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« Je donne mon avis non comme bon mais comme mien. » — Michel de Montaigne

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6 mars 2023

Un[e] amour de café-tabac non genré

Classé dans : Langue, Photographie — Miklos @ 15:32

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«Nous engageons notre lecteur à porter toute son attention sur chacun de ces exercices, de faire tout son possible pour remarquer de lui-même la différence qui existe entre les exemples du masculin et du féminin singulier, et ceux du masculin et du féminin pluriel. Celà ne nous empêchera pas, bien entendu, de lui donner en temps et lieu toutes les règles nécessaires ; mais, comme nous savons par expérience que le professeur le plus certain est l’observation, nous lui conseillons d’observer, car il ne faut pas perdre de vue que les observations doivent conduire aux règles, et non les règles aux observations : cette marche étant la seule qui puisse amener un résultat satisfaisant.

[…]

Remarque sur le mot amour. Jusqu’à ce jour la plupart des grammairiens et des écrivains ont fait amour masculin au singulier et féminin au pluriel, à moins pourtant que, dans ce dernier cas, il ne désigne de petits génies ailés que l’ont voit en peinture servir ordinairement de cortége à la beauté ; alors il est masculin ; si bien que, d’après celà, amour, lorsqu’il peint les sentiments de l’âme, est masculin, ou féminin, selon le nombre. Parle-t-on d’un seul amour, il est masculin ; parle-t-on de plusieurs, il est féminin. Puis viènent ensuite les violations de ceux mêmes qui ont posé cette bizarrerie en principe ; c’est-à-dire que personne ne se soumet ni ne s’est jamais soumis à cette prétendue règle, et que les grammairiens seuls se tuent de crier : Amour est masculin au singulier et féminin au pluriel. Pour nous, nous ne pouvons souscrire à une telle absurdité : nous ne pouvons nous figurer qu’un mot puisse passer du masculin au féminin en passant du singulier au pluriel ; nous croyons qu’il doit être, ou tout l’un, ou tout l’autre, en culotte, ou en cotillon : rien dans la nature ne change de sexe en passant de l’individualité à la pluralité ; c’est-à-dire qu’un mouton, par exemple, une fois reconnu pour tel, ne deviendra pas brebis en passant dans un troupeau ; et si un amour est du masculin, des amours doivent être du même genre.

[...]

Nous engageons à celà, parceque notre vœu le plus grand, notre espérance la plus chère, c’est de voir un jour toutes ces futilités ridicules bannies de notre langue, afin que chacun se trouve par là à même d’émettre librement et correctement sa pensée, sans avoir besoin de longues années d’études. La tâche est forte et pénible ; il faut pour celà déraciner bien des préjugés, causer bien des dépits ; mais que ne peut pas l’homme avec de la persévérance ! et nous aurons toute celle nécessaire pour arriver à ce but. D’ailleurs, qu’est-ce que l’autorité des règles discordantes et arbitraires que prétendent nous imposer ces gents qui, parcequ’ils ont le temps de s’attacher à des niaiseries plus ridicules que nécessaires, semblent monopoliser sur le savoir, et le rendre impossible, en nous donnant comme loi leurs observations particulières, observations que personne n’a jamais observées, pas même les auteurs desquels ils les tirent, ou les ont tirées ; observations que sans cesse ils réfutent eux-mêmes par leurs contradictions sans nombre. Que peut nous faire à nous de quelle manière s’exprimaient nos bons, mais vieux auteurs du gigantesque siècle, puisqu’il est prouvé, bien prouvé, du propre aveu de messieurs les grammairiens, que ces auteurs n’ont jamais été d’accord entre eux, ni même avec eux-mêmes […].

Pourquoi serions-nous tenus de ne suivre que la route tracée par les anciens, de ne parler que le langage qu’ils ont parlé ? A ce compte, où serait donc le progrès ? Si nous nous étions toujours conformés à ce système absurde, où en serions-nous ? à nous couvrir encore les épaules de peaux d’animaux, à coucher encore dans des huttes, ou sur la terre, à n’avoir pour siéges que des pierres, ou des tronçons d’arbres, ou plutôt à n’avoir rien du tout, puisque nos premiers pères ont dû commencer par là. Quoi ! touts les jours on vous entend dire : notre langue est pauvre, notre littérature est mesquine, et si un homme essaie de sortir de l’ornière, vous criez haro sur le novateur ; pourtant comment voulez-vous que nous ne mettions pas» nos pieds sur la place où nos pères ont mis les leurs, si vous prétendez nous imposer comme loi de ne pas sortir du terrain qu’ils ont parcouru.

Grammaire générale, philosophique et critique de la langue française, mise à la portée de toutes les intelligences pour être apprise sans maître, sur un plan entièrement neuf, par Napoléon Caillot, membre de l’Académie du Prytanée ; ouvrage adopté par l’École nationale de France. Paris, 1838.

27 mars 2022

Connaissez-vous Raoul ?

Classé dans : Cinéma, vidéo, Photographie — Miklos @ 16:21


Street art, passage Josset (Paris XIe).
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Cette affiche (de l’artiste Mark Temlett) qui avait attiré mon œil lors d’un de mes parcours pédestres dans Paris par son si riche fouillis est en fait une promotion pour Raoul, l’homme tranquille, web sérieSérie de vidéos diffusées sur l’internet. de Frédéric Vignale. Elle compte à ce jour plus d’une soixantaine de vidéos (depuis sa création en 2019), chacune d’une durée de quelques minutes.

Son clip officiel est fascinant à plus d’un égard : l’image en noir et blanc, le personnage de Raoul que joue l’étrange Emmanuel Gillet, la musique et les paroles du comédien et chanteur Nikko Dogz (Nicolas Reynaud) dont la voix rauque n’est pas sans évoquer celle de Tom Waits, et enfin, le côté onirique, fantas­tique – et pourtant si réel et parfois boule­versant – de l’ensemble.

Et aussi à ne pas manquer :

25 novembre 2020

Apéro virtuel II.24 – mercredi 25 novembre 2020

Lise Deharme – Square du Sacré-Cœur, in Paris des rêves d’Izis
(Israëlis Bidermanas, 1911-1980), 1950. Cliquer pour agrandir.

Jean-Philippe, Françoise (C.) et Sylvie étant arrivés à la queue-leu-leu, Michel explique le choix de son arrière-plan : les chaises en métal du Jardin du Luxembourg qu’on aperçoit dans l’une des photos de Sabine Weiss qu’il avait montrées hier lui avait rappelé celle d’Izis (un des grands photographes huma­nistes, mouvement auquel la Biblio­thèque nationale de France avait consacré une exposition en 2006), dans un bel ouvrage comprenant en regard de chaque photo un texte manuscrit – en vers ou en prose – par des écrivains et poètes connus (Paul Éluard, André Breton, Jean Tardieu, Jean Paulhan, Jules Supervielle, Gilbert Cesbron, Louise de Vilmorin…) ou moins connus., y compris un anglophone et non des moindres (Henry Miller). Dans cette photo-ci, non seulement le poème de Lise Deharme fait écho au contenu de la photo (« deux amants sur un escalier »), mais son style d’écriture n’est pas sans rappeler la forme des dossiers de ces chaises d’antan qu’il avait connues.

En préambule, et pour rester dans l’air du temps – ou plutôt, d’antan – Michel diffuse le début d’une splendide vidéo, produit de la restauration et de l’enrichissement (couleur, sonorisation) d’un film d’archives en noir et blanc montrant le Paris de la Belle Époque dans quelques quartiers de Paris (on pourra lire ici quelques informations sur l’auteur de ce travail et les techniques utilisées pour ce faire). En regardant ce travail, on a presque l’impression que ces scènes, si réalistes par la fluidité et la qualité des images, viennent d’être filmées, et pourtant elles remontent à plus d’un siècle… Ce n’est pas le seul travail de restauration effectué par l’auteur de ce travail, ni par d’autres personnes ou organismes ; on peut voir là une autre vidéo de Paris au début des années 1900.

Sur ces entrefaites, Léo se joint à l’apéro. Michel montre enfin quelques doubles-pages de cet ouvrage, en lisant les textes (ou leur début, pour le dernier) qui font face aux photos.

Léo donne enfin la clé du mystère : pourquoi Superman n’était-il pas parti à la guerre pour sauver les US ? Réponse : il a été réformé en 1942, non pas pour son superbe physique, mais pour sa vision de taupe. Incroyable, dites-vous ? Lisez la bande dessinée ci-dessus (et au cas où votre vision est encore plus mauvaise que celle de Clark, la raison c’est que celle de Superman était trop bonne). Ceci a permis aux auteurs de ses aventures de ne pas produire des aventures de Superman en guerre – le personnage aurait vaincu les Allemands en une pichenette, ce qui évidemment n’étant pas le cas, aurait pu s’interpréter comme une critique des soldats américains…

Ensuite, Léo fait entendre un enre­gis­trement d’une lecture (accom­pagnée de la Marche funèbre de Chopin au piano) qu’il a faite d’un extrait de Figurec (2006), roman de Fabrice Caro, écrivain et auteur de bandes dessinées (Zaï zaï zaï zaï fait hurler Léo de rire, à lire, et aussi Et si l’amour c’était aimer) plus connu maintenant sous le nom de Fabcaro. Le narrateur est un habitué des enter­rements :

L’enterrement de Pierre Giroud m’a énor­mément déçu, c’était une céré­monie sans réelle émotion. D’accord il y avait du monde, bien plus qu’à celui d’Antoine Mendez, mais tout cela manquait de rythme, de conviction. Même la fille de Pierre Giroud – du moins celle que je supposais être la fille de Pierre Giroud – n’était pas très en verve. Elle hésitait en permanence entre une pudique retenue et des sanglots bruyants de qualité très médiocre. Le résultat était assez caricatural, sans nuances. La mère de Pauline Verdier, ça oui, ça c’était une vraie femme éplorée, toujours sur le fil, très présente, improvisant des envolées lyriques qui vous arrachaient des larmes, rien à voir avec la fille Giroud. Il faut souligner pour la défense de celle-ci que son père avait quatre-vingt-huit ans et que tout le monde dans son entourage attendait l’issue fatale d’un jour ou l’autre – à la différence de Pauline Verdier qui s’est encastrée dans un platane en rentrant de discothèque. Mais ça n’excuse pas tout. […]

Après cet enterrement, Françoise (P.) se joint à l’apéro.

Sylvie et Jean-Philippe s’engagent alors dans une lecture alternée de quelques-uns des Exercices de style de Raymond Queneau, variantes stylis­tiques d’une même histoire : « Le narrateur rencontre dans un bus un jeune homme au long cou, coiffé d’un chapeau mou orné d’une tresse tenant lieu de ruban. Ce quidam échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s’asseoir à une autre place. Un peu plus tard, le narrateur revoit le même jeune homme cour de Rome devant la gare Saint-Lazare en train de discuter avec un ami qui lui conseille d’ajuster (ou d’ajouter) un bouton de son pardessus. » On entendra successivement : Gastronomique, Alors, Sonnet, Moi je, Interrogatoire – ce dernier dit à deux voix.

Dans la conversation qui s’ensuit, Léo mentionne avoir beaucoup aimé Les fleurs bleues, et, pour ceux qui aiment les mots compliqués et/ou longs, il évoque l’usage qu’a fait Queneau du mot antépénultième, ainsi que le relate François Le Lionnais dans l’Atlas de Littérature potentielle (cf. ci-contre). Sylvie rappelle avoir posé, lors d’un apéro au cours du précédent confi­nement, des devinettes concernant des rues de Paris tirées de Connaissez-vous Paris ? de Queneau, ouvrage qu’elle a reçu en cadeau après avoir elle-même écrit un livre sur Paris. Françoise (P.) évoque Zazie dans le métrosorti aussi à l’écran (réalisateur : Louis Malle), avec, entre autres, Philippe Noiret (et non pas Jean-Pierre Marielle) –, tout à la fois amusant et tragique. Léo trouve que ce texte a un peu vieilli.

Après une conversation sur les mots devenus désuets, puis les mots particulièrement longs, et de là (vous voyez certainement le rapport) la composition des maillots de bain des enfants dans les années 1950, Françoise (P.) lit quelques citations d’un livre qu’elle avait acheté après une exposition sur les cocottes qui s’était tenue à Orsay (s’agit-il de Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910, en 2015 ?) ou au Centre Pompidou (Cocottes et poulettes, début 2020 ?) : « Un amant, c’est de l’amour ; deux amants, c’est du tempérament ; trois amants, c’est du commerce. » (attribué à Alphonse Allais), et évoque en passant La Belle Otero (1868-1965, ci-contre) et Mata Hari (1876-1917).

La conversation erre brièvement dans les méandres du nouveau site web du Centre Pompidou où l’on ne retrouve aucune trace des expositions passées qu’on y recherche, puis s’engage sur le chemin des blagues de mathématicien et de physiciens (et parfois, pire, d’ingé­nieurs !), pour finir sur la plus courte des blagues de matheux, que cite Léo : « Soit epsilon négatif ». L’expli­cation en est forcément plus longue… Après quoi, Michel remarque que l’usage de l’alphabet grec en mathématiques apprend de fait aux matheux à déchiffrer des mots grecs (même s’ils ne s’en rendent pas compte, et même s’ils ne comprendront rien au sens), et leur donnera aussi des bases de l’alphabet cyrillique (utilisé en russe et quelques autres langues slaves, chacune avec ses variantes).

24 novembre 2020

Apéro virtuel II.23 – mardi 24 novembre 2020

Classé dans : Arts et beaux-arts, Littérature, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 23:59

Place de la Concorde, ca. 1982. Photo : Miklos.

Jean-Philippe, Léo, Françoise (C.) et Sylvie arrivent rapidement l’un après l’autre. La dernière arrivée prend la parole la première pour informer les présents qu’elle devra quitter l’apéro bientôt pour une conférence zoom « Après les élections américaines » sur le site de Jcall ; Léo s’empresse de remarquer qu’elle s’était tenue hier, et qu’il y avait assisté (d’où son absence de cet apéro-là)… Tant pis pour Sylvie (elle pourra tout de même en regarder la vidéo, quand elle sera mise en ligne), tant mieux pour les autres, elle partagera l’intégralité de cet apéro-ci. Elle en profite pour mentionner que le festival du cinéma israélien de Paris aura lieu en ligne du 25 au 29 novembre, mais comment fait-on pour s’inscrire ? La réponse : on choisit un film ici, on clique sur l’imagette, on choisit la séance, et puis on achète sa place.

Entre temps, Léo en profite pour s’affubler d’une petite moustache à la Hercule Poirot, grâce aux effets spéciaux de Zoom. Jean-Philippe suit son exemple par d’autres moyens et se transforme en un des frères Marx. Quant à Michel, il garde la sienne, naturelle(ment). Sur ces entrefaites, Françoise (P.) se joint à l’apéro. Léo explique alors que son arrière-plan est une des illustrations de sa prochaine intervention sur les Lois de la robotique d’Asimov (auteur que Michel avait brièvement évoqué il y a dix jours), et mentionne leur rapport entre les robots, les super héros (d’où l’illustration de Stan Lieber) et le Golem, nom provenant de l’hébreu, apparu pour la première fois dans la Bible (Psaume 126 selon Léo ; non, mais presque) et dont le sens originel était : masse brute, inerte (en hébreu contem­porain, le mot sert aussi d’insulte pour qualifier quelqu’un de parti­cu­liè­rement bouché). Il dénote une créature, à l’origine masse inerte de terre ou d’argile, qu’une personne – dotée de pouvoirs ou de savoirs particuliers – peut animer, en général en lui écrivant sur le front un mot (le nom ineffable de Dieu, ou alors le mot hébreu signifiant « vérité ») ; doté de force quasi surhumaine, son rôle est d’aider son inventeur jusqu’à ce que celui-ci efface le mot (ou une partie ; dans le cas du mot « vérité », si on en supprime la première lettre, il se transforme en un autre mot, signifiant « mort »). C’est d’évidence l’illustration du fantasme de l’homme d’égaler son Créateur en en devenant un lui-même en insufflant la vie dans l’inerte… Le personnage du Golem apparaît au fil des siècles dans des légendes, notamment celle du MaharalMot hébraïque composé des initiales de « Notre maître le Rabbin Loew »., chef spirituel de la communauté juive de Prague au XVIe siècle, et qui aurait créé un Golem qu’il pouvait animer selon que de besoin ; dans la littérature, à l’instar du roman éponyme de Gustav Meyrink, publié en 1915, ou celui d’Isaac Bashevis Singer ; et évi­demment à l’écran dès le début du XXe siècle et dans les bandes dessinées (on pense à Superman, et plus récemment à Johann Sfar). Quant au mot robot, il a été inventé par l’écrivain tchèque Karel Čapek (1890-1938) pour sa pièce de théâtre R.U.R., à partir d’une racine slave qui veut dire « travail ». Parmi les nombreux person­nages inspirés par le Golem, on évoque la créature du Frankenstein de Mary Shelley, ou le balai animé dans le poème L’Apprenti sorcier de Goethe et qui à son tour a inspiré le poème symphonique éponyme de Paul Dukas, qui fait son apparition dans le film d’animation Fantasia de Walt Disney. Enfin, si vous avez peur des robots, lisez ce qu’a écrit Sylvie à ce propos.

À la question de Françoise (C.) sur le noir-et-blanc de son incarnation, Michel explique qu’elle est due à la présentation qu’il va faire, et qu’il illustre par la photo en arrière-plan – une vendeuse de marrons, deux policiers coiffés de képis (ça date) et une camionnette de vente de glaces, qu’il avait prise sur la place de la Concorde vers 1982. Avant que de passer à la présentation en question, il affiche une photo extraordinaire (cf. ci-contre, cliquer pour la source) d’insectes à l’apparence de branches et de feuilles (appelés phasmes, merci Jean-Philippe et Léo), qui leur permet de se dissimuler soit pour se protéger de prédateurs, soit pour attraper une victime ne soupçonnant pas leur présence. Jean-Philippe mentionne qu’on peut en acheter à Paris, à la Ferme Tropicale, 54 rue Jenner dans le 13e arrondissement. À propos d’insectes prédateurs, Françoise (P.) raconte avoir vu une émission qui montrait à quelle point la jolie et gentille (d’apparence !) coccinelle est un terrible prédateur dès son état larvaire.

Michel passe à sa présentation, celle d’une trentaine de photos en noir et blanc – mises en ligne sur Facebook – du Paris des années 1950 de Sabine Weiss, qui, à 96 ans, est la dernière repré­sen­tante de l’école humaniste, incarnée par Doisneau, Ronis ou Brassaï ; comme on peut le voir sur son site et dans la vidéo ci-dessus – et, comme le signale Jean-Philippe, comme on peut l’entendre dans Boomerang d’il y a une dizaine de jours –, elle est toujours alerte et active, et vient de décrocher le Prix Women In Motion 2020 (attribué par Kering et Les Rencontres d’Arles) pour la photographie. Ces photos, accompagnées de leur titre et d’informations concernant la photographe, ont été mises en ligne par un profil Facebook « John d’Orbigny Immobilier », profil qui ne contient que des photos et des vidéos plus remarquables les unes que les autres du Paris d’époque. Patrick Marsaud, dirigeant de cette agence, s’en explique ici. Pour certaines, elles rappellent à certains des présents des souvenirs d’enfance, par exemple les chaises dans les jardins publics (ci-contre au Jardin du Luxembourg, en 1952) qu’il fallait payer (à une chaisière) pour pouvoir s’y asseoir, la fumée des locomotives dans les gares, les amoureux qui s’bécottent sur les bancs publics… Françoise (P.) se souvient des tentures (de deuil, funèbre, mortuaire…), draperies noires accrochées au-dessus et sur les côtés de la porte d’entre de la maison d’un défunt, avec les initiales de son nom au centre, le registre de condoléances dans le hall… ; des enterrements de 1ère, 2e et 3e classes… : des marchands de glaces qui passaient avec un cheval en criant « Glaces ! Glaces ! Glaces ! »… Michel, lui, se souvient des vitriers (et de la chanson qui en parle). Sylvie mentionne le groupe Facebook « DOISNEAU ou Ce Paris Disparu », avec des photos et des petites histoires du Paris des années 1950. Françoise (C.) mentionne le groupe « J’aime Paris » (mais comme il y en a plusieurs qui portent ce nom, difficile de savoir lequel !). Quant au noir et blanc des photos, pour Michel, il correspond si bien à Paris, ville qui, pour lui, est en noir et blanc et tous les gris intermédiaires, ce qui n’enlève rien à son charme, sa profondeur, sa légèreté ou sa noirceur.

Françoise (P.) présente la petite vidéo ci-dessus, mais tous sauf Léo l’avaient déjà vue (elle date de juin) ; on décide d’un commun accord de la signaler dans le compte-rendu – dont acte – et d’en arrêter la diffusion. Françoise montre alors un livre consacré au Bauhaus (1919-1933), qu’elle a acheté après avoir vu la récente expo­sition consacrée à ce mouvement qui s’était tenue au Centre Pompidou. Elle men­tionne avoir été parti­cu­liè­rement inté­ressée par les dessins, les objets, qui ont été créés à cette époque, ainsi que le mouvement intel­lectuel qui l’accom­pagnait. Après cette expo­sition, il y en a eu une autre non moins intéressante – mais différemment – sur les cocottes (non, pas l’instrument culinaire) et les endroits mal famés.

23 novembre 2020

Apéro virtuel II.22 – lundi 23 novembre 2020

Classé dans : Arts et beaux-arts, Littérature, Peinture, dessin, Photographie — Miklos @ 23:59

Gregory Crewdson, Alone Street, 2018-2019.

Françoise (C.) identifie bien les US dans l’arrière-plan de Michel, mais elle n’y a visité que Washington et New York (à plusieurs reprises). Michel, lui, y a vécu pendant cinq ans, et a pu y voir une (petite) partie de la variété des villes et des paysages, pour certains splendides. Françoise a aussi visité le Canada, où elle a remonté les rives du Saint-Laurent depuis Ottawa jusqu’à Québec, Bona­venture… mais, à la question de Michel, elle n’est pas passée par Saint-Louis-du-Ha ! Ha !, qu’il avait traversé dans son parcours en voiture au Québec rien qu’à cause de son nom.

Sylvie arrivée, elle relate son rôle d’animatrice dans le passé – profes­sion­nellement, d’abord, dans le domaine du marketing (des « focal groups », en bon français de marketing), mais aussi dans des réunions publiques de démocratie participative, dans le cadre du projet Clichy-Batignoles.


Jean-Philippe, puis Françoise (P.) s’étant joints à l’apéro, chacun indique ce qu’il a dans son verre. Non, répond Jean-Philippe à une question, ce n’est pas du champagne, mais du coca. Quant à Sylvie, elle entonne Quand je bois du vin clairet – tout en précisant que dans le sien (saumur blanc) il y a du miel, du gingembre, de la cannelle et « d’autres épices » – puis commence son exposé : « C’est dans la nuit du 21 novembre (on remarquera la proximité de l’anniversaire de cet événement) ou 18 juillet de la même année que les frères Fauderche ont jeté les bases de cet extraordinaire appareil dont la conception révolutionnaire risque de bouleverser toutes les lois communément admises tant dans le domaine de la physique nucléaire que celui de la gynécologie dans l’espace… » On aura reconnu (enfin, pas tout le monde) Le Schmilblick des frères Fauderche de Pierre Dac, que l’on peut entendre dans son intégralité ci-dessus, l’appellation « schmilblick » provenant vraisemblablement des deux mots yiddish « schmil » (de « schlemiel », imbécile, idiot) et « blick » (regard).

Michel dit préférer de loin l’humour d’un Pierre Dac (sous-entendu : à celui d’un Devos). Françoise (P.) aime beaucoup l’incon­gruité des quatre… frères Marx (il ne s’agit pas de Karl et de ses sept frères et sœurs), à quoi Michel rajoute que, pour un humour en langue étrangère qu’on maîtrise moins bien que sa langue maternelle, c’est souvent cette manifestation – le comique de situation – qu’on est à même d’apprécier plutôt que celui basé sur la richesse de cette langue et de la variété des jeux de mots qu’elle peut offrir.

Françoise (P.) se tourne vers Francis Blanche, grand comparse de Pierre Dac, très cultivé (il a été le plus jeune bachelier de France, à l’âge de 14 ans) et en lit une vingtaine de citations bien tournées et que l’on retrouvera, avec d’autres, ici. Parmi ses autres œuvres : les Signé Furax avec Pierre Dac. Sylvie se souvient les avoir entendus régulièrement les dimanches sur Paris Inter ; et, dans le même esprit, elle cite un de ses oncles, qui avait un sens de l’humour quelque peu pince-sans-rire : « Il vaut mieux se laver les dents dans un verre à pied que se laver les pieds dans un verre à dent. »

Rebondissant sur un épisode de l’apéro d’avant-hier, Jean-Philippe nous lit un texte qui commence ainsi : « Je suis allé pour la première fois à Paestum dans les années cinquante. Avec Simone de Beauvoir et Sartre, nous passâmes là presque un jour entier, du dur soleil de midi à la nuit tombante, en laissant aux colonnes doriques le temps de blanchir jusqu’à l’os. Je suis revenu à Paestum à tous les âges de ma vie. » Puis plus loin, « C’est bien plus tard, puisqu’elle n’a été découverte qu’en 1968, que j’ai vu pour la première fois, sans pouvoir m’en arracher, la tombe du divin plongeur. Souvent j’étais resté trop longtemps dans l’enceinte des temples, arrivant au musée après la fermeture, ou, d’autres fois, le trouvant en travaux, qui pouvaient durer des semaines ou des mois. Jamais je n’aurais imaginé être touché en plein cœur, tremblant et bouleversé au tréfonds de moi-même, comme je le fus le jour où il m’apparut, arc parfait, semblant plonger sans fi n dans l’espace entre la vie et la mort. Plongée poignante, car il est véritablement dans le vide, sa chute ne s’arrêtera peut-être jamais, on ne comprend ni d’où il s’est élancé, ni où il s’abîmera. Ce n’est peut-être pas une chute, il paraît planer. Si je cherche une permanence, une cohérence, une unité à ma vie, ou aux cent vies dont on dit qu’elles furent miennes, le divin plongeur — c’est le nom, au musée de Paestum, de la fresque qui ornait le plafond de sa tombe — occupe une place centrale, qui n’est pas seulement d’ordre esthétique, contemplation de l’art et de la beauté, mais pour moi opératoire aussi, indissolublement esthétique et opératoire. »

Il s’agit des premières pages de la préface de l’ouvrage Le Divin Plongeur de Claude Lanzmann (Gallimard NRF 2012, replublié dans la collection Folio), « recueil de textes écrits, eux aussi, à différents âges de [sa] vie, en des occurrences radicalement étrangères les unes aux autres, publiés dans des revues, des magazines, des quotidiens très divers, aujourd’hui introuvables, oubliés ou ignorés. »

Dans la conversation qui s’ensuit, on évoque les environs de Paestum, et notamment la côte amalfitaine, région splendide autant pour ses villes et villages que ses paysages. Michel se souvient encore de l’odeur enivrante d’un citron qu’il avait acheté dans un marché de Sorrente, qui lui rappelle celle de citronniers en fleurs et en fruits en Israël, ce que confirment et Sylvie et Françoise (P.).

Michel a récemment reçu un lien vers un article de Connaissance des arts, Le rêve américain : dans l’envers du décor avec Gregory Crewdson, consacré à une exposition des photos de Crowdson à la galerie Templon qui se trouve dans le même pâté de maisons que l’appartement de Michel.

Après avoir lu le tout premier paragraphe de l’article, où l’auteur décrit ainsi la photo en exergue :

« Égarée sur l’asphalte encore maculé de flaques, une vieille Buick stationne sur un carrefour désert. Depuis le porche de son immeuble, un homme tatoué contemple la scène une bière à la main, indifférent au landeau abandonné sur le trottoir. En face, clouées aux fenêtres, des planches de bois protègent une maison en brique d’un danger passé ou imminent. »

il remarque non seulement la faute d’orthographe, mais, en regardant de près la photo, que cette description ne correspond pas vraiment : la Buick ne stationne pas sur le carrefour mais s’est arrêté au feu orange, comme le requiert la loi américaine (on en aperçoit le conducteur qui regarde légèrement à sa gauche – pour voir si une autre voiture arrive ?) ; l’homme tatoué n’a rien à la main, celle-ci étant posée sur la balustrade de son porche ; la petite tache blanche devant sa main n’est pas une cannette de bière, ce pourrait être une bouteille de lait, mais est probablement une ouverture dans la balustrade opposée qui laisse entrevoir le mur de la maison mitoyenne ; la maison d’en face n’a des planches de clouées que sur une des fenêtres, et sur une des quatre petites ouvertures sous ces fenêtres, il est donc probable qu’elles s’y trouve parce que cette fenêtre était cassée. Par la fenêtre de gauche, on aperçoit comme une toile claire jetée sur des cartons ou des meubles, ce qui laisserait penser que cette maison est plutôt abandonnée, ce qui expliquerait son état dégradé.

En en discutant aujourd’hui, Jean-Philippe remarque que le feu tricolore qui se trouve au sol dans le caniveau devant la maison de l’homme tatoué était celui destiné aux piétons (celui du trottoir de gauche est encore debout), et l’on en aperçoit encore les accroches sur le poteau gris clair de droite, au bout duquel sont accrochés les feux destinés aux véhicules, habituellement suspendus au-dessus des carrefours plutôt qu’accrochés sur les côtés. Sylvie mentionne l’analyse qu’elle avait faite du comportement des conduteurs (en France) arrivant devant un feu orange. Sa conclusion ? sur 13 conducteurs, trois adoptent des comportements égocentrés, les 10 autres sont situationnels (sic).

Quoi qu’il en soit pour ces détails, Michel commente que ce type de maisons en bois, d’un étage, avec un porche, est très commun aux États-Unis, et pas nécessairement uniquement pour les plus pauvres (mais ici, comme dans d’autres photos de Crewdson, on perçoit bien que c’est un village paumé, ses habitants se trouvant dans une immensité désolée) : lorsqu’il y est arrivé pour faire ses études dans une des meilleures universités américaines, c’est dans une maison de ce style, en très bon état, qu’il avait loué une chambre.

Sur ce, on lève le coude puis la séance.

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