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15 décembre 2008

Strong but silent

Classé dans : Cinéma, vidéo, Histoire, Société, Théâtre — Miklos @ 1:25

« Les silencieux ne sont pas forcément des penseurs. Il y a des armoires fermées à clef et qui sont vides. » — Madeleine Brohan

« …but she herself was merely a Sphinx without a secret. » — Oscar Wilde

Madeleine Brohan, « fille de cette Suzanne Brohan tant aimée, tant applaudie, et la sœur d’Augustine, la comédienne par excellence, un écrivain sans le vouloir, une grande dame dans son salon, une femme unique »1 est une actrice précoce : « Dans un feuilleton dramatique de cette époque, nous lisons qu’elle avait alors dix-sept ans [à ses débuts remarqués dans Les Contes de la Reine de Navarre, pièce écrite pour elle par Eugène Scribe]… Est-ce possible ? puisqu’elle n’en a que vingt-cinq aujourd’hui, seize ans plus tard. »1

Elle était belle, de cette beauté de l’« opulente et élégante bourgeoisie parisienne »2. Plus vache, Théodore de Banville s’étend : « Les yeux larges et brillants sous de riches sourcils, la bouche sensuelle et chaste, la lourde chevelure, le profil serein et superbe, tout est d’une beauté rare. Le nez seul est peut-être un peu, — mais ceci est une nuance, — un tout petit peu, un très-petit peu fort ; mais l’éclat des trente-deux dents blanches est irrésistible. Des mains royales. La stature et la poitrine beaucoup trop accomplies pour une comédienne, car la vraie actrice doit être maigre comme un manche à balai, pour représenter un bon mannequin à costumes ! Mais on fait ce qu’on peut. » À se demander si la gravure que l’on voit ici représente la même personne… Ou alors, c’est que sa stature et sa poitrine s’étaient fort accomplies au cours des quelque dix années qui séparent l’estampe (1855) de la description qu’en fait Banville (1866).

Les critiques de l’époque sont partagés, ils aiment ou ils n’aiment pas et n’y vont pas par quatre chemins pour le dire. On retiendra ce qu’en écrit Nestor Considérant en 1856 : « Elle possède toutes les qualités de la grande comédienne : un organe admirable, harmonieux et plein ; une diction élégante et sobre, peut-être parfois un peu trop rapide; une grande sobriété dans le geste, qu’elle trouve toujours juste et de bon goût; une noblesse, une sévérité irréprochables dans les attitudes, et pardessus tout la vérité, la simplicité, la chaleur, qui part de l’âme et qui fait tout l’artiste. » Jules Claretie résume : « c’était Madeleine, la spirituelle, vaillante, aimable, applaudie, et toujours belle Madeleine Brohan ».

Madeleine Brohan est nommée sociétaire de la Comédie-Française en 1852 et crée plus tard le rôle titre des Caprices de Marianne de Marivaux. En fin de carrière, elle connaîtra dans Le Monde où l’on s’ennuie d’Édouard Pailleron un grand succès.3 Cette pièce a d’ailleurs connu une seconde vie en 1934 grâce au film éponyme de Jean de Marguenat (avec André Luguet, Pierre Dux, etc.).

À lire les critiques de l’époque, elle était aussi connue pour son esprit, non seulement sur scène mais à la ville. La citation en exergue est intemporelle et résonne avec le propos d’une belle nouvelle d’Oscar Wilde. Elle s’applique de façon lapidaire – et quasi littérale – aux habitués de la salle de sport du quartier. Ces armoires à glace, qu’elles soient trapues ou hautes, sont pour la plupart d’un mutisme (de glace, même dans le sauna) à l’égard de tout inconnu qui les saluerait (ce qu’elles ne font jamais d’elles-mêmes) lorsqu’il les croise à l’entrée ou les côtoie dans le petit espace vital du vestiaire. Rarement, un grognement en guise de réponse, sans même se retourner vers l’interlocuteur. Mais entre elles, ces armoires se mettent à babiller d’une voix de tête toute aussi surprenante que leur silence. Rien à voir avec la diction élégante et la sobriété du geste de Madeleine Brohan…

Madeleine Brohan est curieusement liée à une affaire dont l’écho a perduré. La petite villa qu’elle habitait à Chatou fut la scène d’un meurtre dont le souvenir éclipse celui de l’artiste. En 1882, la maison fut louée par un certain Marin Fenayrou, à propos duquel Octave Mirbeau écrivait : « il est laid, il est abject, il est pharmacien, il est tout ce que vous voudrez, soit. Mais il est marié, et… trompé et, à ces deux titres, il est sacré. » Couple mal assorti : Gabrielle est mariée à l’âge de dix-sept ans par sa mère à Marin qui en a trente. Le mari s’empresse de virer sa belle-mère de la maison de famille et de l’affaire qu’elle lui a transmises. Il est brutal, rusé, joueur et paresseux, la jeune femme est sentimentale. Cinq ans après leur mariage, elle devient la maîtresse de Louis Aubert, un apprenti de vingt-et-un ans qui venait d’arriver dans l’affaire. Il y prend un tel ascendant qu’il rompt avec son patron et s’en va en 1880. Fenayrou l’assassinera en 1882, après avoir appris l’infidélité de sa femme.4

Albert Bataille relate l’affaire dans ses Causes criminelles et mondaines de 1882. Le président de la cour d’Assises devant lequel ils ont comparu, Anatole Bérard des Glajeux, en parle dans ses souvenirs. Elle est reprise après guerre dans la série de bandes dessinées à épisodes Le Crime ne paie pas publiées dans France-Soir dans les années cinquante, et c’est un des quatre épisodes du film éponyme de Gérard Oury, sorti en 1962 avec Pierre Brasseur (Marin), Annie Girardot (Gabrielle) et Christian Marquand (Louis).


1 Félix Savard.
2 Charles Monselet.
3 Que la Wikipedia confond avec son autre pièce, Le Monde où l’on s’amuse.
4 D’après A Book of Remarkable Criminals, par H.B. Irving.

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