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10 septembre 2012

Ces quintes désagréables et insupportables, ou, toux un programme

Classé dans : Langue, Loisirs, Musique, Santé — Miklos @ 22:18


Anonyme français, La quinte estampie real. XIIIe s.

Il en va des quintes parallèles en musique comme du vide dans la nature : on les abhorre, mais malgré tout… Dans une lettre à Monsieur Périer, datée du 15 novembre 1647, Pascal écrit, à propos de leurs entretiens au sujet du vide :

Vous savez quel sentiment les philosophes ont eu sur ce sujet : tous ont tenu pour maxime, que la nature abhorre le vide ; et presque tous, passant plus avant, ont soutenu qu’elle ne peut l’admettre, et qu’elle se détruirait elle-même plutôt que de le souffrir. Ainsi les opinions ont été divisées : les uns se sont contentés de dire qu’elle l’abhorrait seulement, les autres ont maintenu qu’elle ne le pouvait souffrir. J’ai travaillé dans mon Abrégé du traité du vide à détruire cette dernière opinion et je crois que les expériences que j’y ai rapportées suffisent pour faire voir manifestement que la nature peut souffrir et souffre en effet un espace, si grand que l’on voudra, vide de toutes les matières qui sont en notre connaissance et qui tombent sous nos sens.

En musique, on entend souvent dire que « les progressions en octaves parallèles, depuis le 13e siècle, et en quintes parallèles depuis le 14e siècle, sont considérées comme irrecevables. » Mais comme le signale Patrick Loiseleur,

C’est avec un certain plaisir, après avoir pratiqué l’harmonie scolaire et évité les quintes parallèles comme un gamin ayant peur de se faire taper sur les doigts, ou au contraire enchaîné les accords parallèles avec le petit frisson de celui qui brave l’interdit, qu’on apprend que la règle des quintes parallèles n’a rien d’absolu ; qu’elle n’a pas toujours existé ; que son importance a évolué dans le temps ; qu’elle a été ignorée par des compositeurs aujourd’hui placés parmi les plus grands ; que si elle est tout à fait recommandable pour écrire un choral ou une fugue dans le style de Jean-Sébastien Bach, le même Jean-Sébastien Bach usait de cette « règle » comme des autres avec la plus grande liberté, en gardant l’oreille pour seul guide.

On en trouve par exemple dans la Symphonie n° 9 « du Nouveau monde » de Dvorak, comme le montre Luc Dupuis.
 

Il y a un autre domaine que la musique – et qui a plus d’un rapport avec elle d’ailleurs – où les quintes sont néfastes : il s’agit de la médecine. La fièvre quinte (ou quintane) était « une maladie fébrile intermittente dont les accès viennent tous les cinq jours inclusivement », nous dit Isidore Bricheteau (1789-1861) dans le Dictionnaire des sciences médicales, vol. 47 (1820). Il rajoute que, probablement identique à la fièvre quarte, elle se traitait avec du quinquina, puis que « Les médecins de nos jours paraissent l’avoir peu observée, et pour ce qui nous concerne, nous ne l’avons jamais rencontrée ».

Cette quinte-ci est donc passée à l’as (ce qui peut être avantageux surtout si elle est flush à l’as, autrement dit une quinte royale).

Quant à la quinte de toux, si commune notamment au cours des cent jours de la coqueluche où elle se succède aussi désagréablement que les homonymes musicaux, il y a plusieurs hypothèses sur son étymologie. Dans sa traduction des Épidémies et éphémérides de Guillaume de Baillou (1538-1616) publiée en1858, Prosper Yvaren en fournit quelques-unes :

Quelqu’un affirme avoir lu dans un auteur ce nom de quinte de toux ou de toux quintane, dont il est bien difficile de trouver la raison. Les uns veulent qu’on l’appelle quinte, parce que la toux se reproduit toutes les cinq heures ou à peu près (ce nombre précis ne devant s’entendre que dans un ses approximatif). C’est de là qu’est venue l’expression d’hommes quinteux, appliquée à ceux qui sont par moment désagréables et insupportables à autrui. D’autres veulent que ce terme ait été emprunté aux musiciens. Et de même qu’il existe entre l’octave et la quinte une certaine proportion, un certain rapport, malgré la différence des degrés et des nombres : de même chez ceux qui souffrent de cette toux, il se forme dans le larynx un son qui répond à un autre son, parti de la profondeur des poumons. Que d’autres que moi décident.

En d’autres termes, c’est un peu comme le chant diphonique. Ce rapport évident avec la musique est-il la raison pour laquelle un personnage de Clérambard de Marcel Aymé, sujet à des quintes de toux, se prénomme Octave ?

Selon une troisième explication, la quinte de toux de la coqueluche se caractérise par « cinq secousses expiratoires suivies d’une longue inspiration sifflante appelée ‘chant du coq’ » (pour éviter d’étouffer, je suppose), tandis qu’une dernière, à caractère belgiquement étymologique (son auteur était médecin du roi de ce pays), voit dans quinte « une modification de quinque (la permutation de k en t est chose fréquente dans les patois). Or quinque se rattachera au vieux flamand kincken, forme nasalisée de kichen, allemand keichen, respirer difficilement. De ce kincken viennent : flamand kinck-hoes, allemand keich-husten, coqueluche […] » (Auguste Scheler, Dictionnaire d’étymologie française d’après les résultats de la science moderne, Bruxelles, 1862).


 

Pour finir spirituellement, on rappellera que la quinte essence est le « cinquième élément qui s’ajoute chez certains philosophes anciens aux quatre premiers (la terre, le feu, l’air, l’eau définis par Empédocle) et qui en assure la cohésion » (Trésor de la langue française) et l’on proposera une édifiante lecture destinée à meubler le temps jusqu’à notre prochain billet :

4 commentaires »

  1. [...] Quinte. — Toux âcre et violente, en forme de violon, dont on se sert au jeu de piquet pour marquer l’intervalle de cinq notes consécutives, y compris les deux extrêmes. [Ce qui ne manquera pas de rappeler à nos lecteurs attentifs ce billet-ci.] [...]

    Ping par Miklos » Savoir citer pour bien passer à la postérité et sauver le monde par la même occasion — 20 septembre 2012 @ 13:41

  2. @merryarchive #MozartLetters they sang their whole song together in fifths, without missing a note. I`ve never heard this in Germany http://t.co/Z6DFgMKJ
    Mon, 03 Dec 2012

    Commentaire par Patrizia R. — 8 janvier 2013 @ 15:08

  3. Interesting comment, all the more so that he (Leopold) adds: « From a distance I thought it was two people singing different songs ». It is puzzling: both voices were identical (since parallel), how could he think these were different melodies?

    As to Wenzel, I imagine it is Wenzel Raimund Birck (1718–1763)?

    Commentaire par Miklos — 8 janvier 2013 @ 15:13

  4. Mmmmh. My French version of the letters (that I use for the majority of identifications) says ‘Sans doute Wenzel Hebelt (vers 1736-1789), professeur de violon à Salzbourg de 1757 à 1770, qui remplaçait parfois Leopold dans cette fonction. A moins qu’il ne s’agisse de Wenzel Sadlo, violoniste et à l’occasion corniste à la cour de Salzbourg depuis 1745.’

    But your suggestion is not irrealistic. I’ll take a note and discuss it with zebigboss. Thanks!

    Commentaire par Patrizia R. — 8 janvier 2013 @ 17:17

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