change rien au fond. Que la première ait choisi de supprimer de ses services accessibles en Chine des contenus « sensibles » là-bas et ne le fasse pas ici3 est aussi compréhensible : après tout, le marché potentiel en Chine est tellement plus important qu’ici, où de toute façon la majorité des surfeurs est acquise à Google. Quant à la seconde, on sait qu’elle a revendiqué avec succès, devant les tribunaux français, le statut d’hébergeur et non pas d’éditeur4 : mais ceci ne suffirait par à l’exonérer de responsabilité sur la diffusion de ces contenus interdits, d’autant plus qu’elle revendique le fait d’offrir « serveurs [et] bande passante ». Comme sa présidente affirme aussi sa volonté « à ne pas conserver les contenus illégaux », on ne doute pas qu’une fois cette information parvenue à leurs yeux, ils « mettront un point d’honneur » à l’examiner, après avoir constaté que, dans ses propres pages, la WP sait l’existence de cette interdiction, tout en en fournissant l’adresse de sa version dans Wikisource. Il est d’ailleurs curieux que cette dernière – l’un des projets Wikimedia – choisit d’exclure tout texte qui viole une loi, celle du copyright, mais pas une autre (telle l’interdiction de publication).


1 Pamphlet politique de Maurice Joly publié en 1864 à l’encontre de Napoléon III.
2 Dans sa bibliothèque numérique, en version anglaise, dans un document annoncé comme accessible uniquement en extraits, mais que l’on peut lire intégralement. Il s’agit d’une récente réédition de la traduction originale du document en anglais en 1920. C’était encore récemment aussi le cas pour un ouvrage explicitement négationniste d’un Turc, qui a aussi l’insigne honneur d’être un ardent promoteur de créationnisme islamique, et qui a récemment arrosé des écoles, des universités et des centres de documentation français d’un ouvrage de 800 pages consacré à cette thèse.
3 Encore faudrait-il comparer ce qui est comparable : là, il s’agit de contenus qui véhiculeraient des contenus susceptibles de mettre en cause les principes mêmes du régime, ici il ne s’agit « que » d’un ouvrage de propagande raciste à l’encontre d’une minorité.
4 Suite à la diffusion dans ses pages d’informations diffamatoires à l’encontre de trois employés d’une société française.

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