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22 janvier 2010

« Dieu, jeune encore au moment de sa mort », ou, La vie de Dieu

Classé dans : Histoire, Lieux — Miklos @ 9:06


Le général Dieu. L’Illustration, journal universel du 14 avril 1860.

La rue Dieu, à Paris, tire son nom non pas du ciel mais de la Terre : il s’agit du général Dieu, « vigoureux et brillant officier », grièvement blessé le 24 juin 1859 à la bataille de Solférino au pied du mamelon des Cyprès et mort neuf mois plus tard de la terrible blessure qu’il avait reçue. Un buste en marbre du personnage se trouve dans les galeries historiques du château de Versailles.

Ce n’est que dans le Journal des instituteurs du 15 avril 1860 que l’on trouve des précisions biographiques sur ce Dieu (la Wikipedia de langue française est muette à son sujet) – tout, sauf son prénom, Charles Prosper, mentionné en passant dans Paris et Île-de-France vol. 36-38… Voici ce que l’on peut lire dans ce Journal :

«Le général Dieu, qui s’est couvert de gloire à Solferino, où il avait élu blessé, vient de mourir à Paris. Ce brave et regretté général a demandé que les honneurs militaires lui soient rendus à son convoi, par le 74e de ligne qu’il conduisait à l’ennemi au moment où il fut frappé d’un coup de feu. Le général Dieu était né en 1813 ; sorti de Saint-Cyr en 1831, il fut promu au grade de lieutenant d’état-major en 1834 ; après avoir servi en Afrique avec une grande distinction, il fut nommé aide de camp du maréchal Baraguay-d’Hilliers qu’il accompagna en Orient. Attaché en 1853 à l’armée ottomane et à son général en chef Omer-Pacha, il contribua puissamment à la belle résistance que les Turcs opposèrent à l’armée russe sur le Danube et les Balkans pendant la première période de la guerre d’Orient. Il commandait à l’armée d’Italie une une brigade du 1er corps, et fut blessé dès le commencement de la bataille de Solferino à l’attaque de la butte des Cyprès. Une auguste visite, dit la Patrie, est venue adoucir ses derniers jours, et il emporte dans la tombe, avec les regrets de toute l’armée, l’affection de ceux qui ont servi sous ses ordres.

Les obsèques du général Dieu ont eu lieu le 11 avril. Toute l’armée, représentée par les maréchaux Magnan, Baraguay-d’Hilliers et un grand nombre de militaires de tous grades, de tous rangs et de tous armes, enfin par ce brave 74e lui-même avec son drapeau, se pressait dans l’église de Saint-Louis-d’Antin et rendait les derniers devoirs à un vaillant frères [sic] d’armes qui, sur vingt-neuf années de services, dont quatre d’écoles, en passa vingt-trois à faire la guerre et fournit une de ses belles pages à l’histoire de l’activité intelligente et dévouée de l’officier d’état-major.

Les cordons du poêle étaient tenus par les généraux de Vaudrimey-Davoust, de Gouyon, de Beaufortd Hautpoul et le colonel Espivent.

Tout le quartier de la Madeleine se montrait vivement ému, car c’est au milieu de sa vive sympathie que le général Dieu passa les longs mois de son martyre. C’est rue de la Victoire, sous le toit hospitalier de la famille Labouret, qu’il fut donné à notre temps de voir la plus sainte amitié disputer à la mort une victime aussi précieuse.

Après la messe et les prières accoutumées, le corps fut transporté à Arcueil, où est le caveau de la famille du général. Le cortège, passant par les boulevards et la rue Royale, gagna la route d’Orléans, où la garde nationale et toute la population d’Arcueil attendaient les restes confiés désormais à leurs soins.

Les derniers moments de cette cérémonie ont été remplis par les paroles prononcées sur sa tombe par ses chefs, par le maréchal Baraguay-d’Hilliers, qui le connaissait depuis son enfance, et ne put, sans une vive émotion, dire un dernier adieu à son aide de camp, à celui dont il avait reçu la preuve la plus rare de dévouement, et par le général Forey, dont les paroles sympathiques trouvèrent un écho dans tous les cœurs.

Le général de Villiers, chef d’état-major du maréchal Magnan et ami du général Dieu, entra dans le récit détaillé de cette existence arrêtée au moment où elle allait réaliser les plus belles espérances.

Il rappela qu’en Afrique, simple capitaine d’état-major, Dieu se présenta seul au maréchal Baraguay-d’Hilliers qui demandait un officier résolu pour porter de nuit un contre-ordre, à travers trente lieues de pays insurgé, à une colonne qui devait coopérer à une attaque qu’une neige abondante tombée dans la soirée rendait impraticable. Enfin M. Labrousse, sous-préfet de Sceaux, vint à son tour assurer l’assistance émue des sentiments de la commune où devaient désormais reposer les restes du général. « On ne pleure pas, dit-il, sur la tombe des héros ; mais chaque année, à l’anniversaire de »la glorieuse victoire de Solferino, nous viendrons, habitants de cette contrée, déposer un laurier sur le mausolée d’une des victimes de noire gloire. » Cette cérémonie, écho éloigné d’une lutte terrible, laissera de nobles et touchants souvenirs dans tous les cœurs.

On conçoit que l’auteur de l’article ait eu à ne jamais omettre le titre du personnage, il n’aurait pu se permettre d’écrire « Les obsèques de Dieu ont eu lieu le 11 avril » vingt-deux ans avant Nietzsche. Et pourtant, on pouvait lire dans L’Illustration, journal universel du 14 avril 1860 (numéro d’où est tiré le portrait de Dieu qui orne ce billet) : « Dieu, jeune encore au moment de sa mort… ».

Dieu a vécu son long calvaire dans un lit que lui avait offert l’impératrice Eugénie (l’« auguste visite » mentionnée ci-dessus était sans doute de son fait ou de celui de son mari). Depuis son décès, Dieu repose au cimetière de Cachan (son frère, l’acteur Ami Hippolyte Dieu, habitait alors Arcueil, dont l’adjoint au maire était un autre Dieu de la même famille), mais on rapporte que la plaque qui portait son nom et donc sans doute son prénom, a disparu de sa tombe délabrée. Quoi qu’il en soit, ayant mérité de la nation (en fait, de l’Empire), Dieu mérite bien sa rue.

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