« Mieux vaut être fou que sage », ou, Paradoxes facétieux
André Morellet, « Théorie du paradoxe », in
Mélanges de littérature et de philosophie du 18e siècle, (1775, rééd. 1888).
Ortensio Lando (1512-1553) était non seulement un humaniste de la Renaissance qui avait voyagé – né à Milan, il avait aussi habité Rome, Lyon, Venise, Naples… et parcouru la Sicile,la Suisse, l’Allemagne, la France (où il a été reçu à la cour de François Ier) et, dit-il, Anvers et l’Angleterre –, mais un humoriste, voire carrément un farceur : on lui doit, par exemple, une attaque d’Érasme, qu’il fit publier à Bâle en 1540 par un imprimeur qu’il a convaincu qu’il s’agissait d’une louange chaleureuse du grand philosophe, décédé dans cette ville quelques années plus tôt.
C’est à Lyon qu’il publie en 1543 la première édition de ses Paradoxes, « collection de facéties et de bizarreries, développant des vérités contre l’opinion commune (qu’il vaut mieux être pauvre que riche, laid que beau, ignorant que savant, etc.), en mettant en évidence leur aspect ludique cachant un sens moral, dans la tradition de la facetia humaniste » (source). On pourra en lire ci-dessous les propositions qu’il développe dans cet ouvrage.
Ce texte fut bientôt réédité, puis traduit en français par Charles Estienne en 1554, qui en sous-titra l’ouvrage « Ce sont propos contre la commune opinion : débattus en forme de déclamations forenses : pour exerciter les jeunes advocats, en causes difficiles ». Il en élimina le onzième et les quatre derniers paradoxes qu’il trouvait trop choquants. Cette traduction a été récemment rééditée dans une édition critique chez Droz (1998).
D’autres traductions/adaptations s’en sont suivies, depuis celle de Jean-Baptiste Duval (en 1603, intitulé Les Déclamations paradoxes ; où sont contenues plusieurs questions, débattues contre l’opinion du vulgaire. Traité utile & récréatif, propre à éveiller la subtilité des esprits de ce temps) jusqu’à celle de Marie-Françoise Piéjus (dans l’édition critique d’Antonio Corsaro aux Belles Lettres en 2012).
On pourra lire avec intérêt l’essai que William Axon a consacré à la vie et à l’œuvre de Lando, « Ortenso Lando, a Humorist of the Renaissance », publié en 1899 dans les Transactions of the Royal Society of Literature.
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I. |
Che miglior sia la povertà, che la richezza. |
Que la pauvreté vaut mieux que la richesse. |
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II. |
Che megliosia l’esser brutto, che bello. |
Qu’il vaut mieux être laid que beau. |
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III. |
Meglio è d’esser ignorante, che dotto. |
Mieux vaut être ignorant que savant. |
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IV. |
Meglio è d’esser ceco, che illuminato. |
Mieux vaut être aveugle que voyant. |
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V. |
Meglio è d’esser pazzo, che savio. |
Mieux vaut être fou que sage. |
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VI. |
Che mala cosa non sia si un Principe perda il stato. |
Qu’il n’est pas mauvais qu’un prince perde son État. |
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VII. |
Esser meglior l’imbriachezza, che la sobrieta. |
L’ivresse vaut mieux que la sobriété. |
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VIII. |
Meglio è d’haver la moglie sterile, che feconda. |
Mieux vaut avoir une femme stérile que féconde. |
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IX. |
Meglio è vivere mandato in esiglio, che nella patria longamente dimorare. |
Mieux vaut vivre en exil que demeurer longuement dans sa patrie. |
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X. |
Meglio è l’esser debole & mal sano, che robusto & gagliardo. |
Mieux vaut être faible et mal portant que robuste et gaillard. |
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XI. |
Non essere cosa detestabile ne odiosa la moglie dishonesta. |
Il n’est pas détestable ni odieux d’avoir une femme malhonnête. |
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XII. |
Meglio è di piangere, che ridere. |
Mieux vaut pleurer que rire. |
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XIII. |
Esser meglio la caristia, che l’abondanza. |
La disette vaut mieux que l’abondance. |
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XIV. |
Che meglio è morire, che longamente campare. |
Mieux vaut mourir que vivre longuement. |
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XV. |
Che meglio sia nascere ne luoghi piccioli che nelle populose città. |
Qu’il vaut mieux naître dans de petits villages que dans des villes peuplées. |
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XVI. |
Che meglio sia habitare nell’humili case, che ne gran palagi. |
Qu’il vaut mieux habiter une humble maison qu’un grand palais. |
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XVII. |
Che mala cosa non sia l’esser serito et battuto. |
Qu’il n’est pas mauvais d’être blessé et battu. |
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XVIII. |
Non è cosa biasmevole ne odiosa l’esser bastardo. |
Il n’est ni blâmable ni haïssable d’être bâtard. |
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XIX. |
Meglio è d’esser in prigione, che in liberta. |
Mieux vaut être en prison qu’en liberté. |
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XX. |
Esser meglior la guerra, che la pace. |
La guerre vaut mieux que la paix. |
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XXI. |
Non esser da dolersi se la moglie si muoia e troppo stoltamente far chuinque la piagne. |
Il ne faut pas s’attrister à la mort d’une épouse et bien sot celui qui la pleure. |
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XXII. |
Meglio è non haver servidori, che haverne. |
Mieux vaut ne pas avoir de serviteurs qu’en avoir. |
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XXIII. |
Che meglio sia nascere di gente humile, che di chiara & illustre. |
Qu’il vaut mieux naître de famille humble plutôt que célèbre et illustre. |
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XXIV. |
Esser meglio la vita parca della spendida & sontuosa. |
Mieux vaut une vie modeste que splendide et fastueuse. |
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XXV. |
Che la donna è di maggior eccellentia, che l’huomo. |
Que la femme est de plus grande excellence que l’homme. |
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XXVI. |
Che meglio sia d’esser timido, che animoso & ardito. |
Qu’il vaut mieux être timide que courageux et hardi. |
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XXVII. |
Che l’opere di Boccacio non sieno degne d’esser lette, ispetialmente le dieci giornate. |
Que les œuvres de Boccace ne sont pas dignes d’être lues, et en particulier Le Décaméron. |
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XXVIII. |
Che l’opere di quali al presente habbiamo sotto nome di Aristotele non sieno di Aristotele. |
Que les œuvres que nous connaissons à présent sous le nom d’Aristote ne sont pas d’Aristote. |
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XXIX. |
Che Aristotole fusse nonsolo un’ignorante, ma anche lo piu malvagio huomo di quella età. |
Qu’Aristote était non seulement un ignorant mais aussi l’homme le plus mauvais de son époque. |
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XXX. |
Che M. Tullio sia non sol ignorante de Filosofia, ma di Retorica, di Cosmografia, & dell’Istoria. |
Que Cicéron ignore non seulement la philosophie, mais aussi la rhétorique, la cosmographie et l’histoire. |
