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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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9 février 2009

Un éternel recommencement

Classé dans : Langue, Photographie, Religion — Miklos @ 0:37

1555

Premièrement, Dieu créa le ciel et la terre. Et comme la terre était néante et lourde, et ténèbres par-dessus l’abîme, et que l’esprit de Dieu se balançait par-dessus les eaux, Dieu dit : Lumière soit. Et lumière fut. Et Dieu, voyant que la lumière était bonne, sépara la lumière des ténèbres, et appela Dieu la lumière jour et les ténèbres, nuit. Si fut fait de soir et matin le premier jour.

Sébastien Castellion, La Bible nouvellement trans­latée avec la suite de l’histoire depuis le temps d’Esdras jusqu’aux Maccabées : et depuis les Maccabées jusqu’à Christ. Item avec des annotations sur les passages difficiles. Bayard, 2005.

1815

Premièrement-en-principe, il-créa, Ælohîm (il détermina en existence potentielle, lui-les-Dieux, l’Être-des-êtres), l’ipséité-des-cieux et-l’ipséité-de-la-terre. Et-la-terre existait puissance-contingente-d’être dans-une-puissance-d’être : et-l’obscurité (force compressive et durcissante) -était sur-la-face de-l’abîme (puissance universelle et contingente d’être) ; et-le-souffle de-lui-les-Dieux (force expansive et dilatante) était-générativement-mouvant sur-la-face des-eaux (passivité universelle). Et-il-dit (déclarant sa volonté), lui-l’Être-des-êtres : sera-faite-lumière ; et-(sera)-fut-faite lumière (élé­men­ti­sation intelligible). Et-il-considéra, lui-les-Dieux, cette lumière comme bonne ; et-il-fit-une-solution (il déter­mina un moyen de sépa­ration) lui-les-Dieux, entre la-lumière (élé­men­ti­sation intelligible) et entre l’obscurité (force compres­sive et durcissante). Et-il-assigna-nom, lui-les-Dieux, à-la-lumière, Jour (manifestation universelle) ; et-à-l’obscurité, il-assigna-nom Nuit (négation manifestée, nutation des choses) : et-fut-occident, et-fut-orient (libération et itération) ; Jour premier (première manifestation phénoménique).

Fabre-d’Olivet, « Cosmogonie », La Langue hébraïque restituée, et le véritable sens des mots hébreux rétabli et prouvé par leur analyse radicale. Éd. l’Âge d’homme, 1991.

1899

Au commencement, Dieu avait créé le ciel et la terre. Or, la terre n’était que solitude et chaos ; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait sur la face des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. Dieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, — un jour.

La Bible traduite du texte original par les membres du rabbinat français sous la direction de M. Zadoc Kahn, grand rabbin. Librairie Durlacher, 1952.

Au galaffe, Dieu avait créé l’freumion et l’carette. Or, l’mine ed’ charbon n’était que cholitude et chaos ; ed’ ténèbres couvraient l’quenoule ed’ l’abîme, et l’glou-bec ed’ Dieu planait chur l’quenoule ed’ eaux. Dieu dit : « Que l’carabistoulle choit ! » Et l’carabistoulle fut. Dieu considéra que l’carabistoulle était bonne, et il établit une distinction entre l’carabistoulle et les ténèbres. Dieu appela l’carabistoulle Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut choir, il fut matin, — un tchiot jaune.

L’Gueule ed’ bois traduite deul’ nig’doul original par les membres deul’ quinquin français chous l’targniole ed’ M. Zadoc Kahn, grand rabbin (version chtimisée). Librairie Durlacher, 1952.

1950

Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres couvraient l’abîme et l’Esprit de Dieu planait sur les eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière Jour, et les ténèbres Nuit. Le soir vint, puis le matin : ce fut le premier jour.

La Sainte Bible. Version complète d’après les textes originaux par les moines de Maredsous. Éd. De Maredsous.

1955

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l’abîme, l’esprit de Dieu planait sur les eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit » et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière « jour » et les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour.

La Sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem. Éd. Denoël 1972.

1987

ENTÊTE Elohîms créait les ciels et la terre,
la terre était tohu-et-bohu,
une ténèbre sur les faces de l’abîme,
mais le souffle d’Elohîms planait sur les faces des eaux.
Elohîms dit : « Une lumière sera. »
Et c’est une lumière.
Elohîms voit la lumière : quel bien !
Elohîms sépare la lumière de la ténèbre.
Elohîms crie à la lumière : « Jour. »
À la ténèbre il avait crié : « Nuit. »
Et c’est un soir et c’est un matin : jour un.

André Chouraqui, Torah, Inspirés et Écrits

2001

Premiers
Dieu crée ciel et terre
terre vide solitude
noir au-dessus des fonds
souffle de dieu
mouvements au-dessus des eaux
 
Dieu dit Lumière
et lumière il y a
Dieu voit la lumière
comme c’est bon
Dieu sépare la lumière et le noir
Dieu appelle la lumière jour et nuit le noir

Frédéric Boyer (dir.), la bible. Nouvelle traduction. Bayard,

Écouter/voir

Francine Kaufmann : Les traductions de la Bible en français. La face éclairée du texte. Paris, 2007.

5 commentaires »

  1. Et c’est pô fini ! Une des caractéristiques du sacré, c’est qu’il est inépuisable…

    Commentaire par Granlolo — 9 février 2009 @ 22:41

  2. Sacré Lolo, tu as ben raison !

    Commentaire par Miklos — 9 février 2009 @ 23:03

  3. sans oublier la bible de chouraqui. La version de 1815 semble tellement moderne… Plus que le sacré, c’est la poésie qui est inépuisable, plus que Dieu, ce sont les hommes qui apparaissent dans ces traductions

    Commentaire par francois75002 — 10 février 2009 @ 0:04

  4. Je n’ai cité ici que les textes que j’ai chez moi (le dernier étant un prêt). Voici la version de Chouraki, très controversée (d’aucuns trouvant qu’elle restitue les richesses de la langue d’origine, d’autres qu’elle est illisible), qui est extrêmement déconcertante :

    ENTÊTE Elohîms créait les ciels et la terre,
    la terre était tohu-et-bohu,
    une ténèbre sur les faces de l’abîme,
    mais le souffle d’Elohîms planait sur les faces des eaux.
    Elohîms dit: « Une lumière sera. »
    Et c’est une lumière.
    Elohîms voit la lumière : quel bien !
    Elohîms sépare la lumière de la ténèbre.
    Elohîms crie à la lumière: « Jour. »
    À la ténèbre il avait crié: « Nuit. »
    Et c’est un soir et c’est un matin: jour un.

    Les partis pris sont compréhensibles, pour qui connaît l’hébreu. Par exemple, « une ténèbre », au singulier et indéfini, comme le mot hébreu correspondant (plutôt que « les ténèbres » dans les autres versions citées ci-dessus, à l’exception de Fabre d’Olivet, qui rajoute pourtant l’article défini) ; ou « quel bien », qui tente de reproduire la scansion de l’hébreu, « ki tov » mais alors diverge du sens (littéralement, « car bonne »). On peut se demander selon quels principes Chouraki choisit-il de conjuguer les verbes, l’hébreu ne connaissant que trois temps (passé, présent, futur) et une forme supplémentaire, « et » + futur, dont le sens est le passé (et l’usage est de le traduire par le passé, en gardant la conjonction, e.g. « et il vit que la lumière… »). Cette dernière forme, Chouraki la traduit par le présent, ce qui est inhabituel (mais en littérature, il arrive qu’on utilise le présent au lieu du passé simple pour raconter un événement avec plus de prégnance). Etc.
    Si l’on ignore les textes entre parenthèses chez Fabre d’Olivet (qui reflètent son intérêt pour l’ésotérisme, cf. ci-dessous), il a pris un parti intéressant : lorsqu’il doit utiliser plusieurs mots pour en traduire un seul, il les réunit par des tirets (il y a quelques tirets mal placés, toutefois). Ainsi, là où Chouraki écrit « voit », Fabre d’Olivet met « et-il-considéra » (l’hébreu d’origine étant, comme on l’a dit plus haut, « et il verra », en un mot, avec un sens passé).
    Dans des notes bien plus abondantes que le texte (l’original, sa translitération et ses traductions en anglais et en français), Fabre d’Olivet s’explique sur les niveaux de sens que contient le texte (et donc sur sa façon de les restituer). Voici ce qu’il dit du tout premier mot (« premièrement », « au commencement », « premiers »…) :

    Mon intention n’est pas, dans ces Notes, d’examiner ni de discuter les opinions que les savans des siècles passés, Juifs ou Chrétiens, ont émises sur le sens caché de ce mot, ou de ceux qui vont suivre. Ce serait une tâche aussi longue qu’ennuyeuse. J’expliquerai, mais je ne commenterai pas ; car ce n’est point un système que j’établis, sur des conjectures ou des probabilités plus ou moins heureuses, mais la Langue même de Moyse que j’interprète selon ses principes constitutifs, que j’ai pris soin de développer assez.
    Ainsi donc, sans m’embarrasser des interprétations diverses, bonnes ou mauvaises, qu’on peut avoir données au mot בראשית, je dirai que ce mot, dans la place où il se trouve, offre trois sens distincts : l’un propre, l’autre figuré, le troisième hiéroglyphique. Moyse les a employés tous les trois, comme cela se prouve par la suite même de son ouvrage. Il a suivi en cela, la méthode des Prêtres Égyptiens ; car je dois dire avant tout, que ces Prêtres avaient trois manières d’exprimer leur pensée. La première était claire et simple, la seconde symbolique et figurée, la troisième sacrée ou hiéroglyphique. Ils se servaient, à cet effet, de trois sortes de caractères, mais non pas de trois dialectes, comme on pourrait le penser. Le même mot prenait à leur gré le sens propre, figuré ou hiéroglyphique. Tel était le génie de leur Langue. Héraclite a parfaitement exprimé la différence de ces trois styles, en les désignant par les épithètes de parlant, signifiant, et cachant. Les deux premières manières, c’est-à-dire celles qui consistaient à prendre les mots dans le sens propre ou figuré, étaient oratoires ; mais la troisième qui ne pouvait recevoir sa forme hiéroglyphique qu’au moyen des caractères dont les mots étaient composés, n’existait que pour les yeux, et ne s’employait qu’en écrivant. Nos langues modernes sont entièrement inhabiles à la faire sentir. Moyse, initié dans tous les mystères du sacerdoce égyptien, s’est servi avec un art infini de ces trois manières, sa phrase est presque toujours constituée de façon à présenter trois sens : c’est pourquoi nulle espèce de mot-à-mot ne peut rendre sa pensée. Je me suis attaché autant que je l’ai pu, à exprimer ensemble le sens propre et le sens figuré. Quant au sens hiéroglyphique, il eût été souvent trop dangereux de l’exposer ; mais je n’ai rien négligé pour fournir les moyens d’y parvenir, en posant les principes et en donnant les exemples.
    Le mot בראשית, dont il s’agit ici, est un nom modificatif formé du substantif ראש, la tête, le chef, le Principe agissant, infléchi par l’article médiatif ב, et modifié par la désinence désignative ית. Il signifie proprement, dans le principe, avant tout ; mais au figuré, il veut dire, en principe, en puissance d’être.
    Voici comment on peut arriver au sens hiéroglyphique. Ce que je vais dire servira d’exemple pour la suite. Le mot ראש, sur lequel s’élève le modificatif בראשית, signifie bien la tête ; mais ce n’est que dans un sens restreint et particulier. Dans un sens plus étendu et plus générique, il signifie le principe. Or, qu’est-ce qu’un principe ? Je vais dire que quelle manière l’avaient conçu les premiers auteurs du mot ראש. Ils avaient conçu une sorte de puissance absolue, au moyen de laquelle tout être relatif est constitué tel ; et ils avaient exprimé leur idée par le signe potentiel א, et le signe relatif ש réunis. En écrite hiéroglyphique, c’est un point au centre d’un cercle. Le point central déployant la circonférence, était l’image de tout principe. L’écriture littérale rendait le point par א, et le cercle par ס ou ש. La lettre ס représentait le cercle sensible, la lettre ש le cercle intelligible qu’on peignait ailé ou entouré de flammes.
    Un principe ainsi conçu était, dans un sens universel, applicable à toutes les choses, tant physiques que métaphysiques ; mais dans un sens plus restreint, on l’appliquait au feu élémentaire ; et selon que le mot radical אש était pris au propre ou au figuré, il signifiait le feu, sensible ou intelligible, celui de la matière ou celui de l’esprit.
    Prenant ensuite ce même mot אש, dont je viens d’expliquer l’origine, on le faisait régir par le signe du mouvement propre et déterminant ר, et l’on obtenait le composé ראש, c’est-à-dire en langage hiéroglyphique, tout principe jouissant d’un mouvement propre et déterminant, d’une force innée bonne ou mauvaise. Cette lettre ר se rendrait en écriture sacrée par l’image d’un serpent, debout ou traversant le cercle par le centre. Dans le langage ordinaire, on voyait dans le mot ראש un chef, un guide, la tête de tel être, de telle chose que ce fût ; dans le langage figuré, on entendait un premier moteur, un principe agissant, un génie bon ou mauvais, une volonté droite ou perverse, un démon, etc. ; dans le langage hiéroglyphique on signalait le Principe principiant universel, dont il n’était point permis de divulguer la connaissance.
    Voilà les trois significations du mot ראש, qui sert de bâse au modificatif בראשית. On sent bien qu’il me serait impossible d’entrer dans de semblables détails sur tous les mots qui vont suivre. Je ne le pourrais sans outrepasser les bornes que je me suis prescrites et que la prudence commande. J’aurai soin seulement, en amalgamant les trois significations, de donner au lecteur intelligent toutes les facilités qu’il pourra desirer. (…)

    On remarquera que cette analyse/exégèse parle de mouvement, de principe agissant. Or je trouve que l’une des traductions habituelles de רוח, terme se trouvant quelques mots plus loin, « esprit », ne restitue pas la dynamique inhérente au sens (littéral) de ce mot, qui désigne le vent ; ainsi, le choix de « souffle » par Fabre d’Olivet, Zadoc Kahn et la version de 2001 me semble plus fidèle au sens du texte. Si l’esprit « plane », il peut aussi s’arrêter de le faire, tandis que le vent ou le souffle, lui, est en mouvement perpétuel, éternel.

    Commentaire par Miklos — 10 février 2009 @ 7:10

  5. Merci pour votre envoi.

    Une artiste japonaise, avec laquelle j’ai eu le plaisir de m’entretenir a écrit ceci:

    « Les noms propres, c’est en général ce qui demeure dans le texte traduit comme le seul témoin du lieu de départ, l’ombre partielle du texte original qui le hante. Ils se déplacent tels quels au cours de sa transplantation d’une langue à l’autre. »
    (Traduire les noms propres par Ryoko Sekiguchi)

    La règle fondamentale admise par tous les traducteurs c’est que, lors du passage d’une langue à une autre, Victor Hugo ou Hamlet doivent rester ce qu’ils sont en tant que signifiants.
    Vous comprendrez mon trouble (pour ne pas dire ma profonde inquiétude) lorsque je vois que le mot le plus important (non seulement pour ce texte, mais on pourrait dire pour l’humanité) est un nom propre qui n’existe pas dans l’original.

    Dieu n’est rien d’autre que Zeus.
    Quel est le sens de cette traduction-trahison?

    Commentaire par Claude TAIEB — 22 janvier 2010 @ 8:14

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