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1 juin 2006

À propos de la dématerialisation des documents : le cauchemar du bibliothécaire (3 messages)

Classé dans : Actualité, Livre, Progrès, Sciences, techniques, Société — Miklos @ 9:16

Texte publié sur la défunte liste de diffusion biblio-fr, en réponse à une enfilade de messages à ce sujet.

Pour faire suite au message de B. Majour, effectivement, « il n’y a pas photo », l’ordinateur est plus rapide que l’homme moyen, et Google plus rapide que l’ordinateur moyen – pour une question-réponse. Il n’y pas non plus photo : photocopier, imprimer ou copier-coller va plus vite que recopier à la main ou synthétiser (et a fortiori que lire, voire, horreur, apprendre par cœur). Conserver numé­ri­quement coûte moins cher (à court terme) que de le faire maté­riel­lement (imprimer ou acheter). Il est aussi plus facile d’ingérer une bande dessinée qu’un texte (même illustré).

Mais ces tâches sont-elles vraiment comparables ? Si l’élève ou l’étudiant envisage dorénavant son pensum en tant que QRM (questions à réponses multiples) à l’instar de bien de jeux télévisés et auquel il n’y a qu’une seule réponse juste qu’il faut trouver le plus vite possible et fournir avec le minimum d’effort physique, il est clair qu’il cherchera des FAQ (foires aux questions – essentiellement des documents questions/réponses) et des moteurs. Si le chercheur est plus poussé par le PoP (« publish or perish »), il pourrait être tenté par la même démarche qui fait déraper certains sportifs qui ont recours au dopage.

Cela a d’ailleurs toujours existé, ce ne sont que les moyens qui se démultiplient et la difficulté à ne pas se couler entièrement dans « le système » nécessite une vigilance accrue (il faut relire à ce propos Jacques Ellul, par exemple). Dans un terrain ou un marché compétitif (la « visibilité sur l’internet » comme critère de performance et ce qu’elle rapporte – en revenus pour d’aucuns, en subventions pour d’autres), il me semble que l’on tente de répondre à cette demande (nourrie elle-même par cette logique de système) en se conformant à ce modèle de question-réponse (il n’y a qu’à voir les nouveaux interfaces, portails et services que l’on développe), ce qui n’est pas l’approche la plus pédagogique au monde ; elle implique une vision de l’individu, de la société, du monde, du savoir et de la culture dans laquelle tout a une réponse – la même pour tous (c’est la norme statistique) –, et où le questionnement n’a plus qu’une valeur toute transitoire ; un mode où le savoir ne se construit que par accumulation et dans lequel l’esprit critique n’a plus sa place ni le temps de se construire, de penser et de réfléchir, et dans lequel le moteur de recherche moderne réincarne l’oracle omniscient de l’antiquité (je ne suis pas très étonné qu’on voit réapparaître en ces temps de transformation d’autres comportements tribaux et sectaires).

Je ne suis pas persuadé que « La seule solution pour les bibliothèques de rivaliser : obtenir des bibliothécaires “Moteur de recherche” de leur propre bibliothèque », comme l’écrit B. Majour. Les bibliothèques ne sont pas des entreprises de nouvelles technologies (même si bien évidemment elles en utilisent) et ne doivent, ni ne peuvent, « rivaliser » avec. C’est en ce sens d’ailleurs que je trouverais le projet de bibliothèque européenne erroné – en tant que projet à finalités culturelles et sociales – s’il ne vise qu’à rivaliser avec celui de Google et s’il ne se positionnait que de cette façon. Je ne suis pas non plus persuadé que les bibliothèques ne font, ni ne doivent, que fournir de l’information (« L’information reste toujours de l’information, il faut encore la promouvoir, la mettre en valeur, la mettre à disposition du public ») et l’organiser pour une recherche plus efficace (« C’est juste un peu plus facile pour effectuer des recherches transversales à travers tout le fonds [...]. Il reste aussi à trouver comment marier le matérialisé et le dématérialisé, comment les faire cohabiter et comment les mettre en synergie »).

Edgar Morin ne dit-il pas : « Une connaissance n’est pas un miroir des choses ou du monde extérieur. Toutes les perceptions sont à la fois des traductions et reconstructions cérébrales à partir de stimuli ou signes captés et codés par les sens. » (cf. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur). Sans la reconstruction cérébrale, c’est de l’information brute et ce n’est pas ce qui construit la civilisation. L’apport incomparable du (bon) médiateur est dans son apport pédagogique à la construction de la pensée et des capacités critiques qui sont d’autant plus nécessaires avec la mise à disposition quasi infinie de sources documentaires.

La technoscience étouffera-t-elle la science, comme le demandait Jean-Marc Levy-Leblond en 2000 (Cycle démocratie, science et progrès, café des sciences et de la société du Sicoval) ? La réponse ne se trouvera pas dans un moteur de recherche, et c’est plutôt la question qui devrait nous interpeller.

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