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15 juillet 2013

Falloir faillir

Classé dans : Langue, Littérature, Loisirs, Sciences, techniques — Miklos @ 0:26


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Puisqu’il fallait faillir, un point me réconforte,
Qu’au moins je ne pouvais aimer plus hautement.
— Ovide, « Épitre IV. Phèdre à Hippolyte », in Héroïdes. Trad. et commentaires de Gaspard Bachet, 1716.

Claude-Gaspard Bachet ayant été un excellent grammairien quoique « poète médiocre en français, latin et italien » aux dires même du paragraphe que lui consacre l’Académie française, on imagine qu’il a eu plaisir à juxtaposer, dans sa traduction d’Ovide, ces deux verbes différemment défectifs que sont falloir et faillir.

Si le second ne s’utilise qu’à la troisième personne du singulier – il est impersonnel –, le premier possède bien une conjugaison complète, mais n’est plus guère usité qu’à l’infinitif, au passé simple, au conditionnel et aux temps composés, ainsi que dans l’expression le cœur me faut.

Ces deux verbes possèdent la curieuse particularité de se ressembler, voire de se confondre dans certaines de leurs conjugaisons communes ; ce n’est pas si étonnant que cela, falloir proviendrait de l’expression petit en falt que (« peu s’en faut que… », 1160), où manque (faillir) devient nécessité (falloir).

Bachet aimait indéniablement les jeux de l’esprit : mathématicien, il est aussi l’auteur d’un recueil de Problèmes plaisants et délectables qui se font par les nombres et dont on possède la réédition de 1959 chez Albert Blanchard. Il est donc fort probable que ce choix ait été pour lui plaisant et délectable comme il l’est pour nous.

Voici quelques-unes de leurs conjugaisons :

Faillir

Falloir

Indicatif présent

Je faux
Tu faux
Il faut
Nous faillons
Vous faillez
Ils faillent.

 
 
Il faut

Imparfait

Je faillais
Tu faillais
Il faillait
Nous faillions
Vous failliez
Ils faillaient.

 
 
Il fallait.

Futur

Je faudrai / faillirai*
Tu faudras / failliras
Il faudra / faillira
Nous faudrons / faillirons
Vous faudrez / faillirez
Ils faudront / failliront.

 
 
Il faudra.

etc.

* Dans son Dictionnaire critique de la langue française (1787), l’abbé Féraud écrit à l’article Faillir : « Pour le futur, les uns voudraient je faudrai, comme l’Acad. d’autres je faillirai, mais il est inutile de disputer là-dessus, puisqu’on ne s’en sert pas. »

Pour finir, voilà un florilège de citations dans lesquelles faillir est utilisé à chacune des personnes du présent de l’indicatif, conjugaison obsolète de nos jours.

En fin on me dit tant de diverses choses, que je sais quels remèdes y apporter ; car recherchant de près mes intentions et volontés, je les trouve telles que les doit avoir un bon sujet et fidèle serviteur ; si je faux c’est par imprudence. Monsieur, une tête à preuve de canon comme la vôtre se troublerait, jugez que peut la mienne qui n’est ni posée, ni solide. Or donc, je vous supplie que le Roi me prescrive, ordonne et commande ses volontés, et comme il veut que mes paroles et mes actions aillent ; et si je faux, que je sois blâmé.

Lettre du Maréchal de Biron à M. de Rosny, 1601 (citée par Sully dans ses Mémoires).

Tu faux, de Pré, de nous pourtraireFaire le portrait de.
Ce que l’éloquence a d’appas ;
Quel besoin as-tu de le faire ?
Qui te voit, ne la voit-il pas ?

François de Malherbe, À Monsieur de Pré, sur son portrait de l’éloquence française, 1620.

DuquelIl s’agit d’Alexandre le Grand. a été dit qu’il faisait remuer les gens de ville en ville, comme les bergers promènent leurs cabanes. Vrai est que telle manière de vivre n’est ni honnête ni chrétienne ; et mieux vaudrait à un homme vivre à son privé que d’être Roy, et user de telle inhumanité et cruauté. Mais qui le serait d’aventure, et ne se soucierait autrement de prendre le bon chemin, il faudrait s’il voulait tenir qu’il passât par là, et usât de tels maux et énormités. En quoi l’homme faut volontiers pensant filer entre-deux, et n’être en extrémité bon ni mauvais ; car il lui faut être en ce cas tout un ou tout autre.

Nicolas Machiavel, Discours de l’état de paix et de guerre, Paris, 1646.

Durant la guerre à Troye, à l’heure que la Grèce
Pressait contre les murs la Troyenne jeunesse,
Et que le grand Achille empêchait les ruisseaux
De porter à Tethys le tribut de leurs eaux,
Ceux qui étaient dedans la muraille assiégée,
Ceux qui étaient dehors dans le port de Sigée,
Faillaient également. Mon Des Autels, ainsi
Nos ennemis font faute, et nous faillons aussi.
Ils faillent de vouloir renverser notre empire,
Et de vouloir par force aux Princes contre-dire,
Et de présumer trop de leurs sens orgueilleux,
Et par songes nouveaux forcer la loi des vieux. […]

Pierre de Ronsard, Élégie à Guillaume des Autels sur le tumulte d’Amboise, 1560.

« Ouy, mais si vous avez promis à quelqu’un de luy faire plaisir, et qu’après vous trouviez que c’est un ingrat, le luy ferez-vous, ou non ? Si vous le faites sciemment, vous faillez, parce que vous faites plaisir à un à qui vous n’en devez point faire. Si vous ne le faites, vous faillez aussi, parce que vous ne faites pas ce que vous avez promis. Voicy un scrupule qui vous donne de quoy ronger vos ongles […].

Sénèque, Traité des bienfaits, traduits par François de Malhelbe, Paris, 1631.

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