Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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28 mars 2005

À toute chose Mahler est bon

Classé dans : Musique — Miklos @ 21:23

Aimez-vous Brahms ? Moi oui, beaucoup. Est-ce incompatible avec le goût pour Mahler ? Je me le demande encore : quand j’en étais fada limite hystérique (surtout de ses symphonies ; comment un jeune homme ne peut-il s’y noyer avec délectation morbide ? Mahler n’en disait-il pas : « Le terme Symphonie signifie pour moi : avec tous les moyens techniques à ma disposition, bâtir un monde. » ?), je ne connaissais Brahms que de nom (enfin, presque), et ce n’est qu’à la sortie de l’adolescence que leurs places se sont inversées dans mon cœur, avec la découverte des quintettes et des sextuors ineffables, des très belles Variations sur un thème de Haydn, des splendides Rhapsodie pour alto et Requiem allemand… mais je n’ai pas oublié Mahler. Avec le temps, ce sont ses lieder que j’ai appris à apprécier.

Si je l’avais découvert avec délectation sous la baguette (enregistrée) de Bruno Walter — qui trône à mon panthéon des chefs du xxe s., avec Wilhelm Furtwängler — c’est sous celle de Pierre Boulez que j’en ai redécouvert les symphonies. Oh, pas qu’avec lui, mais avec lui plus que tout autre : dépouillées de pathétique étouffant voire de pathos maladif, elles en prennent une dimension tragique dans la lecture lumineuse qu’il en fait.

C’était le cas de la Deuxième symphonie Résurrection, monumentale, que Boulez a dirigée hier à Berlin (retransmise plus tard sur Arte et sur France musiques), lors de l’un des cinq concerts qu’il y donne à l’occasion de son 80e anniversaire. Elle y était interprétée par l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin, avec la soprano Diana Damrau (quelque peu aigre et acidulée) et la contralto Petra Lang, à la voix chaude, puissante, envoûtante, expressive, précise… Dirigée sans effets de manches par un Boulez impassible qui ne surinterprète pas, qui laisse la musique s’exprimer (ce qui ne veut pas dire qu’il ne fait que battre la mesure !), et Dieu sait si elle se suffit à elle-même. Cette œuvre pour orchestre, solistes et chœurs est, encore aujourd’hui, l’une des plus jouées de Mahler, même si elle n’est pas son œuvre la plus aboutie. Voici ce que le compositeur en disait :

Parallèlement se pose la question centrale : Pourquoi as-tu vécu ? Pourquoi as-tu souffert ? Tout n’est-il en définitive qu’énorme et tragique plaisanterie ? Il nous faut d’une façon ou d’une autre résoudre cette question pour pouvoir continuer à vivre, ou même à mourir ! Celui qui, ne serait-ce qu’une fois, a perçu cette question, est à même d’y répondre : et cette réponse, je la donne dans le dernier mouvement…

Et voici ce que Boulez disait de Mahler :

N’est-ce pas cela qui nous attire, les reflets sentimentaux, bizarres ou sarcastiques d’un monde en perdition qu’un homme a su capter avec acuité ? Cela saurait-il suffire pour retenir et captiver notre attention ? Aujourd’hui, la fascination provient très certainement de la puissance hypnotique d’une vision embrassant avec passion la fin d’une époque — qui doit absolument mourir pour qu’une autre renaisse de l’anéantissement : cette musique illustre presque trop littéralement le mythe du phénix. Cependant, au-delà de la substance crépusculaire, plus surprenant, existe ce bouleversement qu’il apporte dans le monde de la symphonie. Avec quelle résolution, quelle sauvagerie parfois, il attaque la hiérarchie formelle de ses formes jusqu’à lui amplifiées, mais figées dans une convention rigide et décorative. (…) De même que Wagner a saccagé l’ordre artificiel de l’opéra pour créer dans le drame une démarche infiniment plus démiurgique, de même Mahler bouleverse la symphonie, ravage ce territoire trop bien ordonné, investit de ses fantasmes le saint des saints de la logique ; Beethoven, ce barbare qui avait en son temps semé à profusion désordre et désarroi, n’est-il pas le vrai exemple à évoquer ?

Bref, un magnifique concert, même si la caméra soulignait de façon un peu trop insistante et méthodique les instruments solistes (pour contribuer ainsi à l’écoute), tout en s’égarant parfois sur un joli minois de violoncelliste.

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  1. Please, listen the last recording of Daniel HARDING

    Commentaire par khayam — 28 mars 2005 @ 22:37

  2. À ma connaissance, il n’a enregistré que la quatrième symphonie de Mahler. Si c’est de cela que tu parles, peux-tu nous en dire un peu plus, nous mettre l’eau à la bouche et la puce à l’oreille ?

    Commentaire par miklos — 28 mars 2005 @ 22:47

  3. Boulez est venu tard à Mahler, mais quel bonheur !

    Commentaire par cadence_rompue — 29 mars 2005 @ 0:59

  4. Boulez a enregistré Mahler dès 1968 (et peut-être avant).

    Commentaire par miklos — 29 mars 2005 @ 1:29

  5. Des merveilles. Je suis tombé amoureux de sa 3è, des Kindertotenlieder (Diskau) et du Champ de la Terre (Urmana-Shade).

    Mais j’ai raté le concert de dimanche !!! Alors qu’on m’avait prévenu et que j’étais à la maison. Aucune excuse. Sniff.

    Une critique sera disponible, sans doute la semaine prochaine, sur anaclase (http://...), étant donné qu’un des rédacteurs était présent à Berlin pour les 80 ans de l’invraisemblable.

    Commentaire par kliban — 29 mars 2005 @ 1:39

  6. La veille, il y a eu un film assez nul sur Arte "Pierre Boulez. A la recherche d’un temps futur", où on le voyait déambuler dans une exposition à son honneur à Baden Baden, où on l’entend dire des choses qui ne fâchent surtout pas – rien de ce qu’est le personnage, ça doit vraiment être un problème de réalisateur (Barrie Gavin) qui devait faire un film pour diffusion dans des MacDos. Comme le dit le critique du Nouvel Obs, on se sera consolé "avec la présentation succincte d’oeuvres emblématiques (…) qui nous donne plutôt envie d’écouter les cinq coffrets anniversaire édités par Deutsche Grammophon."

    Question films, il y en a eu d’excellents sur Boulez, notamment "naissance d’un geste", où il enseigne la direction d’orchestre à des jeunes (dans une master class) : attention, efficacité, pédagogie, humour – le tout exceptionnel.

    Commentaire par miklos — 29 mars 2005 @ 1:54

  7. Si j’ai un grand faible pour Walter, l’interprete historique (et grand ami de la famille Mann…), que j’apprecie parfois Boulez, c’est incontestablement Tilson-Thomas que je prefere actuellement pour l’interpretation de Mahler. Une personne qui m’accompagnait a un concert ou MTT dirigeait la 9eme, et qui croyait ne pas aimer Mahler, en fut totalement changee. Si on me donnait le choix d’aller voir un concert Boulez ou un concert MTT avec un symphonie de Mahler, c’est le second quie je choisirais. Pour sa rigueur et sa precision, qui ne sont pas comme chez Boulez denuees de sensibilite. A l’enregistrement, je ferais aussi une place pour Haitink, qui s’en sort plutot bien en general.

    Commentaire par Anaximandre — 29 mars 2005 @ 3:09

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