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6 avril 2005

Violence

Classé dans : Littérature, Société — Miklos @ 0:04

Gustave Doré : Cain et Abel

La violence : une force faible.
— Vladimir Jankélévitch

Lorsqu’on ne maîtrise plus les évènements de sa vie à tel point qu’on perd pied, lorsqu’on se sent le jouet des autres — chefs, amants ou voisins —, lorsqu’on perd le sens de sa juste identité et qu’on se trouve sans valeur ou mésestimé, on peut sombrer facilement dans la violence pour reprendre un semblant de pouvoir: car c’est souvent l’enjeu de la violence dans ces cas. D’autant plus facilement si elle peut s’exercer virtuellement, seul derrière un écran, ou devant une cour admiratrice: combien sont-ils ceux qui, maîtrisant l’invective numérique, auraient le courage de la prononcer en face à face? Ou alors, on la détourne non pas vers l’objet de son ressentiment ou de sa frustration, mais vers une victime commode: plus faible, disponible par hasard ou par situation (ce qui arrive souvent aux femmes faisant l’objet de violences conjugales de la part de leur mari frustré de son travail, blessé par le chômage ou en général acculé dans une impasse).

On peut se défaire d’un ami par une seule parole,
mais pour en acquérir mille paroles ne suffisent pas.

— Proverbe turc

La violence verbale n’est pas une invention de l’internet. La parole peut être une arme redoutable, tout aussi redoutable parfois que l’arme blanche ou chaude, pour l’enfant comme pour l’adulte: des parents abusifs peuvent ruiner pour un bon moment ou pour toujours la vie de leur enfant par des discours manipulateurs, violents ou pervers, un conjoint peut blesser ou humilier l’autre par des paroles bien choisies, des supérieurs hiérarchiques peuvent exercer un harcèlement durable rien qu’avec des mots, un cynique faisant montre d’ironie cinglante peut tirer sur une cible humaine tout en amusant la galerie. Beau rire que celui au dépens de l’autre…

Nous nous piquons à nos opinions avec d’autant plus de violence
que nous les sentons plus discutées ou plus douteuses,
les tenant ainsi pour certaines à proportion qu’elles ne le sont pas.

— Jean Paulhan

La nécessité pour certains de dominer l’autre ou les autres est le contraire de l’échange réel et du dialogue respectueux (ce qui n’empêche pas la passion). Quand on parle sans écouter ni être entendu, la violence est au rendez-vous. Qu’en reste-t-il après ?

La violence n’est pas innée chez l’homme.
Elle s’acquiert par l’éducation et la pratique sociale.

— Françoise Héritier

Pour que la violence soit « efficace », il faut qu’elle fasse mouche et blesse sa victime : cela suppose donc la capacité de produire l’énergie d’un tsunami qui balaye tout sur son passage, ou de trouver la faille chez l’autre et de s’y engouffrer sans grand effort. Il ne suffit pas d’être fort pour y résister, il faut parfois, à l’instar du roseau de la fable, savoir plier pour ne pas casser ; savoir se taire pour ne pas s’égosiller ; savoir s’arrêter pour ne pas imiter. Quoi qu’il en soit, il faut faire acte de résistance, et cet acte n’est pas nécessairement violent. Il n’y a que très peu de violence qui justifie de la violence en retour, lorsque c’est le seul moyen de préserver l’essentiel : la vie, la santé (physique ou mentale) ; la sienne, celle des autres.

La présence des autres est créatrice de violence.
Car les autres sont au moins deux :
l’un devient rival, l’autre l’objet de la rivalité.

— Jacques Attali

La violence est un acte social : elle suppose des protagonistes, voire des spectateurs (les Romains d’hier et les afficionados d’aujourd’hui dans les arènes, les spectateurs d’un match de boxe, les lecteurs de blogs — tous ceux qui marquent les points). Certaines sociétés ou cultures arrivent à les canaliser en les sublimant sous forme de jeu, d’autres le font dans la création artistique ou dans la relation sexuelle. Bien peu arrivent à apaiser en eux l’instinct de domination animal qui cause ces poussées, sachant se taire paisiblement ou aller ailleurs quand la tempête fait rage pour attendre qu’elle passe, ou s’en défendre efficacement. La violence n’est pas forcément signe d’intelligence. À l’inverse, l’intelligence ne mène pas forcément au rejet de sa propre violence.

Le sage équarrit sans blesser
Incline sans porter atteinte
Rectifie sans faire violence
Et resplendit sans aveugler.

— Lao-Tseu

3/1/2005

Pas de commentaire »

  1. (somptueux. Je m’étonne, depuis peu, de la force des mots, notamment de leur force destructrice. Qu’y a-t-il dans l’insulte, qu’elle nous touche au point de nous détruire ou de faire préférer nous en venger, au mépris de toute conservation de soi ? Comment une parole peut-elle avoir cette force ? )

    Commentaire par kliban — 9 avril 2005 @ 1:09

  2. À ce titre, je recommande vivement la lecture du petit livre de Catherine Chalier, "De l’intranquilité de l’âme".

    Commentaire par miklos — 9 avril 2005 @ 1:21

  3. À ce titre, je recommande vivement la lecture du petit livre de Catherine Chalier, "De l’intranquillité de l’âme".

    Commentaire par miklos — 9 avril 2005 @ 1:23

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