Miklos
« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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9 août 2018

Life in Hell : Banques, je vous hais

Classé dans : Actualité, Progrès, Société, Économie — Miklos @ 11:05

No comment.

Akbar s’était retrouvé malgré lui client de la banque Haches Baissées, ce géant multinational ayant racheté en 2008 la banque qui avait racheté, en 2001, RV, sa petite banque si sympathique, qu’il avait rejoint en 1999, après que la Beh ! Haine Pet (dont il était client depuis son retour en France en 1985, malgré son nom aux consonances menaçantes) ait totalement m…é avec son compte (vous suivez ?).

Ses déboires (et débits) n’ont pas tardé à venir : dès 2009, même. Relevant le défi, peu de temps après il ouvre un compte chez une banque en ligne, After Bank, après avoir comparé l’offre. Il y met ses économies, obtient même une carte de crédit gratuite, tout en continuant à utiliser Haches Baissées pour l’essentiel de la gestion courante qu’il peut effectuer en général en ligne, sans se rendre dans son agence ni passer par son « conseiller » qui, périodiquement, disparaît comme le chat de Cheshire mais sans le sourire ni sans prévenir Akbar, pour être remplacé parfois bien plus tard par un autre conseiller destiné à disparaître tout aussi soudainement.

Mais le mois de juillet a été catastrophique et pas que pour la planète. Akbar souhaite établir un virement mensuel permanent de 250 € vers l’étranger, à commencer impérativement le 1er août : comme il est impossible de l’établir en ligne (bien qu’on puisse rajouter des bénéficiaires et leur faire des virements ponctuels en ligne), il envoie le 9 du mois un courrier (électronique, c’est déjà ça) à la banque pour ce faire. Elle lui répond en demandant les coordonnées du bénéficiaire, ce qu’il fait le jour même. Huit jours plus tard, elle lui envoie (électroniquement, c’est déjà ça) un formulaire à signer (Akbar se demande in peto pourquoi ne l’avait-elle pas fait dès sa première réponse), il obtempère le même jour, le 17, en précisant que, si le premier de ces virements permanents n’est pas effectué le 1er août, il le fera manuellement. Dix jours plus tard, la banque l’informe que ses services centraux n’ont pas sa signature et ne peuvent donc valider la demande – alors qu’ils continuent à honorer ses chèques… –, lui envoyant un autre formulaire à signer pour… valider sa signature (à quoi Akbar se dit que si quelqu’un avait pris le contrôle de son compte, il aurait pu faire n’importe quoi pour le vider à toute berzingue), il obtempère le même jour. Le virement n’ayant pas été effectué à la date requise, Akbar le fait lui-même comme il en avait informé la banque, lui redemandant de ne pas faire ce premier virement. Il constate le lendemain que la somme est partie deux fois, identiquement, et qu’en sus la banque s’est octroyé 25 € de commission sur l’un et 45 € (18 %, précise Akbar sans calculette) sur l’autre (ce qui est loin d’être la petite commission, se dit Akbar).

Question petite commission, justement : il s’avère qu’Akbar reçoit une pension de… 70-75 € mensuellement de l’étranger depuis bientôt deux ans. Ayant constaté que la banque prélevait 25 € par virement (donc, plus d’un tiers !), il était parti en guerre contre elle, et avait obtenu qu’elle s’engage à ne s’octroyer que 12,50 € par virement, tout en remboursant la différence depuis le début. Ce qu’elle avait finalement fait, après des mois d’échanges de courrier de plus en plus allumés (non, ça n’a pas contribué au réchauffement climatique, assure Akbar). Et voici qu’il constate qu’en juillet il a été débité de 25 € sur ce virement, malgré l’engagement formel de la banque.

Ne pouvant joindre un être humain de vive voix dans son agence (pourtant une des plus grandes de Paris) – leur téléphone sonnant dans le vide ou passant parfois à occupé –, il décide de transférer l’essentiel de ses opérations financières vers la banque After Bank : en moins de 24 heures, il modifie ses coordonnées bancaires chez quasiment toutes les sociétés et organismes qui le débitent ou le créditent, et commence à utiliser quotidiennement la carte de crédit fournie avec ce compte.

Mais voilà… même si Akbar peut payer en magasin avec cette carte, voire retirer des espèces dans un distributeur, tous les paiements qu’il tente de faire en ligne sont rejetés, malgré les sommes dérisoires des achats, le contraignant à utiliser la carte liée à son compte Haches Baissées (il se dit qu’il a bien fait de la garder). Il attend toujours la réponse de sa seconde banque qui n’a pu lui fournir d’explication…

Maintenant, Akbar se dit, la haine au cœur, qu’il devra sans doute migrer vers le Mi colchón de DeS’S (aucun rapport avec le diplôme, comme on peut le constater) dont il vient d’apprendre l’existence ici.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

8 avril 2013

Life in Hell: À l’aide, Superman !

Classé dans : Actualité, Cuisine, Loisirs — Miklos @ 9:51


Superhéros à l’aide de Jeff et Akbar.

Jeff propose à Akbar d’aller manger des tartes flambées alsaciennes à volonté. Akbar, plein d’abnégation, accepte gracieusement malgré la récente expérience qu’il a vécue en ce faisant.

C’est lui qui arrive en premier (comme d’habitude) au restaurant, qui est loin d’être rempli. Il entre. Une serveuse accorte l’accoste. Il lui dit qu’ils seront deux. Elle lui propose deux tables placées en plein dans des passages – l’une où l’un des deux convives est sûr de se faire cogner à chaque entrée ou sortie de clients (Akbar, toujours plein d’abnégation, se dit que ce sera lui, ce qui sera surtout périlleux s’il choisit de manger de la soupe au potiron), et l’autre près de l’entrée de la cuisine où les deux subiront ce sort lors des passages plus que fréquents des serveurs – ou une troisième coincée au fond d’un espace et dont les sièges sont des petits tabourets, contrairement à ceux des autres tables du resto. Akbar lui demande s’il n’y a rien d’autre tout en lorgnant vers les rangées de tables libres. Elle répond par la négative. Contrarié, il dit qu’il va sortir attendre son ami et voir avec lui.

Jeff arrive. Akbar lui explique la situation. Les deux compères rentrent dans le restaurant. Jeff s’accorde pour trouver ces places peu désirables, et demande à Akbar où ils pourraient aller manger.

C’est alors qu’arrive Schwarzenegger. Malgré sa carrure imposante, ce malabar souriant est d’une gentillesse à toute épreuve, et en plus il sait lire sur les visages ce que les deux amis n’ont le temps de lui dire. Il n’y a aucun problème, affirme-t-il italiquement en les menant vers une table agréablement située contre le mur, sans voisins immédiats, et qui était libre lors de la première incursion d’Akbar.

Une serveuse arrive. Akbar commande sa flam’s végétarienne. Avant même que Jeff ait pu dire son choix, la demoiselle annonce qu’ils en auront une entière pour deux. Vous connaissez la chanson, chers lecteurs, se dit Akbar in peto tandis qu’il demande à haute voix à avoir deux demi flam’s distinctes, ne pouvant, lui, en manger d’autres que celle-ci. La serveuse, dont le sourire s’efface avant qu’elle ne disparaisse à l’inverse du Chat de Cheshire, lui dit qu’elle va poser la question aux autorités.

Elle disparaît.

Elle ne revient pas.

On la voit continuer son service, mais en évitant la table de nos deux affamés.

Puis Schwarzenegger apparaît comme par miracle, précédé par son grand sourire. Avant même qu’Akbar ait pu expliquer le problème, il dit italiquement qu’il n’y a aucun problème et prend la commande.

Et oh miracle ! Tandis que Jeff reçoit sa demi flam’s souhaitée, Akbar en reçoit une entière, ce qui ne lui était jamais arrivé. C’est peut-être pour me clore le bec en me remplissant la bouche, se dit-il in peto. Ou alors, trois demi flam’s pour deux c’est pour compenser les deux demi flam’s pour trois, qui avaient été servies à Polo, Vitak et Akbar lors de leur récent passage ici. Le compte est bon, en moyenne, constate ce dernier après une rapide règle de trois mentalement effectuée.

Et ainsi le dîner se poursuit dans une atmosphère apaisée. Et en guise de récompense, Jeff reçoit une demi flam’s supplémentaire qu’il n’avait pas commandée… C’est sûr qu’il voudra revenir, lui, se dit Akbar in peto.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

29 mai 2012

Life in Hell : coucher sur le papier

Classé dans : Langue, Peinture, dessin — Miklos @ 11:43

Pour oublier ce quotidien, il s’était mis à coucher sur le papier un monde meilleur. — Frédéric Gaillard, « Un sang d’encre », in Nocturnes, les charmes de l’effroi – encre et ténèbres, n° 1. Printemps 2011.

S’il y en a qui se réfugient des déceptions et des turpitudes de ce monde dans le sommeil pour y rêver d’un meilleur, Akbar préfère rêver éveillé, prendre la plume et laisser cours à son sens aigu de l’observation – que certains qualifient fort injustement de râlerie et qu’un sien lointain cousin à la fine moustache appelait paranoïa critique – qui, combiné à une curieuse mémoire sélective mais qui remonte dans le temps bien en deçà de sa propre vie, lui permet de replier le temps et l’espace, de faire des rapprochements incongrus ou de remarquer d’étranges coïncidences, le tout mâtiné d’une imagination incontrôlée parce qu’incontrôlable et dont il ne connaît les ressorts. Mais il n’en a cure : sa curiosité inextinguible s’applique surtout au monde extérieur tel qu’il est ou tel qu’il se le reconstruit.

Ce n’est pas l’inspiration qui lui manque. Les idées arrivent sans aucune régularité et donc imprévisibles et à l’improviste, seules ou accompagnées. C’est un air qui lui revient en mémoire, une image impossible, un mot désuet ou inexistant, une phrase qui ne semble pas faire sens ou une citation célèbre, une expression curieuse. Ce peut être un détail quasi invisible ou un ensemble complexe qui suggère une forme particulière. Une combinaison de sonorités. Une peinture de rue qu’il remarque ou un jeu d’ombres. Un raisonnement imparable basé sur des hypothèses farfelues, ou, à l’inverse, une logique étrange et pourtant convaincante.

Il lui faut d’abord la cerner, s’en saisir, la fixer puis la dégrossir toutes affaires cessantes, sinon elle s’estompe ou disparaît aussi soudainement qu’elle est apparue, telle un nuage fantasque qui n’a de cesse de se transformer avant de s’effacer tel le Chat de Cheshire, ou une bulle de savon ondoyante aux couleurs chatoyantes qu’un enfant poursuit tandis qu’elle glisse dans les airs et qui fait pouf ! au moment où il pensait l’attraper.

Il la prend, l’observe, l’étire, la creuse, la renverse, la noue ou la délie. Il en trouve parfois une autre qui lui fait curieusement écho, et c’est alors cet écho dont il cherche à se saisir.

Jusque là, tout se passe dans sa tête. C’est le passage à l’acte – d’écriture – qui est aussi imprévisible que l’apparition de l’idée. Voire impossible. Mais parfois, sa main se met à écrire toute seule, les phrases s’alignent, des images se présentent pour les illustrer. Ou alors, c’est une image qui se compose et les mots arrivent après.

C’est ainsi que se tisse un bout de tapisserie qui s’empile avec les autres et qu’il retrouve parfois bien plus tard, étonné d’avoir produit cet objet si étranger et si familier à la fois.

Jeff et Akbar sont les personnages d’une série de bandes dessinées de Matt Groening, qui est aussi le père de la fameuse – et infâme – famille Simpson.

10 juillet 2011

Le sourire du chat

Classé dans : Littérature, Nature, Sciences, techniques — Miklos @ 3:33

« Le chien, — quelle drôle de bête ! — a sa sueur sur sa langue et son sourire dans sa queue ». Victor Hugo, L’Homme qui rit.

Après avoir parlé des larmes du cheval et du rire de la vache, il fallait rendre justice au sourire du chat qui apparaît et disparaît dans ces pages.

Chez l’homme, il peut être calculé ; on a donné ailleurs les clés pour distinguer le franc sourire de celui du faux ami.

Chez l’animal, on doute qu’il puisse l’être, même si, selon Jane Goodal, le sourire du singe se rapproche de [celui de] l’homme : c’est uniquement de l’expression de plaisir qu’il s’agit là. « Nous pouvons avancer, écrit Darwin1, que le rire en tant que signe de plaisir fut connu de nos ancêtres avant qu’ils fussent dignes du nom d’homme. En effet, un grand nombre d’espèces de singes font entendre lorsqu’ils sont contents un son saccadé analogue à notre rire et souvent accompagné de claquements de mâchoire ou de bouche et leurs lèvres sont retirées en arrière et en haut, leurs joues se plissent et leurs yeux brillent » Ils sont donc anatomiquement capables d’effectuer cette grimace que l’on appelle sourire. Ludovic Carreau, chez qui on a trouvé cette citation2, poursuit : « Reste à savoir si le rire du singe exprime la même chose que le nôtre ; s’il est, comme chez l’homme, le reflet d’une âme épanouie, l’écho sonore d’une pensée joyeuse dans une expansion nouvelle et imprévue de son activité, ou une simple grimace par où se dégage le trop plein de l’énergie physique, — ce qu’on pourrait appeler une gambade du visage. »

Quant au chien, animal expressif s’il en est, il doit se servir d’autres moyens pour exprimer son plaisir : on ne manquera de renvoyer à la citation (correcte, contrairement à ce qui circule sur l’internet) en exergue. On ne doute pas que ce signe soit réellement l’écho d’une pensée joyeuse dans une expansion nouvelle et imprévue de son activité, pour reprendre la grille d’analyse de Ludovic Carreau, ce n’est pas uniquement une gambade de la queue : il est vraiment content et ne peut s’empêcher de l’exprimer ainsi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les chiens ne peuvent jouer au poker.

Chez les félins c’est l’inverse, comme l’explique le Chat de Cheshire à Alice : “You see, a dog growls when it’s angry, and wags its tail when it’s pleased. Now I growl when I’m pleased, and wag my tail when I’m angry” (« Un chien grogne quand il se fâche, et remue la queue quand il est content. Or, moi, je grogne quand je suis content, et je remue la queue quand je me fâche. ») Mais ce chat-là est aussi capable d’exprimer son plaisir tout aussi silencieusement que le chien : il sourit (aucun rapport avec le fait que sa proie favorite soit la souris). C’est la première chose qu’Alice remarque lorsqu’elle l’aperçoit pour la première fois assis sur la branche d’un arbre. The Cat only grinned when it saw Alice. It looked good-natured, she thought. La traduction classique (et, dit-on, autorisée) d’Alice par Henri Bué en 1869 y voit une grimace, ce qui est (à notre avis) un contresens, c’est bien d’un sourire qu’il s’agit. Et c’est ce qui restera du Chat quand il disparaîtra pour la dernière fois – il n’a de cesse d’apparaître et de disparaître soudain en pleine conversation avec Alice, ce qui la déroute (et non pas l’amuse, comme l’écrit la Wikipedia) au point qu’elle lui dit finalement “I wish you wouldn’t keep appearing and vanishing so suddenly : you make one quite giddy!” –, suspendu en l’air pendant un certain temps.

Les traces de ce sourire, et plus généralement de l’œuvre, dans la Wikipedia sont pour le moins curieuses. Voici d’abord un extrait de la version intégrale de la traduction de Bué :

Ensuite, pour ceux qui s’intéresseraient au Chat de Cheshire, la WP (qui l’appelle Chat du Cheshire contrairement à l’usage en français que nous avons adopté) cite une source selon laquelle cette faculté de disparaître en ne laissant que le sourire (et non pas d’apparaître et de disparaître, comme elle l’écrit) « est inspiré[e] de la tradition du fromage de Cheshire (ou Chester), modelé selon la légende en forme de chat souriant et consommé à partir de la “queue” (talon), ne laissant petit à petit que le “visage” ». On a cherché cette « légende » et ce semble bien en être une mais pas comme le pense la WP : Speaking of animals: a dictionary of animal metaphors, de Robert A. Palmatier (1995), cite trois théories qui visent à expliquer l’expression Grin like a Cheshire Cat (sourire comme un chat de Cheshire), dont celle du fromage serait la troisième (pour autant qu’elle existe), aucune ne paraissant plausible à l’auteur de ce dictionnaire :

Enfin, l’article que consacre la WP à notre chat nous informe que, dans le film de Walt Disney consacré à ce fort beau conte, l’animal entonne une chanson dont les paroles sont tirées de l’extraordinaire poème absurde – et oulipien avant l’heure – « Jabberwocky », qui fait, lui, partie d’une autre œuvre de Carroll, De l’autre côté du miroir. La traduction de la première strophe qu’on y donne est celle du film (du sous-titrage ?) qui est loin d’être la plus intéressante. Pour le plaisir, on citera en concluant celle de Henri Parisot (1946) :

Il était reveneure ; les slictueux toves
Sur l’allouinde gyraient et vriblaient ;
Tout flivoreux étaient les borogoves
Les verchons fourgus bourniflaient.

(et non pas dans l’orthographe qu’en donne la WP, qui est une autre traduction de Parisot et non pas celle de 1946 pourtant citée dans la WP, et qui en diffère en plusieurs endroits).


1 Expression des émotions, p. 392.

2 Études sur la théorie de l’évolution aux points de vue psychologique, religieux et moral. Hachette, Paris, 1879.

10 avril 2011

Oh la vaaaaaache !

Classé dans : Littérature, Musique, Politique, Société — Miklos @ 13:35

Rire serait le propre de l’homme, selon Rabelais. Eh bien, pas uniquement. Les enfants d’une certaine génération – celle où, faute de MP3 à télécharger dans son portable et à écouter sur casque à s’en éclater le tympan, on chantait (ce qui n’est pas uniquement le propre de l’homme non plus) – savent que le koukaboura rit, même s’ils ignorent ce qu’est ce machin (ce qui est bien dommage).

Et les autres, ceux qui n’ont jamais entendu parler de cet étrange oiseau, apporteront un argument de poids pour preuve que les animaux sont aussi capables non pas uniquement de sourire (comme, par exemple, le nonpareil chat de Cheshire), mais de rire : la vache.

Léon Bel, producteur de comté installé depuis 1898 à Lons-le-Saunier (Jura), s’associe au Suisse Émile Graf, inventeur avec ses frères Otto et Gotfried d’un fromage fondu, bon et économique (procédé mis au point en 1907).

Il crée les fromageries Bel, qu’il dirige jusqu’en 1937, où son gendre Robert Fiévet lui succède.

Le 16 avril 1921, il dépose la marque « La Vache qui rit ».

Benjamin Rabier (1864-1939), dessinateur animalier qui, officier de ravitaillement dans la même unité que Léon Bel, avait alors dessiné un insigne surnommé « la walkyrie » et représentant une tête de vache rougeâtre. Léon Bel s’en inspire mais, peu satisfait de son dessin, fait appel à Rabier. Le dessin de la vache rouge aux boîtes de fromage-boucles d’oreilles, réalisé en 1922, est déposé en 1924.

La production commence en 1924, soutenue depuis par une publicité moderne. Un film est tourné avec Pauline Carton, suivi par un dessin animé de Paul Grimault. Les fromageries Bel patronnent les « 6 jours de La Vache qui rit » ; seront présentes dans la caravane du Tour de France. À partir de 1954, une émission de radio est diffusée : « La Vache qui rit au paradis des animaux. » Des accessoires scolaires, jeux de société, et chansons apparaissent. Bel patronne Intervilles de 1989 à 1991.

La société Grosjean, de Lons-le-Saunier, exploite depuis 1926 un fromage fondu, La Vache sérieuse. La concurrence devient agressive :

« Le rire est le propre de l’homme, le sérieux celui de la vache. »

En juillet 1954, Bel attaque en justice Grosjean, qui contre-attaque en 1955. Bel perd son procès. En mars 1959, la Cour d’appel de Paris interdit à Grosjean d’exploiter La Vache sérieuse. La décision est confirmée en cassation.

À partir de 1937 étaient apparus aussi La Vache verte, La Vache bleue, La Vache qui lit, La Vache qui rêve, La Vache qui rue, La Vache savante, La Vache fidèle, La Vache coquette, La Vache rousse, la Vache mécanique, Le Veau qui pleure, Le Veau qui braille, Le Singe qui rit, La Chèvre qui rit, etc.

Roland Brasseur, Je me souviens encore mieux de Je me souviens : notes pour Je me souviens de Georges Perec à l’usage des générations oublieuses et de celles qui n’ont jamais lu. Castor Astral, 2003.

Ce célèbre ruminant ne fait pas qu’inspirer l’industrie fromagère et la justice, mais aussi le domaine artistique. C’est ainsi que les chorégraphes néerlandais Gonnie Heggen et Frans Poelstra créent aux USA, au début des années 1990, un spectacle intitulé La Vache qui rit, que la critique trouve inégal.

Est-ce ce qui fera pleurer la vache (qui n’est pas le seul animal capable de verser des larmes : il y a évidemment le crocodile, mais aussi le cheval, dont on a récemment parlé) ? Non, il y a une autre raison, plus structurelle : en 2003, les sœurs Kate et Anna McGarrigle, chanteuses bilingues nées au Canada sortent l’album La Vache qui pleure qui comprend une chanson éponyme qui déplore le triste sort des vaches auxquelles on enlève, chaque année, leurs veaux élevés sous elles. Il y a de quoi pleurer : l’amour de la vache pour son veau n’a rien d’un amour vache, bien au contraire.

Cet album (dont on peut écouter ici des extraits) comprend une petite perle, Petites boîtes, la version française de la célèbre Little Boxes rendue célèbre par Pete Seeger : légèrement – le style folk américain – c’est en fait une critique acerbe du conformisme de la middle class américaine et des banlieues où elle vit, les petites boîtes étant des maisons toutes identiques les unes aux autres à part la couleur (on dirait qu’elles sont faites de pâte à modeler, c’est l’âge du ready made), dans lesquelles habitent des gens qui se ressemblent tous à part le métier, et il en sera ainsi de leurs enfants.

Cette chanson a été créée par Malvina Reynolds (1900-1978), auteur et interprète de chansons très politiquement engagées. Elle est moins connue que ceux qui ont repris nombre de ses chansons, à l’instar de Pete Seeger pour celle-ci ou de Joan Baez pour What have they done to the rain. Datant de 1962, elle est toujours d’actualité : sous une forme élégiaque, elle s’élève vigoureusement et tragiquement contre les effets des essais nucléaires et leurs retombées : un petit garçon sous la pluie, une douce pluie qui tombe pendant des années, et l’herbe a disparu, l’enfant disparaît, et la pluie continue à tomber comme des larmes impuissantes, et qu’ont-ils fait à la pluie ? Comme le dit Joan Baez en introduction à son interprétation (que l’on peut comparer à celle de Malvina Reynolds), “It doesn’t protest gently, but it sounds gentle.”

Pete Seeger et Joan Baez sont deux représentants d’un genre américain particulier, celui du protest song et des nombreux chanteurs politiquement engagés pour la justice sociale, dans un pays qui n’a pas de gauche réelle : émergeant au 19e siècle autour de sujets brûlants alors – la guerre civile, l’esclavage et le vote des femmes – il comprend les Negro spirituals, qui, sous une forme implicite (on pense par exemple à Go Down Moses, qui chante l’esclavage des Israélites en Égypte), exprime la souffrance des Noirs (“oppressed so hard they could not stand”) et leur désir d’émancipation (“let my people go”). Au 20e siècle, ce genre abordera la lutte des classes (l’organisation sociale et le syndicalisme : Which side are you on?), la grande dépression, le mouvement des droits civiques, les guerres (mondiales, Vietnam), le nucléaire. Quelques noms : la famille Hutchinson au 19e siècle, et, plus récemment, Joe Hill (chanté ici par Paul Robeson, un autre grand représentant de ce genre, dont on a précédemment parlé), Aunt Molly Jackson, Woody Guthrie, Josh White, Les Weavers (co-fondé par Pete Seeger), Bob Dylan, Phil Ochs, Tom Paxton, Tom Lehrer (dont on a parlé à plusieurs reprises), Bob Marley, Joan Baez, Neil Young, Patti Smith, Tom Waits, Bruce Springsteen, Marvin Gaye, Melba Moore, Rage Against the Machine et bien d’autres encore.

En France, il y avait bien des chansons réalistes qui faisaient fonction de critique sociale (Aristide Bruant, Fréhel, Damia, Édith Piaf…), et, du côté de la critique politique on trouvait les chansonniers et leurs cabarets (dont il subsiste notamment le Caveau de la République). L’un des plus célèbres est Béranger (1780-1857), qui a payé de sa personne à plusieurs reprises pour sa critique non voilée des pouvoir en place. Voici le début du plaidoyer de Dupin dans un procès intenté en 1821 à Béranger :

Un homme d’esprit a dit de l’ancien gouvernement de la France, que c’était une monarchie absolue tempérée par des chansons.

Liberté entière était du moins laissée sur ce point.

Cette liberté était tellement inhérente au caractère national, que les historiens l’ont remarquée. — « Les Français, dit Claude de Seyssel, ont toujours eu licence et liberté de parler à leur volonté de toute sorte de gens, et même de leurs princes, non pas après leur mort tant seulement, mais encore de leur vivant et en leur présence1. »

Chaque peuple a sa manière d’exprimer ses vœux, sa pensée, ses mécontentemens.

L’opposition du taureau anglais éclate par des mugissemens.

Le peuple de Constantinople présente ses pétitions la torche à la main.

Les plaintes du Français s’exhalent en couplets terminés par de joyeux refrains.

Cet esprit national n’a pas échappé à nos meilleurs ministres, pas même a ceux qui, d’origine étrangère, ne s’étaient pas crus dispensés d’étudier le naturel français.

Mazarin demandait : « Eh bien ! que dit le peuple des nouveaux édits ? — Monseigneur , le peuple chante. — Le peuple cante, reprenait l’Italien, il payera ; et satisfait d’obtenir son budget, le Mazarin laissait chanter.

Cette habitude de faire des chansons sur tous les événemens, même les plus sérieux, était si forte et s’était tellement soutenue, qu’elle a fait passer en proverbe qu’en France tout finit par des chansons.

La ligue n’a pas fini autrement : ce que n’eût pu la force seule, la satire Ménippée l’exécuta2.

Que de couplets vit éclore la fronde ! les baïonnettes n’y pouvaient rien.

Au qui vive d’ordonnance
Alors prompte à s’avancer,
La chanson répondait,
France !
Les gardes laissaient passer.

Aujourd’hui qu’il n’y a plus de monarchie absolue, mais un de ces gouvernemens nommés constitutionnels, les ministres ne peuvent pas supporter la plus légère opposition ; ils ne veulent pas que leur pouvoir soit tempéré, même par des chansons.

Leur susceptibilité est sans égale…. Ils n’entendent pas la plaisanterie…., et, sous leur domination, il n’est plus vrai de dire : tout finit par des chansons, mais tout finit par des procès.

Nous allons donc plaider.

MM. Clair et Clapier (éds.), Barreau français, collection des chefs-d’œuvre de l’éloquence judiciaire, IIe série, t. 5. Paris, 1824.

On lira avec intérêt et amusement la relation de ce procès qu’en fait Dupin dans ses Mémoires : Béranger a eu beaucoup de mal à entrer dans le tribunal, il n’y avait plus de place tellement le public s’y pressait.

Quant à l’adage que cite Dupin, selon lequel « en France tout finit par des chansons » : il semble qu’elles n’aient plus, à la fin du 20e siècle et au début de l’actuel, l’importance populaire qu’elles avaient au 19e, par exemple avec Le Temps des cerises. Plus généralement, ce sont les chansons à texte et le fait de chanter qui semblent en voie de disparition, remplacés par les tubes à rythme et l’écoute passive.

Pour finir, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos vaches. On en conclura qu’une vache qui pleure, c’est qu’on lui a fait une vacherie. Et une vache qui rit, c’est qu’elle a son veau chéri. Enfin, comme l’écrit toujours Rabelais, « mieux est de ris que de larmes escripre ».




1 Claude de Seyssel, archevêque de Turin, auteur d’une bonne Histoire de Louis XII et du livre de la Monarchie française. Il est très remarquable que dans ce livre, imprimé en 1519, l’auteur met le parlement au-dessus du roi.

2 …………………………..…Ridiculum acri

Foitiùs ac meliùs magnas plerumque secat res.

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