« Ballon rouge pour la gloire ballon jaune pour la joie… » (Richard Antony)
Paris, années 1980
L’homme gara doucement sa voiture le long du trottoir. Après avoir éteint le moteur, il observa discrètement l’embrasure des rideaux en filet du modeste immeuble devant lequel il s’était arrêté. On ne pouvait voir la direction que prenait son regard : ses épaisses lunettes de myope scintillaient et dessinaient des cercles concentriques autour d’un petit point sombre, telle l’eau qui s’engloutit dans une bonde. Ce qu’il devait voir le satisfit : il sortit, enfila un élégant pardessus gris à col de velours noir et coiffa soigneusement sa tête gominée d’un chapeau de feutre anthracite à larges bords bordé d’un ruban de soie noire. Puis il ouvrit le coffre, se saisit délicatement d’un long étui de flûte traversière – noir, lui aussi – et d’un mince dossier qu’on imaginait contenir la partition qu’il allait exécuter. Il vérifia encore une fois l’adresse, rédigée d’une écriture moulée sur une étiquette blanche aux bords bleus colée sur le carton – il remarqua que c’était au 13 de la rue, mais il n’attachait pas d’importance aux signes –, et franchit la porte vitrée de l’hôtel. Il n’y avait personne à la réception. Il traversa rapidement l’entrée et gravit silencieusement les marches qui menaient à l’étage. Il crocheta d’un tour de main la serrure d’une porte, l’entrouvrit et s’introduisit dans une chambre aux persiennes fermées. Il s’immobilisa longtemps, jusqu’à ce que ses yeux fatigués se fussent habitués à la pénombre. La pièce était entièrement vide, à l’exception d’une chaise de bois placée près de la fenêtre. Il s’y assit, disposa l’étui sur ses genoux, et en souleva le couvercle. Il retira ce qui ressemblait à un long tuyau métallique soigneusement enveloppé dans un tissu soyeux. Il ouvrit la fenêtre, et observa le troittoir désespérément vide par les interstices du volet. Après un long moment, il vit enfin deux silhouettes se rapprocher du bout de la rue. Une grosse dame vêtue modestement mais proprement tenait à la main un petit garçon en culottes courtes, chemisette blanche et casquette. Dans sa main libre, l’enfant tenait un fil auquel était attaché un joli ballon bleu ciel qui flottait au-dessus de lui comme un ange protecteur. L’homme prit alors dans l’étui un petit objet et le mit dans sa bouche. Il porta le tuyau à ses lèvres et l’aligna méticuleusement tout en inspirant profondément et en gonflant ses joues à bloc. Puis, d’un coup, il souffla de toutes ses forces. Une détonation retentit dans la rue : le ballon avait explosé. Un rire silencieux secoua l’homme. Il reposa la sarbacane sur ses genoux, sortit un stylo à plume de la poche de son pardessus, barra une ligne de la liste qui se trouvait dans son dossier, et se remit à attendre.
c’est un vendeur de ballons ?
Commentaire par francois75002 — 19 avril 2009 @ 20:37
Je n’avais pas pensé à cette possibilité, mais vu sa façon recherchée de s’habiller, sa voiture… ce ne semble pas être le métier de l’individu. Dans mon esprit, c’est un homme qui souffre de la phobie des ballons de baudruche (comme il semble avoir, d’autre part, un comportement assez monomaniaque, je ne serais pas étonné s’il avait aussi quelques TOCs), que je ne suis pas loin de partager (sans pour autant passer à l’acte) !
Commentaire par Miklos — 19 avril 2009 @ 20:47