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14 juin 2005

Ça déchire grave

Classé dans : Danse, Musique — Miklos @ 1:43

Vendredi dernier, quatre héli­cop­tères vrombissaient autour de moi dans un profond sous-sol avec quelques hommes en tenue minimaliste, tandis que ce soir un ensemble de guitare électrique, percussions, basse, violoncelle, clarinettes et piano amplifiés à en exploser les tympans s’est déchaîné pendant deux heures ; ce n’était pas un concert de musique baroque, ni d’ailleurs ce que j’écoute en général. Et pourtant, cela en valait la peine (mais je ressens une curieuse envie de partir me reposer dans un monastère de trappistes).

Helikopter-quartet est l’œuvre mégalomaniaque du très mégalomaniaque — et génial — Karlheinz Stockhausen, un des compositeurs contemporains les plus connus de la génération Ligeti (on y reviendra) — Boulez, si ce n’est que parce que Björk a déclaré avoir été influencée par lui. Dans cette œuvre, quatre musiciens jouent dans quatre hélicoptères en plein vol ; lors de la création (réalisée avec l’aide de l’armée autrichienne, pas moins), le public a pu entendre la retransmission sonore et visuelle de cette musique, où le bruit des pales des hélicoptères, démarrant graduellement pour devenir assourdissant jusqu’à leur atterrissage, se joint aux trémolos des instruments.

Vendredi, c’était un enregistrement du quatuor Arditti en plein vol qui était diffusé dans l’Espace de projection de l’Ircam, la salle à acoustique variable située sous la fontaine de Nikki de Saint Phalle, lieu idéal pour cette diffusion — le son était partout, on semblait percevoir les hélicoptères s’élever dans le ciel. Cette musique accompagnait une chorégraphie d’Angelin Preljocaj créée en 2001, dont le plus spectaculaire était certainement le travail sur la lumière de Patrick Riou : les motifs géométriques changeants au sol, parfois suggérant les pales tourbillonnantes, parfois des envolées de sable dans la foulée des pieds des danseurs avait un côté fascinant et poétique. La chorégraphie elle-même était harmonieuse et claire, mais semblait particulièrement indifférente à la tempête sonore et au chatoiement lumineux.

Cette œuvre était précédée de Centaures (créée en 1998), un duo masculin torse nu, collants et lanières de cuir, sur une musique (très belle) de György Ligeti, qui, si elle était esthétiquement très léchée (voire tendre et sensuelle à certains moments), était encore plus froide que l’autre, et n’“allait” nulle part, c’étaient des scénettes qui m’ont fait penser à certains passages de Fantasia et non pas à l’après-midi d’un Faune inimitable (même en le doublant on n’y pensait vraiment pas)… Ça volait moins haut que les hélicoptères, pour sûr.

Ce soir, c’était le retour de Bang on a Can All-Stars au Théâtre de la Ville, un groupe que j’avais entendu l’année dernière, et avais été sonné autant par l’atmosphère paroxystique (et parfois difficilement supportables pour mes tympans habitués à une musique somme toute plus calme) que par l’excellence des musiciens et des œuvres qu’ils avaient jouées. Je n’ai pas été déçu ce soir ; si paroxysme il y avait eu alors, là ça l’était encore plus, le choix des pièces était original, intéressant, amusant et leur performance jubilatoire : Lick, de Julia Wolfe, constitué d’explosions de notes suivies de silences ; Heroin (de Songs for Lou Reed) de David Lang, fondateur de Bang on a Can, sur une vidéo splendide de Doug Aitken de personnes endormies, avec un regard attentif sur une main ou un œil fermé et leurs mouvements involontaires dans le sommeil ; Light is Calling de Michael Gordon, sur une vidéo de Bill Morrison, composé d’extraits d’un film en état de décomposition, ce qui donnait à l’image un air alternant l’abstrait (quand l’image était vraiment trop altérée par le temps), le suranné (le film devait dater du début du siècle dernier) et le poétique (le propos du film) ; Escalator, du minimaliste Arnold Dreyblatt, disciple de LaMonte Young et d’Alvin Lucier, qui utilisait un tempérament particulier (et une guitare électrique différente de la norme) et un violoncelle équipé de cordes de piano dans une folie sonore maîtrisée, inspirée par des escaliers roulants disfonctionnants.

Mais ce sont les trois dernières œuvres (et le bis, une transcription d’une étude pour piano mécanique du génial Conlon Nancarrow) qui étaient encore plus extraordinaires, chacune différemment : Piano Phase pour deux pianos de Steve Reich était ici retranscrit pour deux paires de deux xylophones verticaux ; l’excellent percussionniste David Cossin en jouait d’une paire simultanément à un enregistrement et une projection de lui-même sur l’autre paire ; les effets de moiré, tant dans la musique que dans l’image, étaient troublants et envoûtants. Eugene de Don Byron était écrit sur une vidéo muette d’Ernie Kovacs, comédien américain (décédé en 1962) extrêmement doué (certains auront vu le film Bell, Book and Candle où il joue aux côté de Jimmie Stewart, Jack Lemmon et Kim Novak — et dont le héros est en fait un chat siamois) et hors normes. Cette vidéo (disponible en DVD) est déjantée, surréaliste, intelligente — rien de ce qu’on se serait attendu à voir à la télévision américaine, d’où elle parvenait pourtant : réalisée en 1957, Kovacs y joue le rôle d’Eugene, un personnage chapelinesque curieux et ahuri face aux incongruités du monde dans lequel il évolue, si semblable au nôtre et pourtant subitement étrange, parfois inquiétant, dans cet éloge du silence contrastant avec l’atmosphère survoltée de ce soir. Enfin, Stroking Piece #1 de Thurston Moore était une œuvre minimaliste — sauf dans ses sonorités extrêmes — conçue, comme des œuvres de Terry Riley ou de Steve Reich, de phrases de 12 à 20 mesures constituées chacune de motifs semblant se répéter mais en fait variant subtilement. Les musiciens sont des virtuoses de leurs instruments, auxquels ils font parfois subir les pires outrages. Pour notre plus grand plaisir.

S’il y a aujourd’hui un ensemble novateur, c’est bien celui-ci, tandis que le quatuor Kronos, que j’ai tant apprécié, s’enlise malheureusement dans une programmation branchée, léchée et somme toute inintéressante.

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