La littérature à l’estomac, ou, La boucle est bouclée
En 1949, l’écrivain Julien Gracq publie La littérature à l’estomac. Son éditeur, Corti, en dit : « Ce qui énervait Julien Gracq dans le milieu littéraire, tant celui des critiques que de certains écrivains, n’a fait que prendre, depuis, une plus grande ampleur car ce qui fait aujourd’hui d’abord un livre, c’est le bruit : pas celui d’une rumeur essentielle qui sourdrait de l’œuvre elle-même mais celui des messages accompagnant sa sortie. L’inextinguible besoin de “nouveau” et la vitesse se sont ligués contre lui. »
Deux ans plus tard, il refuse le prix que l’académie Goncourt lui décerne, bien qu’il ait affirmé, quelques jours avant la proclamation du résultat : « Si on me donnait le prix Goncourt, je ne pourrais faire autrement que de refuser. »
Lors d’une série d’entretiens pour Le Monde, il déclare en 1999 : « Ce que j’avais prédit dans La Littérature à l’estomac s’est confirmé. C’est pourquoi j’ai toujours refusé les invitations de Bernard Pivot. La télévision ne donne que l’image de l’écrivain et elle ne peut rendre compte de la littérature. »
Et voici qu’on apprend la nomination de Monsieur Apostrophes – le journaliste Bernard Pivot – à la présidence de l’académie Goncourt, au même moment où La Sélection du Reader’s Digest met la clé sous le paillasson… Comme l’a dit la présidente sortante, Edmonde Charles-Roux, dans son « hommage » à son successeur : « Notre nouveau président est l’homme le plus informé, ne l’oublions pas, sur ce qui se passe en ce moment dans le domaine du livre en France et en d’autres pays encore. » C’est grâce à ce talent indéniable qu’il a sacrément encouragé la vente de livres (ce dont la librairie a bien besoin), mais quid de leur lecture, en cette ère du Comment parler des livres qu’on n’a pas lus ?