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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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19 avril 2013

La taille d’une bibliothèque, ou, « Non refert quam multos, sed quam bonos, habeas libros » (Sénèque, lettre XLV à Lucilius).

Classé dans : Littérature, Livre — Miklos @ 23:41

«Puisqu’il n’est pas possible de lire tous les livres que l’on peut avoir, il faut donc se borner au nombre de ceux qu’on a le temps de lire. Cum legere non possis quantum habueris, sat est habere quantum legas1. Ce n’est pas leur quantité accumulée qui fait les savants, c’est leur qualité bien choisie2.

Quelqu’un a dit  Gardez-vous de disputer avec l’homme d’un seul livre : Cave ab homine unius libri. Il s’est si bien nourri de la matière qui en fait l’objet, il se l’est tellement incorporée, qu’il est devenu redoutable à tous ceux qui voudraient argumenter contre lui sur le même sujet.

Celui, au contraire, qui a un peu lu de tout, qui a essayé tous les genres de doctrine et qui a goûté de tous les sucs, s’est fait une mauvaise nourriture, plus capable d’épuiser les forces que de les augmenter. Comme une lecture sagement réglée mène à l’instruction, ainsi celle qui est mal entendue et trop variée conduit à la dépravation de l’esprit. L’âme fatiguée par la complication des idées éprouve, de même qu’un estomac trop rempli, un certain dégoût plus nuisible que la privation des aliments3.

Quiconque veut parvenir à un but n’avancera jamais s’il s’égare dans des chemins de traverse, s’il entre dans différentes voies4. C’est en quelque sorte n’exister nulle part que de vouloir être partout. A force de faire des incursions, on ne trouve aucun point fixe où se reposer. On ressemble à ces voyageurs qui sont en pèlerinage toute leur vie. Ils rencontrent des hospices sur leur route, mais ils n’ont jamais d’habitation décidée.

Nous pourrions aussi comparer ceux qui voltigent ainsi sur les livres à ces gens qui vont chercher des avis auprès de tout le monde, qui ne fixent leur confiance sur personne, qui ont beaucoup de conseils et n’ont point d’amis5. Tels sont ceux qu’Apulée nomme Curiosulos, et Cicéron Helluones librorum6. Sans s’arrêter à un bon choix, ils parcourent tous les pays de la littérature à l’aide d’une lecture rapide et superficielle.

Il en est cependant de l’esprit humain comme des végétaux : il ne gagne rien à être sans cesse transplanté7. Il ne faut donc pas être surpris si les possesseurs des grandes bibliothèques sont ceux qui étudient le moins. Eh ! comment un homme, accablé sous le poids énorme des volumes, en aurait-il le temps ? Il n’a le loisir de faire aucune autre lecture que celle de quelques catalogues. À peine sa vie suffirait-elle pour connaître seulement les titres de tous les livres, les noms de leurs auteurs, de leurs imprimeurs, les différentes dates de leurs éditions. Une pareille étude exclut infailliblement toutes les autres8. »

Bollioud-Mermet, De la bibliomanie. La Haye, 1761.

____________

1. Senec., epist. 2.

2. […] Senec., epist. 2. […] Petrarc., de Lib.cop., dialog. 43. […] Senec., epist. 45.

3. […] Petrarc., de Lib.cop., dialog. 43. […] Thriv.,in Apopht., 126. […] Senec., epist. 2.

4. […] Id., epist. 45. [...] Petrarc., de Lib. cop., dialog. 43.

5. […] Senec. epist. 2.

6. […] Cic., de Fin., lib.3, cap. 7.

7. […] Senec., epist. 2.

8. […] Petrarc., de Lib. cop., dialog. 43. […] Senec., de Tranq. an., cap. 9.

«Quantité d’hommes célèbres ont composé leur bibliothèque de quatre ou cinq ouvrages tout au plus. Alexandre ne quittait jamais Homère ; César étudiait continuellement Xénophon ; Comines a été l’auteur favori de quelques uns de nos grands capitaines ; Machiavel le guide exclusif de quelques uns de nos hommes d’État. Henri IV avait un goût particulier pour les Hommes illustres de Plutarque ; Turenne pour Quinte-Curce ; Pierre Corneille pour Tacite, Tite-Live et Lucain ; Ménage pour Plutarque ; Antoine Arnauld pour Cicéron ; La Fontaine pour Rabelais, l’Arioste, Boccace et le Tasse ; Jean Racine pour Platon et Plutarque. Chevreau disait qu’on pouvait se passer de tous les écrivains de tous les temps avec maître Michel, maître François et maître Benoît ; c’est-à-dire, Montaigne, Rabelais et Spinoza ; Saint-Évremond, qu’on pouvait lire toute sa vie Don Quichotte sans en être dégoûté. Bossuet, consulté sur celui de tous les ouvrages qu’il voudrait avoir fait, répondit, les Lettres provinciales. Boileau disait au P. Bouhours : « Mon père, lisez les Provinciales ; et, croyez-moi, ne lisez pas d’autres livres. » On connaît la prédilection de J. J. Rousseau pour Plutarque, Charron et Robinson Crusoé ; celle de Voltaire pour les Provinciales de Pascal et le Petit Carême de Massillon. Les auteurs chéris de Montesquieu étaient Plutarque, Montaigne, Malebranche et Rollin. « Cet honnête homme, disait-il en parlant de Rollin, a, par ses ouvrages d’histoire, enchanté le public. On sent, en les lisant, une secrète satisfaction d’entendre parler la vertu. » Grosley faisait ses délices d’Érasme, de Rabelais, de Montaigne, et de la Satire Ménippée.

Napoléon Bonaparte eut toujours une grande prédilection pour Corneille. Dans sa captivité à Sainte-Hélène, la promenade qu’il avait coutume de faire après son dîner était suivie d’une lecture à haute voix. Corneille et Racine obtenaient la préférence sur Voltaire. La France, dit-il un jour, doit à Corneille une partie de ses belles actions. »

M. de la Mésangère, Dictionnaire des proverbes français. Paris, 1823.

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