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29 août 2013

Un fort curieux Jésuite

Classé dans : Livre — Miklos @ 2:26


Source : bibliothèque municipale de Lyon.

Les Jésuites n’ont de cesse de nous surprendre (on ne pense pas forcément à la récente élection d’un certain François), mais tout de même…

En explorant quels concours intéressants avaient eu lieu au 19e siècle, on est tombé sur un texte assez remarquable, Coup d’œil sur quatre concours qui ont eu lieu en l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon pour le prix offert par M. l’Abbé Raynal sur la Découverte de l’Amérique, publié en 1791. Il s’agissait d’un rapport lu à la séance publique de l’académie en question le 20 avril 1790, dans lequel on discute de la question si la découverte de l’Amérique, avec toutes les horreurs dont elle s’est accompagnée, a été bénéfique non seulement aux Européens mais à l’humanité toute entière.

Une fois qu’on a eu la réponse, on s’est intéressé à l’auteur de ce Coup d’œil. La page de garde de l’ouvrage qu’on avait consulté ne l’indiquait pas, mais portait la mention manuscrite « Par M. l’abbé Jacquet avocat à Lyon » comme on peut le voir ci-dessus. La notice bibliographique indiquait quant à elle « Louis Jacquet, Bruyset », dont on a rapidement éliminé le « Bruyset » qui s’est trouvé être son imprimeur. On est donc parti à la chasse d’informations concernant un Louis Jacquet, abbé et avocat à Lyon à la fin du 18e siècle.

Et voici que l’on trouve une notice à son propos, éditée par l’abes (ce n’est pas la femme dudit abbé mais l’agence bibliographique de l’enseignement supérieur), qui indique qu’il s’agit de Jacquet, Louis (1732-1794), Jésuite, avocat, membre de l’Académie de Lyon. Ce qui frappe dans cette page, c’est la liste de ses ouvrages qui lui sont attribués†.

On y voit bien entendu celui dont on vient de parler, mais aussi La fabri­cation des eaux-de-vie. Quelle surprise de la part d’un Jésuite ! Il est vrai qu’on avait lu et apprécié L’Elixir du père Gaucher, mais tout de même… Et voici qu’il aurait aussi renchéri avec L’alcool : étude économique générale, ses rapports avec l’agriculture, l’in­dus­trie, le commerce, la législation, l’impôt, l’hygiène individuelle et sociale, préfacé par, je vous en donne mille, George Clemenceau lui-même en personne, dans une édition datée plus de cent ans après la mort de son auteur. Curieux, aussi, cet ouvrage en plusieurs volumes de sa main, publiés dans les années 1970, Les Psaumes et le cœur de l’homme : étude textuelle, littéraire et doctrinale.

On a donc poursuivi notre enquête, et voici que l’on trouve, sur un site de généalogie, une page consacrée à un certain Siméon Marie Louis Jacquet (1864-1924), auteur de ces ouvrages sur l’eau-de-vie et l’alcool, et pour cause, voici ce qu’elle en dit (on s’est permis d’y corriger un certain nombre de coquilles) :

«Admis au concours d’entrée à l’école centrale des arts et manu­factures en 1887, ingénieur, en 1889, directeur associé de la distil­lerie de Solençon prés de Cognac, rédige un ouvrage La fabri­cation des eaux de vie publié par Masson, crée avec son frère Jules une société à Cognac, Jacquet, Klug et Cie, couronné par l’Académie française pour son ouvrage sur L’Alcool préfacé par Georges Clemenceau, en 1917 ingénieur à la société générale des Téléphones. »

Ces ouvrages ne portant que le dernier prénom dudit Jacquet – l’histoire ne dit pas s’il était abbé et la photo ci-contre ne le laisse pas deviner –, le voici transformé en un homonyme du nôtre qui, lui, n’était pas ingénieur, d’après le Dictionnaire historique, ou Histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours, écrit par un autre abbé, F.-X. de Feller et publié au 19e s., après la mort du premier qui avait le goût de la littérature, et avant la naissance du second qui semblait porté vers les alcools :

«JACQUET (Louis), né à Lyon le 6 mars 1732, entra chez les jésuites, et y prit le goût de la bonne littérature. Pourvu, quand il en fut sorti, d’une prébende de chevalier de l’église de Saint-Jean de Lyon, il devint membre de l’académie de cette ville, où même, sans doute après que le chapitre de Lyon, comme tous les autres établissements ecclésiastiques, eut été supprimé, on dit qu’il exerça la profession d’avocat. On lui doit : 1° un Parallèle des tragiques grecs et français, 1760, in 12, ouvrage ingénieux. 2° Deux Discours sur cette question : La candeur et la franchise ne sont-elles pas communément plus utiles dans le maniement des affaires, que la ruse et la dissimulation ? L’autre sur celle-ci : Le désir de perpétuer son nom et ses actions dans la mémoire des hommes est il conforme à la nature et à la raison ? Ces deux questions avaient été proposées par l’académie de Besançon, et les deux discours de l’abbé Jacquet furent couronnés. 3° Coup d’œil sur les quatre concours, brochure relative au prix proposé par l’abbé Raynal sur la découverte de l’Amérique. Cet écrit de Jacquet passe pour un modèle de rapport littéraire. Il travaillait à un ouvrage sur l’origine du langage, des arts et de la société, et était sorti de Lyon pendant l’investissement de cette ville en 1793, pour n’être pas témoin des horreurs qui en suivirent la prise. Il s’était retiré à la campagne ; il y mourut la même année. Il était, dit-on, grand admirateur de J.-J. Rousseau, avec lequel il avait dans ses habitudes et ses idées quelque ressemblance. Il eut le temps de voir les suites funestes de ces théories prétendues sociales, et qui ne tendent à rien moins qu’à bouleverser les sociétés. »

L’erreur, dans le site de l’abes, semble provenir de la source de la notice erronée (OCLC). Le catalogue de la bibliothèque municipale de Lyon ne s’y est pas trompé, lui : il indique que l’auteur de La fabrication des eaux-de-vies est « Jacquet, Louis, 18..-19.. ?, ingénieur des arts et manufactures » (il pourra maintenant compléter les dates et les autres prénoms de l’auteur avec les informations qu’on a trouvées plus haut).

On n’est pas arrivé à déterminer qui est ce Louis Jacquet qui a écrit les trois volumes du Les Psaumes et le cœur de l’homme. Comme cet ouvrage semble avoir été publié pour la première (et dernière) fois en 1975, et qu’il est classé par la bibliothèque du Couvent des Dominicains de Toulouse dans la catégorie « Livre des Psaumes : études, commentaire modernes », on en déduira qu’il s’agit bien d’un homonyme moderne, qualifié ailleurs de « docteur en théologie » et non pas d’« abbé ».

Enfin, pour rajouter quelques possibilités de confusion, on signalera l’existence d’un contemporain de notre Jésuite : Pierre-Louis Jacquet (1691-1763), évêque auxiliaire de Liège, et enfin celle d’un autre abbé, Louis-Joseph Jacquet, auteur d’un Souvenir à la plus tendre mère, son inconsolable fils l’abbé Jacquet, publié en 1852. Ce dernier est aussi l’auteur d’autres ouvrages aux titres plus édifiants les uns que les autres, à l’instar de Réponse à cette question : Qu’entend-on par république ? Hommage aux représentants de la grande famille française par leur tout dévoué frère et concitoyen l’abbé Jacquet (1848) ou L’Étoile de la France en Italie (1859), en vers, avec une récidive dans Jeanne d’Arc, poème national en dix-huit chants (1843), suivi du Triomphe national de Jeanne d’Arc en XVI chants… Et après cela, on ne peut qu’être stupéfait en constatant qu’il aurait aussi commis un De l’Hydrogéologie, ou Action et mouvement des eaux dans l’intérieur des terres, c’est la BnF qui l’affirme. On n’a trouvé nulle part ailleurs de mention de cet ouvrage. Encore un mystère à résoudre ! Et pour ceux qui souhaiteraient identifier d’autres Louis Jacquet, on leur conseillera la liste qu’en donne le VIAF (répertoire international de noms en provenance de plusieurs bibliothèques nationales) qui, soit dit en passant, répercute l’erreur d’attribution que l’on a vue chez l’abes.

On conclura en affirmant notre préférence pour les textes authen­tiques de notre abbé Jésuite.


___________________

† Cette liste a, depuis la rédaction de ce texte, évolué dans le bon sens, l’abbesse l’abes ayant réagi plus vite que son ombre au signalement que nous lui avons fait et dont on pourra suivre les étapes ici.

3 commentaires »

  1. [...] l’humanité. Le texte qu’on lira ci-dessous est le rapport qu’a présenté un autre abbé – Louis Jacquet, dont on vient de parler – à l’Académie, et qui, considérant l’inanité des réponses à la problématique posée [...]

    Ping par Miklos » « La découverte de l’Amérique a-t-elle été utile ou nuisible au genre humain ? » — 30 août 2013 @ 22:49

  2. Bonjour, je souhaite apporter une précision sur louis (prénom par lequel il se faisait appelé en famille) Jacquet (grand père de ma mère) qui a écrit « La fabrication des eaux de Vie » publié par Masson.
    Siméon Marie Louis André Jacquet, ingénieur sorti des art et métiers est né le 25 aout 1864 à Sauviat sur Vige est fils de Jule Marie Auguste Jacquet °1834 à St Amand Jartoudeix Notaire puis négociant en eaux de vie
    A l’inscription des Arts et Métier il avait un homonyme et devra préciser son pedigré familial afin de ne pas être confondu.

    Commentaire par Huet — 20 novembre 2016 @ 12:56

  3. Bonjour,

    Merci pour l’information, qui explique bien la source de la confusion dans la notice de l’abes (corrigée depuis).

    Cordialement,
    Miklos

    Commentaire par Miklos — 20 novembre 2016 @ 13:12

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