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31 août 2005

Perfide Albion

Classé dans : Langue — Miklos @ 0:32

L’origine de cette expression a été longtemps débattue dans la pittoresque et intéressante revue L’Intermédiaire des chercheurs et curieux. Fondé en 1864. Questions et réponses littéraires, historiques, scientifiques et artistiques. Trouvailles et curiosités. Paraissant les 10, 20 et 30 de chaque mois.1

Le 25 juin 1876 (dans le numéro IX, 357), un lecteur posait pour la première fois la question :

La « perfide Albion ». — Plus perfide que jamais ! disent des politi­ques profonds, qui se prétendent bien informés. C’est elle qui aurait : 1° renversé le sultan Abd-ul-Aziz, pour s’être fait le lieutenant de la Russie ; 2° prié qu’on ne l’étranglât pas, nonobstant les usages du pays et de la famille ; 3° suicidé ledit Sultan, après s’être assuré de la discrétion traditionnelle des muets du Sérail. Horreur ! Qui nous dévoilera les Mystères de Stamboul ? Ce ne sera sans doute point un correspondant de l’Intermédiaire, mais peut-être qu’il y en aura parmi eux pour me dire d’où vient le cliché : la perfide Albion ? N’est-ce pas du premier Empire ?

S’ensuivent (IX, 412, 440) des commentaires de lecteurs justifiant pleinement cette réputation, sans pour autant y apporter de réponse. Par exemple, le 10 juillet :

La perfide Albion (IX, 357) . — Il est possible que sous cette forme le proverbe soit moderne, mais la réputation des Anglais à cet égard est faite depuis longtemps, témoin cet adage du XVIe siècle, cité par Leroux de Lincy : « Loyauté d’Anglais, bonne terre, mauvaise gent. »

Le 13 mai 1900, la question est reposée, et dans le numéro du 7 octobre 1900, on lit enfin ce qui se rapproche d’une réponse satisfaisante :

Perfide Albion (XLI). — Un correspondant des Notes and queries dit que cette phrase a été employée, pour la première fois, par Napoléon Ier.

Les éditeurs de la Revue ripostent en note :

Dans un sermon prêché à Metz, sur la circoncision, Bossuet a dit : « L’Angleterre, ah la perfide Angleterre, que le rempart de ses mers rendoit inaccessible aux Romains, la foi du Sauveur y est abordée. » (Voir 4e s. III, 32.).

(Notes and queries) 22 sept. 1900

Est-ce vraiment Napoléon ? En tout cas, en son temps : le Trésor de la langue française écrit, à l’article perfide :

1653 spéc. la perfide Angleterre (BOSSUET, Premier sermon pour la fête de la circoncision de N. S. prêché à Metz ds Œuvres, Versailles, 1816, t. 11, p. 469); av. 1817 la perfide Albion (XIMENEZ, L’Ere républicaine ds Poésies révolutionnaires et contre-révolutionnaires, Paris, 1821, t. 1, p. 160);

Il est toutefois intéressant de noter que les Anglais avaient devancé Bossuet de plus d’un demi-siècle dans la juxtaposition de ce vocable au nom de leur voisin et souvent ennemi, puisqu’en 1607, Sir E. Hoby a parlé de « the perfidy of the French nation »…., parallèle que je crois bien être le seul à avoir noté.

En tout état de cause, j’ai trouvé une citation française fiable datant du début du XIXe siècle : Chateaubriand (1768-1848) écrit dans ses Mémoires d’Outre-tombe : « Bonaparte avait refusé de s’embarquer sur un vaisseau français, ne faisant cas alors que de la marine anglaise, parce qu’elle était victorieuse ; il avait oublié sa haine, les calomnies, les outrages dont il avait accablé la perfide Albion » (Livre vingt-deuxième, chapitre 26 — couvrant la période 1791-1800).

Depuis, on relève son utilisation dans de nombreux contextes au cours du XIXe siècle : Balzac utilise à plusieurs reprises cette expression dans ses Études de mœurs, e.g., « le colosse du Nord la perfide Albion » dans Le député d’Arcis (Scènes de la vie politique. L’envers de l’histoire contemporaine) en 1853. Théodore de Banville évoque les « fonds secrets que pour ses amourettes la perfide Albion avance à nos lorettes » dans ses Odes funambulesques en 1859. Pierre-Joseph Proudhon parle en 1872, dans son Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère de « ceux qui se méfient des marchandises de la perfide Albion ». Enfin, Flaubert écrit en 1878 dans une lettre à Leconte De Lisle : « Et les forfanteries de la perfide Albion tournant en eau de boudin ? »

Je passerai sous silence la version modernisée qu’en a donnée notre seule et unique (à ce jour) Première Ministre.


1 C’est la version française (et non pas la traduction) de la revue Notes and Queries. A medium of inter-communication for literary men, artists, antiquaries, genealogists, etc., fondée en 1849 pour permettre à des amateurs comme à des spécialistes d’échanger des informations sur des sujets littéraires et historiques, sous formes de communications (Notes) et de questions (Queries). Elle continue à être publiée à ce jour.

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